Benoît XVI dans l’œil du cyclone (1ère partie)

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Depuis plusieurs semaines, le Pape est l’objet d’attaques de plus en plus précises et ciblées. Cela a commencé dans la presse anglo-saxonne, ou encore allemande et irlandaise, à partir de la révélation de faits souvent lointains de pédophilie dont se sont ou se seraient rendus coupables des prêtres. La persistance des dénonciations, leur accumulation, leur répétition et leur généralité ne peuvent qu’impressionner, allant bien au-delà des incidents isolés qui étaient découverts ici et là, ou du procès automatique et ancien instruit par l’anticléricalisme traditionnel. Car en l’occurrence c’est souvent de l’intérieur de l’église catholique, des victimes elles-mêmes, qui sont ou ont été des fidèles, que proviennent des accusations que tout indique fondées. La presse française ne s’en est fait l’écho que tardivement et succinctement, jusqu’à ce que les réactions et dénégations de l’Eglise elle-même ne la conduisent à reprendre et à expliciter davantage la question.

Ce qui devient une affaire de portée mondiale, ou du moins occidentale, ce qui met en cause l’Eglise catholique dans son ensemble et plus directement encore son Souverain Pontife, Benoît XVI, soulève de multiples questions qui débordent de loin les abus sexuels commis par des prêtres à l’encontre d’enfants placés sous leur autorité par la confiance des parents. Ces prêtres se sont ainsi rendus coupables de plusieurs trahisons : de leurs propres engagements, des enfants, des parents, de l’Eglise. Les faits sont choquants, ne l’est pas moins voire plus encore aux yeux de l’opinion le silence gardé par l’Eglise qui a d’abord choisi d’ignorer ou de nier le phénomène, en détail ou en bloc. Elle a beau jeu de laisser entendre que la pédophilie n’est pas l’apanage de prêtres, et qu’on la rencontre dans nombre de situations ou des enfants sont placés sous l’autorité d’adultes dans des conditions qui les rendent confiants et par là vulnérables – l’enseignement public, les colonies de vacances et autres groupes de jeunes, les organisations humanitaires même n’en sont pas exempts. Mais le statut moral de l’Eglise lui donne en son sein une tonalité plus inquiétante encore.

Hasard ou campagne

Une première question concerne le caractère spontané ou accidentel de la convergence, en divers lieux, des dénonciations et révélations en cours, renforcées par l’insistance à leur sujet, et à leur développement constant. Ce sont d’abord des faits singuliers qui sont mentionnés, puis leur ampleur s’accroit, puis, par cercles concentriques, l’on se rapproche de plus en plus de la hiérarchie et du centre de l’Eglise, en la personne du Cardinal Ratzinger devenu Pape sous le nom de Benoît XVI. Son ancien diocèse, son frère, lui-même sont enfin mis en cause pour leur passivité, leur lenteur à réagir, comme s’ils avaient tenté de dissimuler la pédophilie, de protéger les pédophiles en les soustrayant à la justice civile et en les épargnant dans leur ministère ecclésiastique. Y a-t-il à ce sujet une campagne organisée et systématique, si oui d’où vient-elle et avec quel objectif ? L’Eglise semble parfois le penser et crie au complot, mais cela à soi seul ne peut suffire, car elle peut avoir intérêt à détourner ainsi le propos et à changer le sujet en se posant en victime.

Vu du dehors et sans informations particulières, l’hypothèse de la campagne concertée ne peut être ignorée, si l’on manque d’éléments décisifs en la matière. Si on la retient ici pour l’analyse et de façon purement spéculative, reste à s’interroger sur ses motifs et ses objectifs, en laissant de côté, faute de certitudes, ses auteurs – qui au demeurant peuvent être aussi nombreux que les justiciers du Crime de l’Orient Express de la subtile Agatha Christie. Il peut s’agir de non chrétiens, de chrétiens non catholiques, voire de catholiques opposés aux orientations personnelles d’un Pape qui a entrepris d’arrêter certaines évolutions, même de faire marche arrière sur des dossiers sensibles – celui de l’œcuménisme par exemple -, voire d’une rencontre opportune entre plusieurs de ces protagonistes. Il faudrait pour le savoir sonder le cœur et les reins du New York Times, qui maintient la pression depuis plusieurs semaines.

En toute hypothèse, campagne concertée, complot ou non, les raisons de l’extension de la crise sont identiques. L’histoire est ainsi faite que parfois une convergence d’événements, leur rencontre accidentelle, peut ressembler à une conjuration. Il n’est pas nécessaire de céder à la paranoïa pour observer que l’aboutissement circonstanciel de tendances longues qui trouvent soudain leur point de convergence en un lieu ou sur une cible donnée rend brutalement sensible une situation latente, actualise une crise qui n’en pas pour autant été volontairement provoquée. Or depuis longtemps l’Eglise catholique est confrontée à des questions de fond qui concernent sa présence au monde, la distinction entre la foi et le dogme, les conditions d’exercice de l’autorité en son sein, et ceci d’autant plus qu’elle est livrée à la concurrence d’autres églises chrétiennes plus ouvertes qu’elle. Dès lors les motifs de la crise apparaissent dans toutes leurs dimensions. On en mentionnera ici trois, qui convergent autour de la personne de Benoît XVI : sa conception traditionaliste de l’Eglise sur tous les plans ; la morale sexuelle rigide qu’il maintient ; le projet de canonisation de Pie XII, Pape contesté entre tous.

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