ThucyBlog n° 12 – La judiciarisation de la stratégie palestinienne de reconnaissance d’un État de Palestine : l’exemple de la Cour pénale internationale

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Par Insaf Rezagui, 20 février 2020

« Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces » écrivait Jean-Paul Sartre. Le dossier palestinien n’échappe pas à cet adage. Depuis l’adoption de la résolution 181 le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale des Nations Unies qui met en œuvre le Plan de partage de la Palestine mandataire, divers moyens ont été déployés par les Palestiniens pour obtenir la reconnaissance d’un État de Palestine, alors même que la solution à deux États fut un temps rejetée par les États arabes limitrophes. La plupart sans succès. L’outil juridique est l’un d’entre eux, actuellement utilisé par les responsables palestiniens. Historiquement, le recours au droit et au multilatéralisme n’était pas au cœur des volontés palestiniennes. Pourtant celui-ci fait désormais partie intégrante d’une nouvelle stratégie palestinienne, remplaçant d’autres stratégies inefficaces. Après la guerre et les négociations bilatérales, voici le recours au multilatéralisme avec la judiciarisation du dossier palestinien.

Le recours au multilatéralisme, la stratégie de la dernière chance pour les Palestiniens 

Le recours au multilatéralisme est récent. Avant lui, le recours aux armes et à la guerre a été privilégié, à la fois par les Palestiniens et par les armées arabes voisines. Ainsi, au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, par le futur Premier ministre israélien, David Ben Gourion, la première guerre israélo-arabe débuta (1948 – 1949). Deux autres s’ensuivirent : la Guerre des Six Jours en 1967 et la Guerre du Kippour en 1973. Ces guerres ne permettent pas aux Palestiniens de faire entendre leur voix, pis encore ils perdent du territoire et affaiblissent les armées arabes (égyptienne, syrienne, jordanienne notamment), incapables de se défaire de la puissance militaire israélienne.

Face à ces échecs, les Palestiniens vont tenter de négocier directement avec les Israéliens, sous les auspices d’Etats tiers dont l’impartialité peut être mise en doute. Là encore, les échecs sont retentissants et les tribulations des Accords d’Oslo de 1993 marquent la fin du recours aux négociations bilatérales comme stratégie centrale.

Acculés, les dirigeants palestiniens décident de déborder les enceintes multilatérales et entendent montrer leur capacité à entretenir des relations internationales au sein de ces instances et auprès des États qui en sont membres.

2009 et le recours à la CPI : tournant stratégique de l’internationalisation de la cause palestinienne

Les prémices de l’établissement de cette nouvelle stratégie apparaissent avec l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice le 9 juillet 2004. Les Palestiniens deviennent alors moins méfiants à l’égard des organisations internationales et des outils juridiques internationaux.

La volonté palestinienne de judiciariser sa cause se précise le 21 janvier 2009 avec la déclaration palestinienne de reconnaissance de la compétence de la CPI, à la suite de l’Opération militaire israélienne ‘‘Plomb durci’’ dans la Bande de Gaza qui fit plus de 1 330 morts.

La déclaration de reconnaissance de la compétence de la CPI par la Palestine est alors entre les mains du Procureur de l’époque, Moreno Ocampo, qui doit déterminer la recevabilité de cet octroi de compétence. En réalité la question est bien plus large et sensible. La question posée, derrière celle de la recevabilité, est celle du caractère étatique ou non de la Palestine. Trois ans et demi plus tard, en avril 2012, le Procureur déclara sans suite l’examen préliminaire amorcé à la suite de cette déclaration. D’après lui, la qualité étatique du demandeur (si celle-ci fait débat) s’apprécie en fonction des recommandations de l’AGNU, or la Palestine n’était alors pas membre de l’ONU : « Le Bureau a estimé que c’était aux organes compétents de l’Organisation des Nations Unies (…) qu’il revenait de décider, en droit, si la Palestine constitue ou non un État (…)[1].

Le message est clair pour les Palestiniens : l’outil juridique peut être mobilisé mais il ne peut l’être sans l’appui politique d’une instance internationale : l’AGNU. Dans un contexte de désintérêt médiatique pour le conflit israélo-palestinien, la Palestine va donc se tourner vers l’AGNU et demander son adhésion en tant qu’État observateur non-membre : « L’adhésion de la Palestine aux Nations Unies ouvre la voie à l’internationalisation du conflit, envisagé d’un point de vue juridique et non politique[2]. C’est ainsi que le 29 novembre 2012, la Palestine devient un État non-membre observateur suite à l’adoption de la résolution 67/19. L’outil juridique est ainsi instrumentalisé à des fins politiques et doit permettre à terme une légitimation de la cause palestinienne pour rendre inévitable la reconnaissance d’un État de Palestine.

Le droit international pour les Palestiniens, un argument d’autorité au profit de leurs revendications

C’est ainsi que dès 2014, la Palestine dépose une demande d’adhésion à une quinzaine de traités multilatéraux : la Convention de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, etc.

Un an plus tard, le 1er avril 2015, la Palestine adhère au Statut de Rome. Au-delà des objectifs juridiques et internationaux, les dirigeants palestiniens voient dans cette adhésion la possibilité de faire oublier leurs querelles internes et les divisions intra-palestiniennes.


Avocats soutenant la Cour pénale internationale

Les Palestiniens espèrent obtenir réparation pour des crimes israéliens qui auraient été commis sur leur territoire (qu’il s’agisse des opérations militaires israéliennes dans la Bande de Gaza ou de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est) et démontrer leur capacité à agir en tant qu’État.

Le 22 mai 2018, la Palestine, sur la base des articles 13-a et 14 du Statut de Rome, a saisi la Cour en demandant au Procureur « d’enquêter (…) sur les crimes passés, présents et futurs relevant de la compétence de la CPI, commis dans toutes les parties du territoire de l’État de Palestine ». S’en suivit un examen préliminaire afin de déterminer s’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête.

Le 20 décembre dernier, dans une déclaration[3], la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a annoncé « que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l’ouverture d’une enquête étaient remplis », en application de l’article 53-1 du Statut. Cependant, au regard du caractère « unique de la situation en cause », la Procureure a demandé à la Chambre préliminaire I de se prononcer « quant au ‘‘territoire’’ sur lequel la Cour peut exercer sa compétence, et qui peut faire l’objet d’une enquête, à savoir s’il comprend la Cisjordanie, notamment Jérusalem-Est, et Gaza ». Une fois cette question tranchée par la Chambre, l’enquête pourra débuter.

Cette décision traduit donc la judiciarisation du dossier palestinien et la volonté des Palestiniens d’œuvrer, grâce au multilatéralisme, pour la reconnaissance de leur État. Ce n’est que le début de la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie, ultime chance pour eux de faire entendre leur voix. À ce titre, la requête introductive d’instance contre les États-Unis d’Amérique déposée le 28 septembre 2018 par les autorités palestiniennes devant la Cour internationale de Justice, concernant le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers Jérusalem, devrait certainement être l’un des exemples flagrants de cette judiciarisation.

[1] Rapport sur les activités menées en 2012 par le Bureau du procureur en matière d’examen préliminaire, novembre 2012, p.45, §201

[2] Mahmoud Abbas, The New York Times, 16 mai 2011

[3] Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à propos de la clôture de l’examen préliminaire de la situation en Palestine, et de sa requête auprès des juges de la Cour afin qu’ils se prononcent sur la compétence territoriale de la Cour : https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20191220-otp-statement-palestine&ln=fr