Introduction

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L’année 2012 fut une année d’élections ou de renouvellementsinstitutionnels dans nombre de puissances importantes de la scène internationale (Etats-Unis, France, Russie, Chine, Japon, etc.). Il ne faudrait pas en conclure néanmoins que les politiques juridiques de ces Etats et – par ricochet – de l’ensemble de la « communauté internationale » furent marquées par de l’attentisme ou de la prudence. Plusieurs provinces du droit international se trouvèrent au cœur de vives discussions, qu’il s’agisse, entre autres, de l’environnement, avec la tenue de la Conférence Rio+20, de la justice, avec les premiers verdicts de la Cour pénale internationale, ou de l’humanitaire, avec la multiplication des réflexions sur le régime juridique du recours aux drones. Bref, les controverses demeurent nombreuses et l’analyse nécessairement sélective.

Pour rappel, la présente chronique entend revenir régulièrement sur la pensée d’un grand internationaliste, en particulier sur les aspects juridiques de son œuvre, discuter de la diplomatie normative d’un Etat donné et s’intéresser sur un point fort de la régulation juridique des relations internationales au cours de l’année étudiée. Cette année, la première contribution fait « coup double » en appréciant l’œuvre de la Cour pénale internationale – dont on célébrait cette année les dix ans d’exercice – à la lumière des thèses d’Hans Kelsen ou de Carl Schmitt, « l’ange blanc » et « l’ange noir » selon la formule de Blandine Kriegel. La seconde contribution vise quant à elle à éclairer les relations entre la Russie et l’Europe prise au sens large.

En premier lieu, la Cour pénale internationale a donc rendu ses deux premières décisions sur la culpabilité ou l’innocence d’un homme dans deux affaires relatives à la situation en République démocratique du Congo. Le 14 mars 2012, Thomas Lubanga Dyilo était reconnu coupable de crimes de guerre et condamné quelques semaines après à une peine de 14 ans d’emprisonnement. Le 18 décembre 2012 en revanche, Mathieu Ngudjolo Chui fut acquitté des charges retenues contre lui. Il a donc fallu attendre dix ans pour ces premières décisions majeures, qui ne sont néanmoins pas définitives, puisque les deux cas se trouvent désormais au stade de l’appel. La faible quantité et les conclusions surprenantes de ces affaires renforcent les critiques formulées contre la Cour. On l’accuse notamment de multiplier les maladresses en Libye et ailleurs, de concentrer l’essentiel de ses activités sur des situations africaines, de coûter trop cher (plus de 100 millions d’euros par an) – d’ailleurs, nombre des parties à son Statut constitutif prônent une croissance budgétaire nulle. Pour autant, la Cour semble s’imposer comme un acteur à part entière des relations internationales, reconnu par le Conseil de sécurité, appuyé opportunément par les grandes puissances, intégré à la dimension réactive du concept de responsabilité de protéger, utilisé comme moyen de pression dans nombre de conflits – quitte à être délaissé ensuite. La CPI, autoproclamée pierre angulaire de la justice pénale internationale, aurait ainsi gagné une certaine respectabilité au prix de la sélectivité de ses poursuites. En somme et alors qu’un nouveau Procureur a été élu en 2012, il est temps de prendre du recul sur ces premières années d’existence et, peut-être, de les éclairer à la lumière de la pensée de maîtres qui n’ont pas connu la Cour mais qui discutaient déjà de l’intérêt et de la possibilité d’une telle juridiction. Philippe Currat nous fait ainsi l’honneur de nous proposer un essai sur la pensée d’Hans Kelsen et Carl Schmitt, une pensée revisitée à l’aune de l’existence et du premier bilan de la Cour pénale internationale.

En second lieu, se pose la question de la persistance du paradigme national dans les relations internationales, que certaines approches doctrinales tendent à laisser de côté. La question russe est évidemment fondamentale dans la construction d’une Europe politique et économique. On sait les débats qui eurent lieu à Moscou et à Saint-Pétersbourg depuis le XVIII e siècle entre les slavophiles, partisans d’un génie russe spécifique éloignant ce monde de l’Occident, et les européanistes, qui considéraient la Russie comme partie intégrante de l’Europe et ayant vocation à se fondre dans ce qui n’était alors qu’un espace culturel relativement rudimentaire par rapport à ce qu’il est devenu dans la seconde moitié du XX e siècle. Sans rentrer plus avant dans une analyse d’ordre historique, la contribution de R. Kasyanov nous invite à méditer en retour sur l’étrangeté des relations qui nous lient au monde russe, ni dehors, ni dedans, ni identique, ni étranger à ce que nous sommes nous-mêmes.