ThucyBlog n° 25 – Les Terres australes et antarctiques françaises

Partager sur :

Par Cécile Pozzo di Borgo, le 6 avril 2020

Pendant près de quatre ans (2014-2018), j’ai occupé le poste très particulier de préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises. Les TAAF, comme on dit par commodité, étant les territoires les plus méconnus de la République, atypiques à bien des égards, j’en rappellerai les principales caractéristiques.

Collectivité territoriale sui generis, créée par la loi du 6 août 1955, dont la constitution précise « l’organisation particulière », elle est placée sous l’autorité d’un administrateur supérieur ayant rang de préfet, à la fois représentant de l’Etat et chef de l’exécutif. Elle bénéficie de la spécialité législative et de l’autonomie administrative et financière. Composée de 5 districts : Crozet, Kerguelen, Saint Paul et Amsterdam, dans l’Océan Indien, la terre Adélie en Antarctique et les Iles Eparses, autour de Madagascar – Europa, Juan de Nova, Bassas da India, Glorieuses et Tromelin, elle est située hors de l’Union européenne, sous le statut de PTOM, et génère 2,300 M km2 de ZEE, soit 22% du domaine maritime de la France. Extrêmement différents, situés sous 4 climats, ces territoires ont en commun d’être inhabités, éloignés et isolés, difficiles d’accès, sous des climats hostiles, et d’être tous des sanctuaires de biodiversité.

Dans ce contexte, les missions du préfet se déclinent sur trois axes principaux : la souveraineté, la protection de l’environnement et le développement économique, principalement la pêche. Concrètement, il s’agit d’assurer une présence humaine permanente, sur des bases scientifiques, où travaillent quelque 250 chercheurs.

La Réserve naturelle nationale des Terres australes est la plus étendue de France (672 000 km2) et la 5e au plan mondial. Ces mêmes territoires, inscrits par l’UNESCO le 5 juillet 2019 au patrimoine mondial de l’humanité, constituent le Bien le plus vaste jamais inscrit.

Le Parc naturel Marin des Glorieuses se verra transformé en Réserve naturelle, soit un niveau de protection renforcé, à la suite de la visite en octobre dernier du Président de la République.

Rares terres émergées dans leur zone, les TAAF permettent à la France de bénéficier d’installations stratégiques : stations opérant pour Météo France, pour le CNES, le système Galileo et le CEA dans le cadre du Système de Surveillance Internationale de l’OTICE.

Les trois ensembles géographiques qui constituent les TAAF sont tous marqués par une dimension internationale importante.

I . L’Antarctique : les relations internationales sont régies dans le cadre du système du Traité sur l’Antarctique de Washington, signé en 1959, complété par le Protocole de Madrid, signé en 1991. A été acté le principe du gel des revendications territoriales des 7 Etats « possessionnés », dont la France ; le continent a été dédié à la science et à la paix, constituant une grande réserve naturelle, qui exclut toute exploitation des ressources naturelles (aspect sur lequel certaines puissances souhaiteraient revenir, l’échéance de la révision du traité étant cependant en 2048). Les TAAF siègent chaque année dans la délégation française à la Réunion consultative des Parties au Traité sur l’Antarctique, conduite par le ministère des affaires étrangères. A noter qu’en 2021, la prochaine réunion est prévue à Paris sous présidence française.

Indépendamment de la terre Adélie, le préfet des TAAF est pour la France Autorité nationale compétente (ANC) chargée d’autoriser les activités des ressortissants français sur l’ensemble du continent.

II. Les Terres Australes : ne sont plus en jeu les sujets de souveraineté comme par le passé, notamment avec la Grande Bretagne, mais des relations établies avec de grands voisins.

Avec L’Australie, la France partage l’une de ses plus longues frontières maritimes, dont 800 km entre les îles Kerguelen et Heard-et-Mcdonald. Un accord de coopération bilatérale régit les relations en matière de surveillance des pêches et de recherche scientifique. En terre Adélie également, la France a l’Australie comme voisine, de part et d’autre ; la coopération bilatérale est favorisée par le fait que le port de Hobart est à la fois la base logistique du navire ravitailleur L’Astrolabe et le siège de l’AAD (Australian Antarctic Division). A noter, enfin, un dialogue bilatéral constructif pour porter un dossier conjoint en matière d’Aires marines protégées au sein de la CCAMLR (Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique).

Avec l’Afrique du Sud, dont les îles Marion et Prince Edward sont proches (mais non frontalières) de l’archipel Crozet, la France a déposé auprès de l’ONU un dossier « Extraplac » pour l’extension du plateau continental. Des discussions ont par ailleurs été engagées en vue d’un accord de coopération bilatérale.

III. Les Iles Eparses : Ces îles inhabitées étaient rattachées administrativement, comme les Comores jusqu’en 1946 ou les îles australes et la terre Adélie avant 1955, au gouverneur de Madagascar.  En avril 1960, le général de Gaulle les en a détachées en se fondant sur le principe de terra nullius, territoire sans maître, inhabité. C’est à partir des années 70 que s’exprime une revendication malgache. L’Assemblée générale de l’ONU a adopté en 1979 et 1980 deux résolutions portant sur la réintégration des îles sous l’autorité de Madagascar. Cependant, depuis lors, le débat est reporté à l’AGNU de l’année suivante.

Dans le cas de Tromelin, il faut remonter au Traité de Paris de 1814 par lequel la France a cédé au Royaume-Uni l’île de France et ses dépendances, nommément Rodrigues et les Seychelles. Le mot « nommément » a été interprété par les Britanniques comme « especially », suggérant le rattachement de toutes les îles dont Tromelin. Un siècle et demi plus tard, Maurice déclare que Tromelin est sous souveraineté mauricienne.

Ainsi, depuis des années, sont ouverts des débats sur les revendications de souveraineté, de Madagascar sur les îles du canal du Mozambique et de Maurice sur Tromelin.

En 1999, le sommet de la Commission de l’Océan Indien a acté le principe de la cogestion. La première application fut un accord-cadre sur Tromelin signé en 2010 entre la France et Maurice, assorti de trois conventions d’application, sur la protection de l’environnement, l’archéologie (concernant les fouilles sur l’histoire des esclaves oubliés au XVIIIe siècle) et la pêche. Ratifié à l’unanimité par le Sénat en 2013, le texte inscrit à l’Assemblée nationale en 2014, n’est à ce jour pas voté, en raison de l’opposition de députés estimant que ce traité signifie un abandon de souveraineté – en dépit d’un article 2 précisant que le sujet de la souveraineté n’entrait pas dans le cadre de l’accord. Une nouvelle tentative de réinscrire le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée en janvier 2017 n’a pu aboutir. Depuis lors, nous sommes toujours dans la situation où le traité signé mais non ratifiéne peut entrer en vigueur.

Avec Madagascar, le dialogue se poursuit : pour donner suite aux conclusions d’un entretien entre les chefs d’Etat français et malgache en septembre 2014 s’était tenue une première réunion en juin 2016 pour proposer des actions de coopération. En mai 2019, lors de sa rencontre avec le Président Rajoelina, M. Macron a annoncé un « dialogue pour aboutir à une solution commune » avec mise en place d’une commission mixte. Celle-ci s’est réunie à Tananarive en novembre 2019. Une prochaine session a été proposée, avec l’objectif de parvenir à un accord en juin 2020. Sont à l’étude des projets de coopération scientifique, dans la dynamique d’un consortium de recherche récemment créé, et dans le domaine de la pêche notamment.

Signalons deux autres sujets concernant les Eparses :

–  La pêche illégale, notamment le pillage des holothuries, espèce protégée mais très prisée des consommateurs chinois. L’impact sur la biodiversité est doublé de problèmes humains avec les mesures prises à l’encontre de pêcheurs illégaux.

– La présence d’un potentiel en hydrocarbures, estimé important. Un permis de recherche Juan de Nova maritime profond, accordé en 2008, a suscité des débats animés avec les défenseurs de l’environnement sur les nuisances induites sur l’écosystème. La loi votée par le parlement français le 30 décembre 2017, mettant fin à la recherche et à l’exploitation d’hydrocarbures, a amené le gouvernement français à annoncer le 20 février dernier le non-renouvellement de ce permis.

Un atout pour la France dans l’Indo-Pacifique

A noter, enfin, que les TAAF s’inscrivent dans la zone et le concept de l’Indo-Pacifique mis en avant et développé à plusieurs reprises par le Président de la République depuis son discours de mai 2018 à Garden Island, exprimant une ambition forte et la volonté de définir une nouvelle stratégie avec nos partenaires. Plusieurs des thèmes prioritaires qu’il a énumérés sont en résonnance avec les enjeux propres aux TAAF : souveraineté, accès à nos territoires, sécurité maritime, pêche durable et lutte contre la pêche illégale, lutte contre le changement climatique et protection de la biodiversité.

Ces territoires sont donc porteurs d’atouts pour la France : présence étendue sur les océans, présence sur le continent antarctique et dans la zone de l’Indo Pacifique ; existence de stations d’intérêt stratégique ; contribution sur des sujets reconnus comme prioritaires dans notre société : environnement, changement climatique, économie bleue ; positions de notre pays dans la recherche scientifique.

Longtemps méconnues, les TAAF ne peuvent que susciter un intérêt croissant.