Introduction – OUVERTURE ET APPRONFONDISSEMENT DE L’ACTUALITE INTERNATIONALE DANS LES MEDIAS ?

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Les observateurs des moyens d’information de masse peuvent toujours rêver par rapport à la construction de l’actualité internationale. Qu’elle augmente de plus en plus dans l’offre publique d’information, même modestement par rapport aux actualités nationales qui, dans l’ensemble, demeurent toujours prioritaires dans les choix éditoriaux des médias généralistes, et qu’elle relève de dispositifs de compétition économique, voire politique, portés sur la plus grande captation de l’attention des publics visés, elle ne saurait aborder tous les sujets cruciaux pour l’avenir de l’humanité. A fortiori d’une façon distanciée, propice à l’effort de compréhension et de dialogue.

L’ESPACE MEDIATIQUE INTERNATIONAL COMME LIEUX D’ENJEUX

Indépendamment de la question d’un minimum de convergence de vues quant à l’information relative à la construction d’un avenir commun dans un esprit de paix, il faudrait aussi que davantage de langues et de cultures disposent de moyens d’expression dans ce même espace médiatique international. Nous en sommes loin. Et les médias historiques dominants sont aussi ceux de l’espace couvert prioritairement par le monde dit « occidental ». C’est d’ailleurs bien dans ce cadre que, progressivement, se développe un « journalisme international », sur lequel il y a tout lieu de demeurer réaliste par rapport à ses perspectives et retombées en termes de réception-perception. Participant d’abord du contexte économique des entreprises médiatiques qui les emploient et de leurs choix éditoriaux, cette forme de journalisme s’adresse prioritairement, sauf exception, à des élites nationale et internationales relevant des domaines économiques et industriels, des échanges culturels ou sportifs, des multiples activités des organisations non gouvernementales, etc. Et le « journalisme européen » se place dans une dynamique comparable à bien des égards[[En décembre 2008, est paru sur le sujet un ouvrage réalisé par un spécialiste du métier qui, à partir de ses observations du milieu professionnel, en dresse les aspects positifs mais aussi les limites. Cf. Jean-Paul MARTHOZ, Journalisme international, De Boeck, Bruxelles, 2008. Sur les journalistes européens, leurs cadres de travail et interrogations, cf. Gilles ROUET (dir.), L’Europe des journalistes, Bruylant, Bruxelles, 2009.]].

Bien que l’Internet ait développé des lieux d’expression et de communication dont on ne saurait encore mesurer toute l’ampleur en matière de résultats et de pratiques, force est de reconnaître, d’une part, que l’espace public international en évolution est encore grandement sous la coupe des précédents et que, d’autre part, les blogs – en tant que symboles des nouveaux usages de communication a priori participative – sont encore loin de pouvoir constituer un « espace public » partagé, même restreint, au sens où cette expression s’est communément établie depuis les analyses de Jürgen Habermas[[Jürgen Abermas. L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1992, traduction de Strukturwandel des Öffentlichkeit, Hermann Chterhand, Verlag, 1962. L’auteur a poursuivi ces réflexions sur « l’agir communicationnel » et les conditions éthiques des dialogues et débats. Cf. Theorie des Kommunikativen Handelns, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1981, traduit par Jean-Marc Ferry, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, Paris, 1987 ; également Morale et communication, Cerf, Paris, 1991 (trad. et introd. de Christian Bouchindhommme) ; De L’Ethique de la discussion, Cerf, Paris, 1992 (trad. de Mark Hunyadi).]].

Pour une collectivité humaine culturellement identifiée, la somme de ces blogs ne saurait donc constituer un espace public démocratique, a fortiori quand celui-là est supposé s’étendre à la planète entière ! Ce qui nous conduit à rappeler que l’« espace public » en évolution et jamais figé (l’Öffentlichkeit d’Habermas, à savoir ce qui est rendu public, officiel, évident) est également celui de l’« indistinction », de la « confrontation » et de la « mise en scène » entre un ordre social et ses représentations, réelles ou symboliques, et une propension au désordre propre à l’évolution du « social ». Théoriquement ouvert à tous, cet espace – celui du peuple suivant l’étymologie – demeure le lieu où s’affrontent les influences politiques, économiques et culturelles. Vaste sujet qui, à l’échelle planétaire, suppose de nombreux débats de fond, sur la nature de la production de l’information et des prises de position sur les faits d’actualité mis en avant par les divers types de médias, mais aussi sur les limites de la communication publique !

Si, pour mettre en place des supports d’information fondés sur des valeurs différentes de celles véhiculées par les médias d’Occident, des prises de consciences émergent dans d’autres régions de monde, à la suite, notamment, des chaînes d’information arabes créées à la suite de la guerre du Golfe de 1991 afin de contenir l’effet de la chaîne CNN International, tous les Etats n’ont pas encore eu les moyens de lancer de nouveaux médias, en particulier dans l’audiovisuel. Car le support qui compte à cette échelle demeure encore bien celui-ci en raison du sens et de l’emprise de l’image par rapport à l’écrit. La volonté d’être présent dans l’espace médiatique international, avec ses propres spécificités culturelles et ses traditions politiques fortes, a été réaffirmée par la France dans la réorganisation de ses sociétés audiovisuelles extérieures. D’autres Etats sont sur la même voie pour s’y affirmer et/ou s’y défendre, notamment pour compenser les discours, clichés ou stéréotypes les concernant. Cela a été le cas de la Chine lors des Jeux olympiques de l’été 2008 : sa présence dans le dispositif du marché mondial des images lui a permis de les contrôler en partie et, surtout, de calmer l’attrait des médias occidentaux pour les mouvements de contestation alors émergeants, dont ceux relatifs au Tibet.

Alors que le présent volume de l’AFRI passe le cap d’un nombre symbolique, le lecteur peut apprécier cette rubrique, dont le contenu ne saurait se comparer avec l’offre de ses médias habituels sur les questions internationales. Comme pour les autres rubriques, il s’agit de vouloir comprendre un environnement ainsi désigné et les jeux des acteurs concernés au premier chef. Les sujets retenus ici, d’une année à l’autre, ne relèvent pas systématiquement de la médiatisation de l’actualité. Des « silences » ou thèmes peu abordés dans l’univers des médias[[Cf. Gérald ARBOIT / Michel MATHIEN, « Non-vu et non-dit dans la médiatisation de l’actualité internationale. Une application de la ‘spirale du silence’ », Annuaire français de relations internationales, vol. IX, 2008, pp. 833-846.]] y trouvent leur expression ou regard critique dans une perspective constructive, voire interpellative pour les spécialistes, les chercheurs, les acteurs concernés ou les personnes curieuses des problèmes de leur environnement de vie à plus ou moins grande échelle.

DES SUJETS PROBLEMATIQUES

Ainsi, le premier article de la rubrique porte sur un thème traité à plusieurs reprises dans l’AFRI, celui de la médiatisation des conflits. Toutefois, l’angle retenu cette fois-ci engage son auteur dans une voie guère traitée, à savoir le respect du droit humanitaire dans la médiatisation des récents conflits armés, a fortiori lors des « opérations de paix ». Sujet délicat et difficile que traite Benoît d’Abboville, qui dispose d’une expérience assurée, de par ses responsabilités passées à l’OTAN notamment, pour en mesurer les enjeux. Surtout quand on sait que les conflits armés font souvent fi du droit et que les médias présents sur le terrain des opérations ont aussi leurs propres intérêts à défendre. L’action des organisations non gouvernementales n’en est guère facilitée pour les diverses raisons analysées dans cette réflexion globale sur le sujet.

Autre perspective, dans la poursuite de celle ouverte dans le précédent volume de l’AFRI[[Taïrou BANGRE, « Le journalisme et la question de la responsabilité sociale dans les pays africains. Nécessité d’appropriation des valeurs éthiques et déontologiques », Annuaire français de relations internationales, vol. IX, 2008, pp. 847-857.]] : l’avenir des médias et du journalisme en Afrique[[Relevons la publication, en 2008, d’Annie LENOBLE-BART / André-Jean TUDESQ (dir.), Connaître les médias d’Afrique sub-saharienne. Problématiques, sources et ressources, un guide de lectures et de recherches qui permet d’engager des études et de dresser des tableaux de la situation des espaces africains francophones, francophones et lusophones.]]. Si les préoccupations se manifestent de plus en plus au sein de ce continent, cela relève bien de constats de pratiques discutables et discutées. Les publications se développent progressivement in situ, ce qui est un gage de crédibilité, mais aussi d’espérance dans le progrès dû à l’information et à la communication publique[[Cf. Usages innovants des TIC en Afrique : la presse au cœur de l’analyse, Dakar, 2008, ouvrage collectif relevant de l’Institut PANOS de l’Afrique de l’Ouest (IAPO), une OING créée en 2000, dans laquelle 27 journalistes analysent les pratiques de l’information dans 11 Etats.]]. Le cadre de l’exercice des professionnels est posé de plus en plus. Qu’ils agissent au sein des médias historiques ou des offres nouvelles permises par l’Internet ! Christine Simon dresse un tableau peu réjouissant de la situation courante des journalistes, notamment dans la région sub-saharienne, mais elle souligne l’importance accrue que prend la formation des professionnels de l’information, en particulier en République démocratique du Congo. Une situation qui, à bien des égards, rappelle les problèmes rencontrés dès le XIXe siècle, lors de l’essor de la presse dans les pays développés, où l’activité d’information est passée des amateurs à des professionnels s’affirmant de plus en plus comme tels. Elle pointe, in situ, les actions de formation qu’elle a pu mener elle-même, en attendant la relève des universités et des écoles, comme cela a été le cas en Europe dans le passé. Autrement dit, les Etats africains concernés, dont celui cité au premier chef, ont encore des progrès à faire pour faire émerger des médias appropriés dans l’espace médiatique international devenu un enjeu de reconnaissance, notamment sur les registres des droits de l’homme, de l’éthique et de la déontologie.

Toutefois, la référence à l’Occident comme modèle en matière d’information publique ne saurait non plus faire totalement illusion. La logique économique et financière, avec ses aspects dynamiques, ne saurait esquiver des dérives et interrogations sur les discours et pratiques des dirigeants de grands groupes médiatiques ayant même pris une dimension internationale. Conrad Black, « bâtisseur d’un des plus grands empire dans le domaine des communications » (dixit) au Canada, en Europe et dans le monde, était fier de lui et de ses actions de conquête de groupes de presse en partant notamment de l’épicerie ! Et il ne se privait pas de donner des leçons de journalisme aux professionnels concernés, mais également de politique aux politiciens[[Cf. son ouvrage autobiographique et de communication personnelle, Conrad BLACK, Conrad Black, Québec-Amérique, Montréal, 1993.]]. PDG de Hollinger Inc., dont il a transféré le siège aux Etats-Unis, puis devenu Lord de sa Très Gracieuse Majesté britannique après avoir abandonné sa nationalité canadienne, il s’est fait condamné pour fraude par un Tribunal de Chicago et purge sa peine de 6 ans et demi de prison en Floride… Il est vrai qu’il n’avait pas réussi à contrôler la justice des Etats-Unis, voire à l’esquiver, comme cela est reproché à un chef de gouvernement en vue en Europe (l’Italien Silvio Berlusconi)… François Demers, qui connaît bien le contexte culturel du Canada et ses mentalités économiques, fait une analyse pertinente du parcours de ce personnage public, qui a perdu une « bataille de la finance ». Il est vrai que d’autres n’ont pas été gagnées par la suite sur ce même continent.

Enfin, une fois encore en raison de l’actualité française et de la politique étrangère revue à ce sujet depuis le changement de Président de la République en 2007, Gérald Arboit revient sur le nouvel épisode de ce qui est devenu un quasi-feuilleton annuel[[Cf. son premier article « La chaîne d’information internationale pour la France. Perspectives d’un projet déjà ancien », Annuaire français de relations internationales, vol. V, 2004, pp. 464-481.]]. Celui de France 24, ce projet relancé au début de son second mandat présidentiel par Jacques Chirac. Le cadre actuel est celui de la réorganisation de l’audiovisuel extérieur sous une même entité, France Monde. L’entreprise n’est pas achevée, mais elle interroge sur l’avenir. Notamment sur le registre de sa perception à l’étranger et non seulement au sein de la francophonie. En l’occurrence, elle interpelle déjà l’image de la France dans l’espace médiatique international. Cela n’est pas nouveau non plus en soi.