Introduction. La prolifération, entre signes encourageants et stagnation

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L’année 2010 a été, dans le domaine du nucléaire auquel nous nous limitons cette année, porteuse de sens et riche de quelques événements stratégiques majeurs, mais n’a pas amené de révolutions.

Elle a d’abord été marquée par la publication en avril 2010, un an après le discours de Prague du président Obama, de la Nuclear Posture Review (NPR) américaine. Bruno Tertrais propose dans la présente rubrique une analyse approfondie et nuancée de ce nouvel exercice de révision – le troisième depuis la fin de la Guerre froide –, de son contexte politique national et de son environnement international. Les grands piliers doctrinaux traditionnels y sont traités : doctrine de dissuasion nucléaire – y compris la dissuasion élargie aux alliés –, réductions et « modernisation » de l’arsenal au regard de l’objectif de l’élimination de l’arme nucléaire, non-prolifération et prévention du terrorisme nucléaire, ces deux derniers se voyant accorder une priorité particulière.

L’auteur estime que cette nouvelle NPR est un exercice d’équilibrisme plutôt réussi. Il y avait en effet à concilier, au sein du Département de la Défense et au-delà, des objectifs radicalement opposés, notamment entre les tenants d’un désarmement nucléaire total et les partisans de la modernisation de l’arsenal américain. Le résultat final témoigne d’un équilibre trouvé au « centre », qui parvient entre autres à concilier la poursuite des réductions et la pérennisation de la dissuasion grâce à un financement suffisant, tout en excluant le développement de « nouvelles » armes. Et naturellement, la nouvelle posture inclut un engagement à la ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et indique les objectifs chiffrés des réductions négociées dans le cadre du traité New START.

Le deuxième événement nucléaire de l’année est justement la signature à Prague, le 8 avril, de ce traité, qui matérialise le reset de la relation stratégique américano-russe et la renaissance d’un arms control bilatéral. Le Nouveau START a de ce fait une valeur symbolique non négligeable et vient à point nommé combler un vide créé par la fin, le 5 décembre 2009, du traité START I de juillet 1991 – dit START depuis la disparition sous l’ère Bush du traité START II qui lui faisait suite) Certes, les objectifs de réductions agréées par le nouveau traité sont modestes : 1 550 têtes nucléaires stratégiques déployées, 700 vecteurs déployés (ICBM, SLBM et bombardiers lourds) et 800 lanceurs déployés et non déployés. Elles le sont encore plus si on souligne que ces objectifs devront être atteints sept années après l’entrée en vigueur du traité, soit fin 2017, alors que le traité de Moscou SORT, si justement décrié, prévoyait une fourchette de 1 700 à 2 200 armes opérationnellement déployées à l’horizon de fin 2012. A l’inverse de SORT, le Nouveau START est doté d’un régime de vérification mutuel effectif et minutieux, dont la complexité a été réduite dans des proportions raisonnables par rapport à START, notamment en matière d’inspections sur place.

S’agissant de la question toujours sensible des défenses antimissiles, le préambule du traité « reconnaît l’existence de l’interrelation entre les armes stratégiques offensives et les armes stratégiques défensives » et souligne que cette interrelation deviendra plus importante à mesure des réductions des arsenaux, tout en considérant que les systèmes défensifs existants n’altèrent pas les capacités dissuasives de chacune des deux parties. Les termes de référence du débat pour l’après-Nouveau START sont ainsi clairement rappelés. Pour autant, le Président américain n’a pas caché, dès la signature du traité, son souhait de poursuivre les réductions en y incluant les armes non déployées et les armes tactiques.

Pour l’heure, le processus de ratification, qui s’annonçait très tendu du côté américain, se présente, à l’heure on on boucle cet ouvrage, sous les meilleurs auspices, puisque le Sénat américain a ratifié le nouveau traité le 22 décembre par 71 voix pour, 26 contre et 3 abstentions et la Douma russe a suivi en votant le 14 janvier en faveur de la ratification (349 voix pour, 57 voix contre), ce qui laisse supposer une adoption définitive prochaine, puis un vote de ratification rapide par le Conseil de la Fédération.

Le troisième événement nucléaire majeur de l’année, le dernier mais non le moindre, est la tenue à New York, du 3 au 28 mai, de la Conférence quinquennale d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire, dont l’article de Benjamin Hautecouverture dans la présente rubrique nous présente une analyse très argumentée.

Contrairement à la précédente Conférence de 2005, celle-là n’est pas un échec, étant donné qu’elle s’est conclue par l’adoption d’un document final très substantiel, grâce à un certain nombre de concessions et de compromis, à la fois des pays non alignés et des puissances occidentales. Tant la revue du fonctionnement du traité depuis la Conférence d’examen et de prorogation de 1995 que les conclusions et recommandations pour le futur témoignent d’un désir largement partagé de parvenir à un accord diplomatique sur l’ensemble. Un résultat politique d’importance est que le régime global de non-prolifération s’en sort relégitimé malgré sa fragilité. On relèvera en particulier que la résolution de 1995 sur l’établissement d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient est clairement réaffirmée et qu’une conférence à laquelle tous les Etats de la région seront invités à participer se tiendra à cet effet en 2012. Initiative à notre avis positive, mais dont le succès demandera des efforts diplomatiques considérables et certainement, en préalable, un déblocage et une évolution positive du Processus de paix.

Le reste du paysage nucléaire de 2010 est moins encourageant. La Conférence du désarmement, toujours en panne depuis 1997, n’a pas réussi à démarrer la négociation d’une convention d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, malgré l’adoption d’un programme de travail et l’établissement d’un Comité ad hoc en 2009 ; il est reconnu que la perpétuation de ce blocage est aujourd’hui imputable aux positions du Pakistan. Les crises de prolifération iranienne et nord-coréenne, ponctuées par les atermoiements et les manœuvres dilatoires des deux pays concernés, ne laissent encore augurer d’aucune solution satisfaisante ; mieux encore, la Corée du Nord dévoile l’existence d’un programme d’enrichissement de l’uranium très évolué et la Syrie continue pour sa part de garder le silence depuis 2008 sur les indices d’activités suspectes découverts à Dair Alzour et à ignorer les demandes de l’AIEA. Quant au Myanmar, il est de plus en plus soupçonné de conduire un programme nucléaire clandestin, avec l’aide de la Corée du nord.

Bref, la prolifération nucléaire reste un phénomène systémique qui ne donne aucun signe de régression. En la matière, chaque année est une année pleine…