Moyen Orient : zone de conflit

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PROCHE OU MOYEN, MAIS TOUJOURS EXTREME Depuis longtemps déjà, le Levant a fait place au Machrek, et le Proche Orient au Moyen Orient, c’est à dire au Middle East anglo-américain. C’en est fini du rêve érotique ou mystique des Mille et une nuits, qui fascinait les voyageurs du XIXe siècle, Chateaubriand, Flaubert, Maxime du Camp ou Rimbaud, puis du rêve conquérant des Etats européens se partageant les dépouilles de l’Empire Ottoman. Ce Moyen-Orient, avatar indéfiniment récurrent de la Question d’Orient, il paraît aujourd’hui hérissé de contraintes et d’interdits, de plus en plus imperméable à l’Europe, opaque à ses valeurs et de plus en plus étranger à la paix structurelle qu’enracine la construction européenne.
L’incertitude du contenu et des limites de la région, dont témoigne l’hésitation du vocabulaire, exprime certes son ouverture vers les espaces voisins, culturellement ou religieusement proches mais géopolitiquement distincts – une partie de l’Asie mineure, de l’Asie du Sud, le Maghreb, la masse du continent africain. En elle-même, elle est très diverse, historiquement, humainement, économiquement, politiquement. Ce qui constitue son unité intérieure, quoique de façon relative et plutôt négative, ce sont les conflits qui l’affectent, de sorte que parler des conflits du Moyen Orient paraît presque pléonastique, constitutif d’une identité forcée. Au cœur, le conflit israélo-palestinien, ce cancer des relations internationales aux métastases diffuses et imprévisibles, sorte de génie maléfique sorti de la bouteille et que personne ne peut plus y faire rentrer.
Ce conflit, ces conflits ont fait de la région une zone de paroxysmes, unique dans le monde : paroxysme des convictions et des affrontements religieux, qui transforment des religions vouées à la paix et à l’amour en doctrines de haine et de guerre ; paroxysme d’une richesse presque caricaturale avec des ressources pétrolières qui semblent infinies, mais aussi de la pauvreté pour des populations entières ; paroxysme des conflits territoriaux, puisque nulle part au monde on ne trouve dans un espace aussi réduit tant de rivalités portant sur la maîtrise de territoires ; paroxysme de l’immobilisme, puisque la récurrence des affrontements, la stagnation économique, l’absence de démocratie, l’inertie politique contrastent avec les dynamiques et les évolutions extérieures ; paroxysme de la violence enfin, puisque la région, incapable de résoudre ses propres tensions, les exporte avec un terrorisme en passe d’acquérir une dimension planétaire.
C’est aussi que la région n’est pas maîtresse d’elle-même, et qu’au fond personne ne parvient à la maîtriser. Elle représente le grand échec des relations internationales depuis la seconde guerre mondiale, plus nettement encore depuis la fin de l’affrontement Est-Ouest. On ne trouvera pas ici de solutions, mais plutôt l’état des lieux, le bilan d’une situation, un effort d’explication des éléments et de l’origine des conflits. En contrepoint, l’impuissance du monde extérieur, qui risque de ce fait d’être progressivement affecté par leur exportation, sous forme de religions combattantes et d’un terrorisme diffus. Le pétrole même constitue une dépendance virtuellement redoutable pour nombre de pays. Les Etats-Unis, pour lesquels ces données sont un défi, ont certes des projets. Mais ce sont des visées plus qu’une vision, une approche militaire plus que politique – comme si refaire l’expédition de Suez cinquante ans plus tard était la solution.
Et l’Europe ? La région est comme le miroir de son impuissance. Tout se passe comme si, tétanisée par le conflit israélo-palestinien, étouffée par l’hégémonie américaine, elle s’interdisait toute politique propre, quitte à jouer ponctuellement un rôle de banquier, et de temps à autre, de modérateur. Lorsque les grands Etats de l’Union européenne s’expriment, c’est en ordre dispersé, voire de façon contradictoire, comme à propos de l’Iraq et de l’intervention militaire. Plus largement, la considération même de la situation semble dissoudre la sérénité des observateurs, de sorte que, souvent, ils ne s’expriment qu’avec retenue, à la limite parfois de l’autocensure. C’est ce à quoi, au moins, on a ici tenté d’échapper.