Introduction

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La réélection de Barack Obama n’a pas entraîné de modifications importantes du rapport entre la présidence et le Congrès : le Sénat demeure à majorité démocrate – même si celle-là est plus limitée que lors du 112 e Congrès – et la Chambre des représentants conserve une majorité républicaine unie dans son opposition à la présidence. Depuis 2010, Obama est donc dans une situation politique particulièrement délicate, où il doit négocier pied à pied pour la moindre de ses propositions. Cette configuration – dite « divided government » – est fréquente depuis la fin des années soixante, mais la division entre les deux chambres (divided Congress) est plus rare – le dernier précédent remonte à la présidence Reagan entre 1980 et 1986. Elle donne de la visibilité à une caractéristique peu notée de la politique américaine, le bicamérisme égalitaire.

Cette section comporte donc un article de James McCormick, professeur de Relations internationales à l’Université d’Iowa, qui traite du rôle du Sénat en politique étrangère en général et plus précisément de son impact sur la diplomatie de Barack Obama. La très grande majorité des analyses du Congrès en politique étrangère porte sur le pouvoir législatif dans son ensemble, sans faire la distinction entre les deux chambres. Or il est nécessaire de relever les spécificités sénatoriales. Lors du précédent des années Reagan, la nouvelle administration républicaine avait tenté d’utiliser la chambre haute comme une rampe de lancement pour son programme (par exemple, l’Initiative de défense stratégique fut d’abord présentée au Sénat), afin de faire pression sur une chambre basse fermement aux mains des Démocrates. Sous la présidence Obama, comme le rappelle J. McCormick, l’influence sénatoriale dépasse largement les compétences constitutionnelles qui lui sont attribuées. Les pouvoirs exclusifs du Sénat en termes de ratification des traités – une majorité extraordinaire des 2/3 des sénateurs présents est nécessaire – et de nominations présidentielles jouent en apparence à l’avantage de la présidence. Les échecs directs sont rares et les présidents sont constamment à la manœuvre pour faire adopter leurs initiatives. Pourtant, ces compétences exclusives du Sénat ne résument pas l’influence sénatoriale.

La chambre haute influence la diplomatie des Etats-Unis d’abord et avant tout par son refus d’agir et sa capacité de blocage. Au-delà du nombre de traités ratifiés et des nominations confirmées, il faut tenir compte du nombre de traités qui n’ont pas été présentés ou qui ont été oubliés au fin fond d’une sous-commission quelconque. Il en va exactement de même pour les nominations, où le Président, voire les candidats eux-mêmes, comme Susan Rice en janvier 2013 quand elle fut pressentie pour remplacer Hillary Clinton au poste de Secrétaire d’Etat et qu’elle se retira devant l’opposition montante au Sénat. J. McCormick peut ainsi conclure sur le pouvoir indirect du Sénat ou son influence « cachée » : les acteurs directement concernés, principalement le Président, anticipent de telles difficultés au Sénat qu’ils préfèrent tenter de le contourner. Une part essentielle de ces difficultés tient à la simplicité de l’obstruction procédurale au Sénat. L’article aborde plusieurs de ces procédures, la plus connue étant celle de la « flibuste » (filibuster) : chaque sénateur a en effet la possibilité de parler aussi longtemps qu’il/elle le désire sur un texte et il n’existe aucun moyen de limiter le débat, sauf en votant une « clôture » par une majorité des 2/3, soit 67 sénateurs. Si la « clôture » est votée, alors le vote final sur la mesure débattue peut avoir lieu. Si ce n’est pas le cas, le débat s’enlise et la mesure a toutes les chances d’être retirée par le responsable de la majorité. La présidence a donc une panoplie de moyens à sa disposition pour limiter l’impact du Sénat. La multiplication des « accords exécutifs » (executive agreements) est ainsi un des moyens favoris de l’exécutif pour éviter les contraintes du parcours sénatorial pour un traité. Les présidents n’ont maintenant recours à la procédure que pour des textes qui engagent le pays sur des enjeux importants (par exemple, Clinton sur le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1999 ou Obama pour le nouveau Traité START avec la Russie).

En dépit de ces blocages institutionnels, la présidence Obama a engagé des réorientations majeures de la politique étrangère des Etats-Unis. L’article de Stéphane Taillat, docteur en Histoire politique et enseignant à l’Ecole militaire de Saint-Cyr, analyse les stratégies américaines en Iraq et en Afghanistan. Après en avoir rappelé les incohérences et les hésitations, il s’interroge plus largement sur l’utilité de la force et la pertinence de la puissance militaire dans la politique étrangère. Pour lui, le bilan de ces deux guerres semble conduire à un rejet de futures interventions et à l’adoption d’un modèle de « guerres de l’ombre » ou des « guerres par procuration », c’est-à-dire de stratégies indirectes d’usure contre les organisations menaçant de créer des sanctuaires à partir desquels seraient planifiés des attentats contre les Etats-Unis. Le choix du président Obama de s’engager en Libye de manière limitée (1) et ses réticences vis-à-vis de la crise syrienne semblent montrer une réelle désaffection des élites politico-militaires et médiatiques pour des interventions de longue durée.

Si les engagements en Iraq et en Afghanistan indiquent bien une certaine relativisation de la puissance américaine, ils démontrent aussi plus largement les failles, voire les faillites, des missions de rétablissement, de maintien ou de construction de la paix et de l’Etat menées depuis le début des années 2000. En revanche, ils ne semblent pas avoir sapé les prétentions américaines au leadership global, quelle que soit la forme prise par ce dernier.