[Appel à communications]
Que sont les études stratégiques ?

Crédit photo : Ylanite Koppens / Pexel (licence CC0)

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Que sont les études stratégiques ?

Colloque du Centre Thucydide, 11 et 12 mai 2023 

Date limite de l’appel à communications : 3 mars 2023  

Le retour de la guerre interétatique sur le continent européen a replacé les questions de défense au cœur du débat politique européen. Le monde académique peut et doit prendre sa part, en toute indépendance, à ces questionnements pluridisciplinaires consacrés aux phénomènes guerriers. Né dans les premières années de la Guerre froide, le champ des études stratégiques s’est attaché à dépasser les frontières disciplinaires pour tenter de proposer les ressources et les grilles de compréhension nécessaires à l’analyse de la guerre, ce « fait social total ». Désignées comme l’étude des « effets des instruments de force dans les relations internationales » (Buzan 2007), les études stratégiques ne constituent pas un ensemble homogène, tant la définition de ce champ d’études est l’objet de controverse. Ces dernières sont parfois entendues comme le pendant francophone des War Studies, c’est-à-dire « l’étude de la guerre et de sa conduite en tant que praxis » (Henrotin, Schmitt et Taillat 2015). Elles peuvent être étendues aux Military Studies, c’est-à-dire à l’étude « du monde militaire lui-même, souvent sous l’angle sociopolitique » (idem). Parallèlement, existent également les études sur la paix ou irénologie, « centrée sur les facteurs conduisant à la paix ou à son maintien » (idem. p.15) ou par les études de sécurité, qui s’intéressent davantage à la sécurité qu’aux conflits. Les frontières entre ces ensembles sont en réalité extrêmement poreuses (Jeangène Vilmer 2017). En somme, les études stratégiques sont éminemment polysémiques. Ainsi, on n’imposera aucune définition concrète aux participants en les laissant se positionner eux-mêmes en la matière.

Les études stratégiques ne peuvent être réduites à la praxis des stratèges, qui en disposent comme d’un ensemble de ressources intellectuelles en vue de préparer la conduite du combat, ce qui relève d’une tout autre logique. Cet art stratégique ne peut être négligé (Coutau-Bégarie 2011), mais les études stratégiques sont bien plus larges, considérant la guerre comme « fait social total », à l’intersection de l’ensemble des sciences humaines et sociales, dont l’histoire, la science politique, l’économie, le droit, la sociologie, l’anthropologie, la géographie, etc. Cette liste ne saurait être exhaustive. Les sciences informatiques sont par exemple de plus en plus mobilisées par les études stratégiques, afin de comprendre les enjeux liés au cyber (Harknett et Smeets 2022). Si le fait terroriste reste au cœur des études stratégiques (Neumann et Smith 2005), le retour de la compétition de puissances recentre les études stratégiques sur la « haute intensité » (Caverley et Dombrowski 2020).

Rattaché à l’Université Paris-Panthéon-Assas, le Centre Thucydide est consacré à la recherche en relations internationales, en justice pénale internationale et en paix et sécurité internationales. Il s’ouvre désormais aux études stratégiques et décide d’y consacrer le premier colloque de son pôle, les 11 et 12 mai 2023. Ouvert à tous les chercheurs, ce colloque vise à interroger les études stratégiques dans leur diversité afin d’en explorer le champ, les espaces et les sujets. Il a pour objectif de questionner ce que sont les études stratégiques en menant une réflexion commune sur les défis théoriques, épistémologiques et empiriques auxquels elles font face. Pour ce faire, le Centre Thucydide souhaite rassembler des chercheurs de l’ensemble des disciplines explorant les études stratégiques.

Ce colloque propose d’aborder la question de ce que sont les études stratégiques en quatre axes :

1. Études stratégiques et droit

Le droit des gens puis le droit international se sont depuis longtemps saisis de la question du recours à la force armée. Là où le droit interne s’est rapidement efforcé de bannir la justice privée, le droit international est marqué depuis 1945 par une réglementation exigeante (Sur 2016), voire une interdiction (Corten 2020) du recours à la force. D’une part, la Charte des Nations Unies organise un système de sécurité collective, qui centralise en principe la décision de recourir à la force. D’autre part, les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels ainsi que le droit international des droits de l’homme encadrent strictement les techniques et méthodes de guerre. Enfin, le droit international pénal cherche à assurer le châtiment des personnes coupables de crimes de guerre (Fernandez 2022). Ainsi, le droit est une contrainte à l’activité stratégique. Il est aussi un objet stratégique comme l’illustrent les débats sur le lawfare. Aussi, cet axe se propose de discuter les liens indéniables entre les études stratégiques et les sciences juridiques.

2. Études stratégiques et théorie des relations internationales

Comment les différentes grandes théories des relations internationales se sont-elles saisies des objets stratégiques (Balzacq & Ramel 2013) ? Le cynisme réaliste est-il réellement plus stratège et rationnel que l’idéologue constructiviste (Hassner 2000 ; Wendt 1992) ? Quels sont les apports des approches postcoloniales, féministes, marxistes et critiques aux études stratégiques (Wibben 2010 ; Barkawi & Laffey 2006 ; Barkawi 1998) ? En tant qu’outil conceptuel, comment la stratégie est-elle appréhendée en relations internationales et selon quels cadres (Holeindre 2021) ? Ce deuxième axe pourra interroger les liens entre études stratégiques et relations internationales, identifier les apports conceptuels mutuels entre ces deux champs. L’on pourra également utilement étudier les différentes compréhensions et pratiques de la stratégie entre études francophones, anglophones et autres études aréales et culturelles.

3. Les acteurs stratégiques

L’évolution des formes de conflictualité ces dernières années et le retour à des guerres dites de « haute intensité » (Donbass en 2014, Haut-Karabakh en 2020, Ukraine en 2022) réinterrogent le recul de l’État comme acteur central des relations internationales. Cela marque-t-il le retour de l’État par la prééminence de ses armées dans les décisions stratégiques ? En même temps, la diversification des acteurs militarisés avec les groupes armés non étatiques, les milices, ou les groupes désignés comme terroristes concurrence-t-elle l’expression plus classique des rapports de force ? Comment travailler sur des acteurs moins saisissables, dont l’objectif même est de sortir des logiques de communication traditionnelles, ou qui au contraire investissent pleinement ces outils ? Ce troisième axe s’attachera également à mieux comprendre les acteurs qui influencent les décisions stratégiques et politiques classiques, et pourra s’étendre aux études touchant aux institutions étatiques (certains ministères, les chancelleries, les militaires, etc.).

4. Les espaces stratégiques

Ce dernier axe propose d’étudier les espaces au sein desquels prennent place les nouvelles formes de conflictualité et où s’expriment des droits de souveraineté jusque-là bien ancrés, ou au contraire en formation. L’espace extra-atmosphérique, les fonds marins, ou encore le cyber sont autant d’espaces où se jouent de nouveaux enjeux de régulation, de législation, de menace et d’expression de puissance (Limonier & Douzet, 2017). Il s’agira de questionner la façon dont ces objets défient les théories plus classiques dans les études stratégiques. On pourra également interroger la façon dont s’est construite la pensée stratégique en fonction des territoires depuis lesquels elle a été pensée, afin de donner toute sa place aux études extra-occidentales (Vairon, 2011). L’apport des études aréales à ce sujet est crucial pour questionner et mieux comprendre les pensées stratégiques des États. Les approches comparatives seront tout particulièrement les bienvenues.

Propositions

Les propositions de communication pourront s’insérer dans l’un des quatre panels présentés. Elles ne sont toutefois pas limitées à ces derniers. Nous accueillerons toute proposition ad hoc et des panels complémentaires seront formés en conséquence. Nous tenons à encourager très vivement les propositions provenant de l’ensemble des sciences humaines et sociales.

Les propositions devront prendre la forme d’un abstract de 400 mots maximum et être envoyées, avant le 3 mars 2023, à l’adresse suivante : ct.etudes.strategiques@gmail.com. Cet abstract sera accompagné d’une bibliographie indicative, ainsi que d’une courte biographie.

Conseil scientifique 

– Pr Delphine Allès, INALCO
– Pr Thierry Balzacq, CERI Sciences Po
– Dr Renaud Bellais, MBDA, chercheur associé ENSTA Bretagne
– Pr Julia Grignon, Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire
– Pr Sébastien Jakubowski, Université de Lille
– Dr Pascale Martin-Bidou, Université Paris Panthéon-Assas
– Général (Dr) Hervé Pierre, Université Paris Panthéon-Assas, Ministère des Armées.
– Pr Olivier Schmitt, Université du Sud-Danemark
– Pr Olivier Zajec, Université Lyon III

Comité d’organisation

Camille Bayet, Aleksandra Bolonina, Estéban Georgelin, Pr Jean-Vincent Holeindre, Manon Laroche, Pierre Mougel, Keyvan Piram, Christophe Richer, Dr Marie Robin.

Bibliographie indicative

  • Balzacq, Thierry et Frédéric Ramel, Traité de relations internationales, Presses de Sciences Po, 2013.
  • Barkawi, Tarak, « Strategy as a vocation: Weber, Morgenthau, and modern strategic studies », Review of International Studies, 24:2, 1998, pp.159-184.
  • Barkawi, Tarak et Mark, Laffey, « The postcolonial moment in security studies », Review of International Studies, 32:2, 2006, pp. 329-352.
  • Buzan, Barry, People, State and Fear, ECPR Press, 2007 [1983].
  • Cabanes, Bruno (dir.), Une histoire de la guerre, Seuil, 2018
  • Caverly, Jonathan et Dombrowski Peter, « Too important to Be Left to the Admirals: The Need to Study Maritime Great-Power Competition », Security Studies, 29:4, 2020, pp.579-600.
  • Corten, Olivier, Le droit contre la guerre : l’interdiction du recours à la force en droit international contemporain, Pedone, 2020.
  • Coutau-Bégarie, Hervé, Traité de stratégie (7eédition), Economica, 2011.
  • David, Éric, Principes de droit des conflits armés (6eédition), Bruylant, 2019.
  • Drévillon, Hervé et al., Mondes en guerre, T1 : De la préhistoire au Moyen-Âge – T2 : L’âge classique – T3 : Guerres mondiales et impériales – T4 : Guerre sans frontière, Passé composé, 2019, 2020 et 2021.
  • Douzet, Frédérick et Limonier Kévin, « Les nouveaux territoires stratégiques du cyberespace : le cas de la Russie », Stratégique, 117:4, 2017, pp.169-186.
  • Fernandez, Julian, Droit international pénal (2e édition), LGDJ, 2022.
  • Harknett, Richard et Smeets, Max, « Cyber campaign and strategic outcomes », Journal of Strategic Studies, 45:4, 2022, pp. 534-567.
  • Hassner, Pierre, « Violence, rationalité, incertitude. Tendances apocalyptiques et iréniques dans l’étude des conflits internationaux », dans P. Hassner, La violence et la paix, De la bombe atomique au nettoyage ethnique, Seuil, 2000 [1995], pp. 74-101.
  • Henrotin, Joseph, Schmitt, Olivier et Taillat, Stéphane (dir.), Guerre et stratégie, PUF, 2015.
  • Holeindre, Jean-Vincent, « Des Strategic Studies aux War Studies: la structuration d’un champ d’études », in Henrotin, Joseph, Schmitt, Olivier et Taillat, Stéphane (dir.), Guerre et stratégie, PUF, 2015, pp.499-512.
  • Holeindre, Jean-Vincent, « En quête d’une théorie (politique) des relations internationales : Raymond Aron et son héritage », Revue française de science politique, 75:5-6, 2021, pp.725-744.
  • Jeangène-Vilmer, Jean-Baptiste, « Le tournant des études sur la guerre en France », Revue Défense nationale, n° 800, 2017, pp. 51-61
  • Kolb, Robert, « Mondialisation et droit international », Relations Internationales, 3:123, 2005, pp. 69-86.
  • Mégret, Frédéric, « Cour pénale internationale et néocolonialisme : au-delà des évidences », Études internationales, 45:1, 2014, pp. 27-50.
  • Neumann, Peter et Smith, M.L.R., « Strategic terrorism: the framework and its fallacies », Journal of Strategic Studies, 28:4, 2005, pp. 571-595.
  • Nivet, Bastien, « Les sanctions internationales de l’Union européenne : soft power, hard power ou puissance symbolique ? », Revue internationale et stratégique, 1:97, 2015, pp. 129-138.
  • Sur, Serge, « La Charte des Nations Unies interdit-elle le recours à la force ? » in Novosseloff Alexandra (dir.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies, CNRS éditions, 2016.
  • Thiers, Éric, « “La guerre du droit” : forme moderne de guerre juste », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2005:3, pp.5-8.
  • Vairon, Lionel, « La pensée stratégique chinoise : quelques pistes de réflexion », Revue internationale et stratégique, 82:2, 2011, pp.135-141.
  • Wendt, Alexander, « Anarchy is What States Make of It: The Social Construction of Power Politics », International Organization, 46:2, 1992, pp. 391-425.
  • Wibben, Annick, Feminist Security Studies. A Narrative Approach, Routledge, 2010.