Introduction

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Si, en 1800, la Terre comprenait un milliard d’individus, en 1900, elle en comprenait 2 milliards. A la fin du XX e siècle, 6 milliards de personnes étaient présentes sur Terre et, depuis fin 2011, l’ONU annonce 7 milliards d’habitants. Pendant des millénaires, la population a augmenté très lentement – malgré un taux de fécondité de 6 enfants par femme, mais avec un taux de mortalité infantile élevé –, avec un solde, sur le long terme, presque nul entre les décès et les naissances, même si, à court terme à l’échelle des générations, des périodes d’abondance favorisaient l’accroissement démographique des régions concernées, alors que les temps de guerres, d’épidémies et de famines conduisaient à une perte, souvent très importante, de la population dans les pays en souffrance. Aujourd’hui, 1,5 milliard de femmes sont en âge de procréer, mais les taux de fécondité sont souvent inférieurs à 2,1 enfants par femme, seuil qui permet le simple remplacement en l’état de la population. Aujourd’hui, l’essor de l’espérance vie est le principal facteur d’augmentation de la population, ce qui va naturellement avec le vieillissement de celle-là. L’Organisation des Nations Unies prévoit une population mondiale de 9 milliards d’habitants en 2050, avec de nombreuses questions aux réponses encore floues concernant les problématiques environnementales, alimentaires, sociétales et sanitaires.

Ainsi, les habitants âgés de plus de 64 ans représenteront près de 30 % de la population mondiale (contre moins de 15 % en 2000). Certes, d’ici là, bien des événements, philosophies dominantes ou politiques démographiques renouvelées auront modifié les prospectives, notamment au niveau des nations, les estimations d’aujourd’hui pouvant être révisées aussi bien à la baisse qu’à la hausse, avec un écart-type particulièrement élevé.

En l’absence de guerres mondiales, la croissance démographique semble inéluctable, même si elle va en décélérant. Cette question a fait l’objet de nombreux débats économiques, politiques, moraux ou religieux. Au début du XIX e siècle, Robert Malthus avait averti de manière très abrupte des dangers des excès de la population, au regard de la loi des rendements décroissants. Ainsi, devant les difficultés économiques relatives au partage du gâteau, même égalitaire, il ne considérait que trois solutions : la chasteté – mais peut-on la faire observer par ceux qui, du fait de leur absence de travail, sont oisifs ? –, la famine – du fait des décès de ceux qui ne produisent pas suffisamment ou qui sont hors du système productif – et la guerre, laquelle résout une partie du problème en éliminant des bouches inutiles.

Certes, depuis cette analyse, il a été démontré que la croissance économique à long terme était la résultante de trois catégories de facteur : le travail – en intégrant son adaptation au système de production –, le capital – constitué de l’accumulation des investissements, amortissements compris – et le progrès technique. Il manque à l’appel la disponibilité des ressources naturelles consommées par l’homme, généralement utiles comme consommations intermédiaires. Si elles venaient à manquer, le progrès technique serait probablement en mesure de trouver d’autres solutions, mais celles-là pourraient s’avérer plus onéreuses ou solliciteraient du temps pour leur installation et leur intégration économique dans la société. Un autre mode de développement pourrait aussi être proposé, susceptible, à terme, de conduire, dans une de ses variantes, à l’état stationnaire déjà évoqué au XIXe siècle par Ricardo : non seulement se pose la question des nouvelles raretés « permanentes », mais aussi celles des pollutions du système productif susceptibles de modifier singulièrement l’habitat humain (avec le réchauffement climatique ou les risques industriels et politiques renouvelés).

LES CARACTÉRISTIQUES DÉMOGRAPHIQUES D’AUJOURD’HUI

Plusieurs questions sont posées aux processus démographiques du XXIe siècle, comme l’existence de structures de population non optimales, le vieillissement, la masculinisation et les migrations. Des structures de population inégales
Les familles des sociétés « traditionnelles » donnaient naissance à de nombreux enfants. Du fait de l’absence d’un système d’assurance vieillesse, les enfants avaient pour tâche de venir en aide à leurs parents âgés, mettant ainsi en application la solidarité intergénérationnelle. Le nombre élevé de naissances compensait la forte mortalité, dans un processus souvent appelé « équilibre de la misère ». Or, les améliorations des conditions de vie et des soins apportés aux épidémies et maladies ont conduit à une forte baisse du taux de mortalité. En parallèle, la baisse de la natalité ne s’est produite qu’une ou deux générations plus tard, ce qui, mécaniquement, a conduit à une augmentation considérable de la population, de l’ordre de 2 % par an pendant deux ou trois décennies. Dans les pays développés, l’amélioration des conditions de vie, les progrès de la médecine, les règles juridiques qui régissent le travail des enfants, le statut social renforcé des femmes et les lois de protection des personnes âgées ont transformé l’équation de l’équilibre de la misère qui a toujours dominé les évolutions démographiques de l’humanité. Le respect des droits de l’homme a modifié en profondeur la protection collective des individus, favorisant ainsi la longévité de leur existence. Un fort taux de croissance démographique pose cependant le problème de la répartition des revenus et des patrimoines, entre les nations, entre les groupes sociaux, entre les hommes et les femmes, entre les personnes âgées et les jeunes, sous forme d’inégalités justifiées par les économistes de la pensée dominante, souvent injustement, par une compétence reconnue par les mécanismes économique du marché qui privilégient la productivité de chaque acteur dans le processus général de la production. La plupart des pays en développement devraient connaître la fameuse « transition démographique », avec le passage d’un régime où la natalité et la mortalité sont élevées à celui caractérisé par de faibles taux de natalité et de mortalité. Seulement, comme la mortalité diminue plus vite que la natalité, la population augmente plus rapidement durant la phase initiale de la transition. Dans un second temps, la natalité diminue et le rythme d’accroissement de la population est ralenti. Pour les pays les moins avancés, la transition est toujours plus longue. Aujourd’hui, la transition démographique est encore « en marche » ou au début de sa fin dans nombre de pays.

Les pays BRICS connaissent parfois des seuils de remplacement négatifs. Ce n’est pas encore le cas pour l’Afrique subsaharienne et pour de nombreuses régions islamiques. Depuis 2009, l’Afrique, autrefois continent peu habité, a atteint le milliard d’individus (contre 180 millions en 1900 et 225 millions en 1950). Si le Maghreb semble avoir achevé sa transition démographique, l’Afrique subsaharienne maintient des taux de fécondité élevés de 4,6 enfants par femme. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette situation : d’abord, chez l’Africain, la paternité est un symbole de virilité ; ensuite, l’enfant est toujours perçu comme une richesse d’avenir ; enfin, les moyens contraceptifs ne sont pas recommandés par les religions. Cependant, le taux de mortalité général et infantile commence à diminuer, malgré le SIDA, le faible statut social de la femme, les contingences politiques défavorables, le pillage des richesses, le taux d’alphabétisation insuffisant et la famine. La dégradation de l’habitat urbain et la crise économique pourraient conduire à terme à une nouvelle baisse du taux de fécondité. L’Afrique n’en connaît pas moins une élévation progressive de la durée de vie moyenne et de l’accès à la connaissance de ses habitants, mais elle souffre du manque d’emplois industriels, de la difficulté à conserver la main-d’œuvre diplômée (exode des cerveaux) et son instabilité politique. La question démographique commence à se poser en Afrique.

Des bouleversements sociaux profonds sont à attendre, mais, compte tenu des différences de situation de pays à pays, il est difficile aujourd’hui d’en dessiner les contours. Plusieurs mouvements, pourtant, devraient être signalés, comme le développement massif des mouvements migratoires, l’exode vers les villes, la propension au développement de la violence urbaine, la dégradation de l’environnement, l’essor incontrôlé des bidonvilles à la périphérie des villes ou les conflits entre les entités politiques. Le vieillissement
En 2050, près du tiers de la population mondiale devrait être âgé de plus de 60 ans. Il en résulte des conséquences économiques, sociales et environnementales dont les réponses politiques ne sont pas encore bien connues. Le poids des oisifs devrait augmenter, même en présence d’une diminution du nombre des enfants. En France, les dépenses publiques et privées relatives aux pensions versées aux retraités pourraient connaître une forte augmentation, laquelle est susceptible de conduire à terme à remettre au goût du jour la question de l’âge légal de l’arrêt légal d’activité fondé sur l’âge. Cette décision dépendra, évidemment, d’autres critères, comme le coût global de la retraite, les nouveaux prélèvements obligatoires, la situation immédiate des caisses de retraite, le déficit public, l’importance du chômage, l’essor ou le déclin des migrations, mais aussi de l’idée que la société se fera de la discrimination dans le processus de production en fonction de l’âge du travailleur.

La politique de l’enfant unique a entraîné un vieillissement certain de la population. Les couples urbains ont une très faible fécondité, la recherche perpétuelle de biens matériels devenant au moins aussi importante que la volonté de fonder une famille nombreuse. Toutes choses égales par ailleurs, en supposant que la tendance d’aujourd’hui se maintienne dans l’avenir, la Chine aurait plus de 440 millions de seniors à l’horizon 2050. L’État et la famille constituent souvent les seuls systèmes de « protection sociale » pour la majeure partie de la population pauvre. Dans les pays où l’État est faiblement concerné par cette question, la famille risque d’être limitée et insuffisante dans son action pour subvenir aux besoins futurs des parents et aïeuls non pensionnés. En Chine, le capitalisme d’Etat n’offre aujourd’hui que peu de solutions aux travailleurs d’Etat qui prennent leur retraite, comme cela fut aussi le cas, en son temps, dans la Russie de la transition économique. Le vieillissement de la population pose incontestablement la question de l’équilibre des finances publiques et privées. Ainsi, les régimes de retraite publics par répartition se retrouveront au bord de l’asphyxie, ce qui engendrera aussi l’augmentation du nombre des personnes dépendantes et une hausse non solvable de la demande de services sociaux et de santé face à une offre défaillante.

Les conséquences commencent d’ailleurs dans le présent. Ainsi, les taux d’épargne sont élevés (quasiment 40 % du PIB en Chine), afin de préparer un futur particulièrement opaque. Il s’agit d’acheter un logement ou de préparer une retraite qui ne sera sans doute pas financée par un système public ou privé généralisé. La population active va diminuer dans les années à venir. Il en résultera une réduction du potentiel de nouvelles qualifications et une stratification organisationnelle rarement en phase avec les nouvelles réalités économiques. La productivité des entreprises devrait en souffrir dans le cadre d’une concurrence sans doute accrue. La structure du corps électoral deviendra plus favorable aux seniors, les transferts publics allant plus aisément aux hôpitaux qu’aux écoles, aux produits de confort qu’à l’innovation.

Les grands déséquilibres démographiques sont porteurs de conflits sociaux importants, de nature ethnique, mais aussi économique, au regard des inégalités de revenus et de patrimoines accrues. Les rêves de puissance militaire de la Chine pourraient embraser le monde, avec la « reconquête » de Taïwan ou des îles de la mer de Chine, même si une recherche de sinisation des zones d’intérêt vital dans le monde semble plus probable. Dans les pays développés, le vieillissement de la population sera accompagné par un nombre de jeunes (de 15 à 24 ans) en forte diminution. Dans les pays de l’OCDE, le nombre absolu des jeunes devrait passer de 176 millions en 1975 à 135 millions en 2025. En comparaison, ceteris paribus, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait atteindre près de 50 % de la population en Allemagne (16 % en 1960). Il en résultera une baisse du nombre d’années travaillées et une baisse du revenu par habitant, sans doute entre 10 et 20 % des sommes aujourd’hui reçues. La difficulté sera de créer des emplois pour les jeunes, dans un univers de plus en plus protégé et clos organisé par les personnes matures ou âgées. Les hétérogénéités dommageables dans la population
Il est possible de mettre en exergue trois déséquilibres dans la composition de la population susceptibles de soulever des problèmes sociaux importants : la masculinisation, les différences de comportement démographiques des ethnies vivant sur un même territoire et l’essor de l’urbanisation sauvage. A quoi s’ajoutent les migrations. La masculinisation
Avec la politique démographique de « l’enfant unique » promue déjà pendant la période de Mao Tse-Toung, la Chine connaît un déséquilibre important avec la naissance de 55 % de garçons. La société chinoise considère traditionnellement le garçon comme garant de la famille, celui qui doit s’occuper des parents âgés. Il en résulte une mortalité importante par infanticide des filles. De ce fait, un nombre important d’hommes ne trouvera pas d’épouse d’ici à 2020, ce qui ne manquera pas de soulever des problèmes sociaux et de « migration » de jeunes filles. Aujourd’hui, il y a 34 millions d’hommes de plus que les femmes, souvent dans la population la plus jeune. Le déficit de femmes est important dans les régions rurales du centre du pays. Les inégalités ethniques des taux de naissance
Les taux différenciés de la population démographique sont à l’origine de conflits sociaux importants. Dans les pays développés, les « migrants » sont généralement plus prolifiques en naissance que les autochtones, ce qui ne manque pas de créer des problèmes éducatifs et d’intégration non négligeables, notamment pendant la période scolaire. Les efforts accomplis pour l’alphabétisation et même la scolarisation ne sont pas toujours suffisants pour favoriser l’intégration des élèves par un accord tacite aux valeurs sociétales du pays d’accueil. En France, les statistiques « ethniques » sont normalement interdites, mais on peut s’interroger sur la question des taux de fécondité différenciés entre les populations autochtones ou d’origine étrangère pour mieux comprendre le « malaise scolaire », avec une inadaptation des contenus aux attentes de chaque population et des comportements sociétaux à prendre en compte dès lors qu’ils sont différents dans les traditions de chacun. Lorsque la population augmente, les demandes relatives en termes de santé, d’éducation ou de bien-être croissent également, avec une violence plus ou moins bien contenue devant le développement de leur insatisfaction. Les jeunes sont souvent relégués au chômage, ce qui peut accroître la probabilité de l’émergence d’une force politique explosive et subversive ou d’une marginalisation dans la délinquance. L’urbanisation
Le taux de croissance rapide des populations urbaines est important. En Afrique, il y avait 5 % de la population vivant dans un espace urbain en 1900, 20 % en 1960, 40 % en 2010. L’augmentation devrait croître au rythme de 4 % l’an jusqu’en 2025, avec une multiplication des villes et les problèmes sociaux d’intégration et de constructions afférents. Cette croissance urbaine est liée à la recherche d’un emploi, au souhait d’un meilleur accès à l’éducation et aux soins médicaux et à l’attrait de la vie urbaine. Or, les villes ne sont pas équipées sociétalement pour répondre à l’ensemble de ces aspirations. S’il existe des économies d’échelle en termes de transport, de soins et d’équipements collectifs, les contraintes financières et technologiques de leur mise en place ne sont que rarement résolues en temps utile, conduisant ainsi à des goulots d’étranglement qui favorisent le développement de la misère. Les squatters entourent les villes, près de 4 personnes sur 10 vivant dans des établissements complètement informels. Les migrations
Les migrations vont s’accélérer au XXIe siècle. Plusieurs caractéristiques doivent être mises en avant. Ces migrations auront plusieurs motifs. D’abord, la masculinisation de la population excessive dans certaines régions du monde pose le problème de l’importation éventuelle de femmes destinées à construire une famille. Ensuite, le vieillissement de la population produit une demande de nouveaux migrants pour limiter le poids des inactifs et relancer la vitalité de l’économie : la question qui se pose est de savoir comment contrôler cette migration souvent « sauvage » et comment satisfaire au mieux, avec cette main-d’œuvre, la demande des acteurs économiques nationaux. De plus, les effets de l’exode des cerveaux restent un sujet d’inquiétude important pour les pays aux revenus particuliers insuffisamment compétitifs. Selon la théorie de « la bosse », le taux de migration progresse avec le développement économique. Ce n’est qu’après le sommet de la « bosse » que le désir de migration perd de son intensité. Il en résulte une perte de population pour le pays de départ et des problèmes parfois importants d’intégration des immigrés dans les pays d’arrivée, notamment avec l’afflux de nombreuses cultures. Ces évolutions supposent la mise en place de politiques économiques et sociales adaptées, à la fois sur les marchés du travail, mais aussi sur les actions à entreprendre susceptibles de favoriser l’intégration des nouveaux migrants. Enfin, dans les pays en développement, les questions politiques et sociales sont soulevées entre les différents groupes ethniques (Rwanda, Kenya), religieux (Nigeria, Mali, Côte d’Ivoire) et linguistiques. Il en résulte des guerres civiles violentes potentielles.

LA PRESSION DES VARIABLES DÉMOGRAPHIQUES SUR LES ECONOMIES NATIONALES

La « loi des rendements décroissants » a été l’une des premières lois de l’économie politique, une sorte de « loi d’airain », qui conduit inéluctablement à une économie stationnaire dans laquelle chaque personne vit au niveau du minimum vital, si la population n’est pas capable d’être régulée. Dans ce contexte, ce n’est pas le développement économique qui est la cause de cette situation ultime, c’est l’excès de population. D’autres analyses ont plutôt insisté sur la capacité humaine à réinventer le monde par l’innovation technologique et l’évolution des besoins des hommes et à rendre caduque la loi des rendements décroissants. Enfin, ces analyses ont été combinées, soit pour considérer qu’il ne faut pas gaspiller les ressources naturelles en choisissant un autre mode et un autre rythme de développement, soit pour affirmer qu’à terme l’esprit aventureux des capitalistes s’épuisera et qu’un socialisme d’Etat gèrera une stagnation économique qui ne se situera pas cependant au minimum vital (Schumpeter). Il en résulte que plus la population se développe et plus la loi des rendements décroissants s’impose, sauf à la combattre par l’augmentation de la productivité, par les découvertes technologiques, par l’utilisation de ressources renouvelables ou recyclables. La démographie, un facteur essentiel du potentiel de développement économique des Etats
Après les années 1980, les fortes fluctuations et la baisse du prix des matières premières ont été partiellement favorisées par les politiques monétaristes et néolibérales, la stagnation de la demande des pays développés et l’effondrement des prix à l’exportation qui en a résulté. Les plans d’ajustement structurels du FMI ont réduit les potentiels de croissance des pays en développement, provoquant ainsi une baisse du pouvoir d’achat, au regard d’un taux de fécondité toujours élevé, notamment en Afrique subsaharienne. L’augmentation de la population accroît la part de l’épargne et de l’investissement – qualifié justement de « démographique » par Alfred Sauvy – au-delà du maintien du niveau de vie. Les ménages consacrent près de 80 % de leur budget à l’alimentation, contre moins de 15 % dans les pays développés. De ce fait, les facteurs qui améliorent le niveau de vie des populations ne sont guère soutenus et l’investissement économique est alors défavorisé. En outre, l’accroissement démographique trop élevé soulève des problèmes sanitaires et environnementaux spécifiques, avec une dégradation du milieu de vie (destruction des écosystèmes, dégradation des sols arables, déforestation ou pénurie d’eau) et des moyens insuffisants pour faire face aux épidémies et aux soins nécessaires aux enfants en bas âge.
Les pays s’enfoncent alors dans une récession économique et sociale aggravée par un niveau de développement déjà insuffisant.
Depuis 2007, le monde instable et précaire des pays en développement est sous la menace d’une grave crise alimentaire, avec une forte augmentation du prix des produits alimentaires (plus du doublement du prix du blé, du riz ou du maïs, par exemple). Aujourd’hui, près d’un milliard de personnes souffre de la faim chaque jour, provoquant des émeutes. Pour l’ONU, 37 pays sont menacés de crise alimentaire latente ou irruptive. En apparence, la faible productivité de l’agriculture de substance, la sécheresse, les difficultés d’accès à la terre ou l’insuffisance constante des revenus expliquent la faim dans le monde, mais c’est oublier un peu vite les mécanismes économiques qui favorisent l’expression de ce cercle « vicieux », auquel se trouvent confrontés quotidiennement 15 % de la population mondiale, dans un monde qui n’a jamais recelé autant de richesses. Il faut ajouter les causes systémiques, comme la crise financière mondiale, qui a conduit à de nouvelles spéculations sur les produits alimentaires de base, l’essor de la consommation de viande qui augmente la demande de céréales, la désertification des sols, le soutien des pays développés à leur agriculture (cf. la guerre du coton), le développement des biocarburants, l’accroissement des déchets et des pollutions ou la surexploitation des ressources renouvelables. Les écosystèmes ne peuvent pas survivre en étant surexploités ; il faut donc réfléchir à la question du partage des ressources entre les hommes et avec la nature. Le développement économique actuel permet l’accumulation de nouvelles richesses, très inégalement réparties, ce qui conduit aussi à une accumulation de déchets (pollution de l’eau, de l’air ou de la terre) et de processus productifs (nucléaire, par exemple) dangereux. Pour les pays développés ou émergents, la démographie pose une triple question : la nécessité à long terme du renouvellement de la population par une fécondité maintenue à un niveau suffisant, le vieillissement de la population analysé aussi en termes de retraite et de coûts supplémentaires de la main-d’œuvre et le ratio entre population active et inactifs. Aujourd’hui, les structures démographiques des Etats sont très différentes : certaines sont très favorables au développement économique à court terme, mais elles sont plus préoccupantes à long terme (Allemagne ou Chine) ; d’autres ont une charge d’inactifs élevée, notamment en termes de retraités, ce qui ne manque pas de devenir un frein important au dynamisme économique et aux disponibilités financières pour l’investissement. En Allemagne, la population en âge de travailler restera stable de 2005 à 2015, puis elle diminuera rapidement, ce qui pourrait enrayer l’efficacité de la machine exportatrice allemande, sauf à faire appel à l’immigration. En 1990, le Japon était le pays donné en exemple pour son dynamisme économique, mais depuis, devenu le pays le plus vieux du monde, il connaît aujourd’hui une croissance faible : l’économie japonaise doit développer de nouvelles ressources humaines pour faire face à l’accroissement des charges des retraités et des soins de santé. La structure traditionnelle japonaise est menacée, car l’appel à la main-d’œuvre étrangère, déjà bien engagée, la remet partiellement en cause. Ces tendances à long terme interrogent de plus en plus les investisseurs. La population des Etats-Unis devrait passer de 310 à 420 millions d’habitants de 2010 à 2050, faisant de ce pays la plus grande puissance économique et financière mondiale, malgré d’énormes déficits commerciaux et budgétaires, le troisième pays le plus peuplé du monde. Cependant, sa démographie présente une structure satisfaisante pour l’avenir. Si les « seniors » représentent aujourd’hui 18 % de la population, ils seront moins de 25 % en 2050 (contre près de 50 % pour l’Allemagne, hors processus de migration organisé). La démographie américaine dispose d’un taux de natalité élevé pour un pays développé, avec un seuil de remplacement des générations satisfaisant. Ajoutons que les Etats-Unis mènent une politique d’immigration en phase avec leurs contraintes économiques, ce qui favorise l’essor des entreprises de haute technologie et le recueil d’investissements étrangers élevés en cas de difficultés du système économique de marché.

La Chine dispose d’une pyramide des âges très étranglée à la base. Aujourd’hui, la situation démographique chinoise est très favorable, avec une population active très élevée, ce qui lui a permis de multiplier par 10 son revenu national par habitant en un peu plus de deux décennies. La situation démographique devrait maintenant réduire rapidement cet avantage, au regard de la politique de l’enfant unique initiée il y a plus de quatre décennies. Il existe un décalage entre le début de la « révolution » démographique et l’apparition d’un développement économique à taux élevé, l’âge moyen de la population passant de 30 ans en 2010 à 45 ans en 2050. La Chine va connaître un nombre de plus en plus élevé de retraités, parallèlement à une pénurie de jeunes travailleurs. Il doit en résulter une tension sur le marché du travail conduisant à une augmentation des salaires et à une politique d’immigration destinée à la fois à accroître la main-d’œuvre disponible, mais aussi à compenser une nouvelle « fuite des cerveaux ». Dans ce contexte, la perte de productivité est une menace importante pour la pérennité du développement économique de la Chine. Réinventer le lien entre la population et le développement économique
Il s’agit donc de réinventer le développement économique, en s’appuyant de moins en moins sur les ressources non renouvelables, souvent d’origine minérale, comme le charbon, le pétrole, le gaz naturel ou certains minerais métalliques. Le recyclage des matières premières a connu une accélération très importante depuis les trente dernières années, au point de rendre certains matériaux disponibles pour plusieurs siècles (mercure, plomb, fer et même cuivre). Cependant, même pour les ressources renouvelables, quelques raretés peuvent aussi apparaître, notamment l’utilisation des terres arables, la demande excessive de certaines terres d’habitation ou les choix entre la consommation des hommes ou la transformation de biens cultivables en énergie, par exemple.

La crise d’aujourd’hui fait référence indirectement aux questions de la transition démographique. L’Allemagne et la Chine bénéficient d’arguments démographiques suffisamment importants pour disposer de conditions de concurrence particulièrement favorables. Pour conserver cet avantage, ces deux pays doivent trouver des solutions idoines à l’évolution défavorable de leur pyramide des âges, qui peuvent en partie résider dans le recul de l’âge de la retraite, la réduction du coût des pensions, l’appel à la main-d’œuvre étrangère jeune, au risque de modifier singulièrement la composition ethnique de la population au bout de deux ou trois générations. La croissance économique peut aussi dépendre de l’accélération du progrès technique et des processus dynamiques d’accumulation qui échappent à la loi des rendements décroissants. Cependant, ces processus ne se développent pas de manière idoine dans tous les pays. Si l’ensemble des entreprises parie sur le progrès technique, la concurrence mondiale ne permet pas toujours une localisation adaptée des systèmes de production en faveur des pays aux difficultés économiques croissantes. Pour échapper à la loi des rendements décroissants, l’investissement sur le niveau d’éducation et des connaissances scientifiques et techniques peut être engagé. Cependant, il s’agit d’une volonté d’action qui n’est pas toujours couronnée par une réussite correspondant aux objectifs poursuivis. Avec l’afflux de nouvelles bouches à nourrir, la crise alimentaire dans les pays en développement reste une menace considérable, avec de forts coûts humains. Le changement de pratiques agricoles semble indispensable, comme l’a démontré la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), mais les Etats, embourbés dans les revendications de leurs producteurs nationaux, restent très frileux pour apporter une solution durable à cette situation. La politique proposée consiste à relancer les cultures vivrières locales, à accroître les productions avec des méthodes durables, à arrêter les subventions agricoles pour les pays développés, à désengager les produits alimentaires de base de la spéculation boursière, à limiter la production de biocarburants et à protéger les terres arables des excès de l’urbanisation. On sait aujourd’hui qu’une aide de 2 milliards de dollars en faveur des agriculteurs des pays en situation alimentaire déficitaire éliminerait la faim dans le monde.

Aujourd’hui, l’ouverture internationale des capitaux est bien plus forte que celle des hommes au travail. Des choix importants doivent être opérés par les Etats pour résoudre les questions des migrations et de la réduction des poches de pauvreté. Il est nécessaire d’anticiper les effets des changements démographiques, de développer la solidarité intergénérationnelle et de favoriser dès le départ l’intégration des travailleurs migrants et de leur famille. Dans certains cas d’insuffisance de main-d’œuvre au regard des technologies disponibles, il faut encourager l’accès ou le retour à l’emploi de personnes inactives, soit par une formation complémentaire, soit par des aides personnalisées ad hoc – notamment pour les retraités disposant d’une pension. De même, la précarité doit être combattue, au même titre que les disparités géographiques et sociales excessives.

Au fond, le partenariat des Etats s’impose. L’Organisation des Nations Unies avait ciblé, le 8 décembre 2000, les Objectifs du millénaire fondés sur la mise en place d’un développement durable mondial. Huit objectifs étaient présentés :

  • 1) la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, en limitant de moitié la portion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour ;
  • 2) assurer l’éducation primaire pour tous ;
  • 3) promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes ;
  • 4) réduire la mortalité infantile ;
  • 5) améliorer la santé maternelle ;
  • 6) combattre le VIH et d’autres grandes maladies ;
  • 7) assurer un environnement durable dans les politiques nationales ;
  • 8) mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

La question de la démographie a été abordée par ses composantes, comme la santé maternelle, la mortalité infantile, le genre ou l’éducation. On peut penser que la mise en place d’un partenariat mondial suppose aussi la gestion concertée des problèmes de migration. Cependant, il n’est pas fait état de la relation à long terme entre les facteurs démographiques et le développement durable dans toutes les parties du monde. Au fond, les appels à la solidarité entre les hommes se heurtent encore et toujours aux exigences de la concurrence des firmes et à la compétition entre les Etats.