La puissance européenne en question

Partager sur :

La question de la puissance européenne est une problématique majeure et récurrente dans le débat politique depuis plusieurs années. Une abondante littérature s’est penchée sur la nature et le devenir de cette Europe-puissance qui, il faut bien le dire, suscite un scepticisme justifié.

L’Union européenne possède pourtant des atouts indéniables, principalement dans le champ économique. Elle est la première puissance commerciale au monde et devance nettement les Etats-Unis dans l’exportation de services. De plus, l’affirmation croissante de l’euro sur la scène économique en fait une monnaie d’échange crédible et concurrente face au dollar et au yen. En d’autres termes, elle est un géant économique… mais qui ne trouve pas encore de traduction pleine et entière dans le domaine politique. Quelles en sont brièvement les raisons ?

L’identité et la nature de l’UE.

L’histoire de la puissance européenne s’est construite sur un malentendu initial. La France, lors de la création de la CECA en 1951, imagine la future entité européenne biensur comme un moyen de garantir la paix et de sceller la réconciliation franco-allemande, mais aussi surtout, en en prenant le leadership, comme un outil indirect de sa propre puissance et influence dans le monde. A contrario, pour la RFA, l’Europe a un rôle bien différent car elle doit prévenir les ambitions de puissance de ces partenaires/adversaires et empêcher la réapparition de ses propres démons… L’orientation de la construction européenne, depuis les années 1950, ne fera que confirmer cette ambivalence et cette incompréhension originelle. Elle pèse depuis sur la définition commune d’une stratégie politique de l’UE et donc sur sa puissance.

Un autre motif d’incertitude est patent avec la question de la nature de l’UE. « Objet politique non identifié » pour J. Delors, elle est en effet une entité politique et juridique sui generis, hybride et complexe, qui se veut supranationale tout en ménageant la souveraineté de chaque État. Il semble donc que la recherche d’une Europe puissance passe d’abord par une intégration plus poussée et, au stade ultime, une fédéralisation de l’UE encore loin d’être acquise.

La question institutionnelle.

Avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, l’Europe a-t-elle enfin un numéro de téléphone ? Rien n’est moins sûr. Certes la création d’un poste de « haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » a le mérite, en théorie, de mettre un visage unique sur la diplomatie européenne. Cependant, la difficile répartition des compétences et la coopération délicate actuelle entre Catherine Ashton, le président de la Commission Européenne et la présidence tournante du Conseil de l’UE ne simplifie pas l’exercice de la puissance européenne. La perception de cette puissance joue ici un rôle primordial dès lors que l’on identifie difficilement un interlocuteur privilégié. Les critiques récentes sur la gestion par l’UE de la crise en Haïti en sont des illustrations frappantes.

Une armée européenne.

La réponse récurrente, pour beaucoup, au déficit de puissance de l’UE réside dans l’affirmation d’une armée européenne autonome. Il faut, dit-on, un « bras armé » à l’UE. Nous sommes loin du compte. La Politique Européenne de sécurité et de coopération (PESC) et la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), malgré des progrès conséquents, restent timides et insuffisantes. Des capacités autonomes et indépendantes de défense font défauts, mais surtout, les divergences d’approche entre les États atlantistes et les autres vis-à-vis d’une stratégie à adopter face à l’OTAN posent problème. La crise en Irak en 2003 a ainsi montré toutes les failles de cette défense européenne.

La morale, la volonté et la diplomatie européenne.

C’est peut-être la question clef. L’UE veut-elle véritablement exercer sa puissance sur la scène internationale ? Ce qui est acquis aujourd’hui, mais qui reste bien insuffisant, c’est l’efficacité de la diplomatie européenne dans certains domaines de prédilection (comme l’environnement). Elle la doit à une culture de la négociation et à une pratique du multilatéralisme qui sont les vecteurs premiers de ce que certains appellent une diplomatie normative, c’est-à-dire une diplomatie fondée sur l’État de droit, les normes et les valeurs sans développer une intentionnalité forte de puissance. En effet, il faut reprendre ici la dichotomie entre une Europe qui a une vision kantienne des relations internationales et les Etats-Unis qui développent une approche hobbesienne, réaliste et stato-centrée du monde. Lorsque l’on compare, par exemple, la Stratégie européenne de sécurité (doctrine Solana) et la National Security Strategy (NSS) américaine, il est frappant de voir que là où les Etats-Unis parlent d’ennemis et de territoires en faisant ainsi référence à la distinction ami/ennemi de Carl Schmitt, l’Europe emploie les termes « d’acteurs concurrents » ou de partenaires. L’UE considère ainsi que le refus de la puissance n’est pas toujours synonyme d’impuissance. Dès lors, cette difficulté quasi ontologique est peut être l’obstacle premier sur le chemin d’une puissance européenne.