Le double effet Tea Party

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Lancé par une multitude de citoyens en colère, alimenté par de grandes sociétés et de puissants lobbies, entretenu par les pontes du parti républicain en mal d’énergie militante, le mouvement Tea Party aura fait trembler les Démocrates cette année. Plus proche du mouvement populaire que du parti politique, le Tea Party est né d’une vague de mécontentement et de contestation, une révolution contre les élus en place (anti-incumbent) qui s’est nourrie de la crise économique.

Pourtant, il y a moins de deux ans, la nation américaine, portée par un vent de progressisme et une envie de changement, élisait Barack Obama 44ème président des Etats-Unis. Le parti républicain, écrasé par l’héritage d’un président sortant hautement impopulaire, ne se faisait plus entendre. En novembre 2008, les Démocrates dominaient Washington, de la présidence au Congrès. Mais ils avaient aussi hérité d’une crise économique mondiale, d’une montée rapide du chômage, de deux guerres et d’un déficit budgétaire record. Le président Obama devait alors s’atteler à une tâche impossible : redresser l’économie tout en transformant substantiellement le pays sur le plan de la santé, de l’éducation, de l’énergie.

Dès 2009, quelques premières voix d’opposition à la politique présidentielle se font entendre. Le passage de plusieurs grandes législations – plan de relance de l’économie (stimulus package), plan de renflouement des banques et des grandes entreprises automobiles (le fameux bail-out) – commence à attiser la grogne contestataire. On prête au journaliste Rick Santelli de la chaîne câblée CNBC l’initiative du mouvement suite à son appel à mener une « tea party » à Chicago en juillet 2009 pour protester contre les plans de relance économique du président Obama. Il faisait référence aux événements de 1773 lorsque des colons américains démontrèrent leur colère contre les taxes imposées par la Couronne britannique en jetant des caisses de thé dans les eaux du port de Boston. Deux cent trente sept ans après la Boston Tea Party, un mouvement d’Américains moyens, furieux de régler la note de banquiers sans scrupules et d’investisseurs imprudents reprend à son compte le terme qui symbolise la rébellion face à un système d’imposition injuste. Pour certains, le « TEA » de « Tea Party » signifie « Tax Enough Already » (que l’on pourrait traduire par : « Les impôts, ça suffit! »), pour tous, il est un mouvement de contestation de l’ordre établi.

Au cours de l’été 2009, la grogne s’amplifie. Les consultations publiques organisées par le gouvernement autour de la très difficile réforme du système d’assurance-santé donnent l’occasion à de nombreux Américains d’exprimer leur mécontentement. L’explosion du chômage et des saisies des biens immobiliers (foreclosures) achèvent d’attiser l’exaspération du public américain. Utilisant les mêmes moyens de mobilisation que ceux qu’Obama avait parfaitement maîtrisés pour son élection – petits groupes de militants, réseaux sociaux, nouvelles technologies -, la mouvance Tea Party, désormais financée par de puissants donateurs, s’organise sur le terrain pour gagner en poids politique. Des manifestations monstres à Washington impressionnent les medias qui s’entichent du phénomène. Dès le début 2010, Sarah Palin devint le visage politique du mouvement en participant à la première Convention nationale du Tea Party. Immensément populaire au sien de la nouvelle droite, elle apporta avec succès son soutien à des candidats dissidents dans de nombreuses primaires républicaines, écartant les candidats plus consensuels et modérés. La droite classique fait les frais de l’arrivée des candidats estampillés « Tea Party » et le parti républicain se fait déborder par la droite. A l’approche des élections de mi-mandat, l’énergie militante est à droite de la droite et la campagne des démocrates peine à décoller. La suite est connue : fort du dynamisme de leur base, les Républicains infligent une sévère correction à l’Administration démocrate, aux proportions historiques.

Pourtant, il ne s’agit pas exactement de la déferlante crainte par les supporters de Barack Obama. Les Républicains ont en effet repris la Chambre des Représentants, remportant soixante sièges (neuf restent encore à déterminer). Ils ont gagné neuf places de gouverneurs (quatre à déterminer), dans des Etats cruciaux pour la présidentielle. Le Sénat leur échappe, avec un gain de seulement six sièges (un à déterminer). Ils ne laissent qu’une petite majorité aux Démocrates avec 53 sénateurs, mais ils n’ont pas réussi à battre Harry Reid, le leader de la majorité au Sénat, dont le maintien est une victoire symbolique pour le parti démocrate. Au lendemain de l’élection, tout le monde célèbre l’éclatante victoire du Tea Party. Mais la réussite du mouvement a révélé ses faiblesses et son double effet sur la vie politique américaine.

Ce que le Tea Party a avant tout réussi à faire, c’est incarner une alternative et forcer les Républicains, sans leader charismatique et sans direction depuis leur échec de 2008, à se réinventer. Ils ont mis en avant un projet économique de fiscalité responsable assez cohérent – à défaut d’être mesuré – prônant une réduction drastique des dépenses publiques, une baisse des impôts, une diminution du rôle du gouvernement et une lutte contre le creusement du déficit. En diabolisant les efforts de l’Administration pour endiguer la crise et en agitant le spectre du communisme, le Tea Party a revitalisé la base du parti républicain et lui a offert un second souffle. Deux ans seulement après une défaite cinglante, le parti républicain est de retour.

Mais la caresse du Tea Party pourrait bien se transformer en coup de poignard. En voulant courir trop de lièvres à la fois, le mouvement a dilué son message et son efficacité. Lorsqu’il gagnait de l’ampleur en 2009 et 2010, de multiples courants de la droite conservatrice s’y sont agrégés. Les libertariens, prônant une réduction drastique de la taille du gouvernement, se sont frottés à la droite chrétienne, en crise depuis la fin peu glorieuse de l’ère Bush, aux miliciens, défenseurs du second amendement sur le port des armes à feu, ou encore aux birthers, réclamant de voir le certificat de naissance du président Obama qu’ils jugent illégitime. Des franges radicales de la droite ont aussi trouvé dans le Tea Party un canal d’expression : ainsi, islamophobes, racistes, conspirationnistes et fanatiques se sont côtoyés sous les projecteurs des medias. Ce mélange éclectique a nui à l’unité du mouvement. Le libertarien Rand Paul dans le Kentucky avait bien peu en commun avec la chrétienne ultra-conservatrice et antiféministe Christine O’Donnell du Delaware. D’autre part, l’accréditation « Tea Party » des candidats ne leur a pas toujours réussi. Au lendemain des élections de mi-mandat, l’establishment républicain se plaint de ce que le Tea Party, en soutenant pendant les primaires des candidats radicaux, leur aurait coûté deux ou trois sièges au Sénat, dont celui de Harry Reid, et donc la majorité au Congrès.

En outre, le parti républicain va avoir bien du mal à établir une ligne politique. Les désaccords idéologiques ne devraient pas tarder à émerger, pas plus tard qu’au début de l’année prochaine lorsque le Congrès sera amené à voter pour élever le plafond de la dette, ce que les candidats Tea Party ont juré de ne pas avaliser. Les luttes intestines au sein d’un parti républicain sur le retour ne font que commencer alors que tous regardent déjà la prochaine échéance, l’élection présidentielle de 2012. Grâce à son système bien en place et l’énergie de ses militants, le candidat, ou la candidate, du Tea Party pourrait bien remporter les primaires de 2012, voire créer une triangulaire. Mais de là à remporter la présidence, il y a un immense fossé. C’est dans l’ancrage à droite du mouvement que réside sa force mais c’est là où il révèle aussi toute sa faiblesse.