Introduction. Une nouvelle rubrique de l’AFRI

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Ouvrir une nouvelle rubrique dans un Annuaire déjà très chargé n’est pas un acte anodin. C’est en raison de la place croissante de l’Afrique dans les relations internationales que l’idée s’est imposée. Du fait de ses ressources plus que jamais indispensables dans un monde de plus en plus gourmand en matières premières, l’Afrique est devenue l’un des enjeux majeurs du siècle qui s’amorce. Elle accueille de nouveaux partenaires, tels les Etats- Unis, le Brésil, l’Inde ou la Turquie, ou retrouve d’anciens acteurs, telles la Chine, déjà présente à l’ère médiévale et sous Mao, ou la Russie, qui sort d’une longue éclipse post- soviétique. Les Européens, malgré la « dérive des continents » un temps observée, sont également actifs, comme en témoigne l’adoption, fin 2007, de la « Stratégie conjointe Afrique-UE » à Lisbonne.

L’Afrique elle-même en a conscience et a su évoluer pour s’adapter à l’après-Guerre froide. Avec la création de l’Union africaine en 1999, elle a entrepris une longue marche vers une intégration encore problématique, mais qui est inscrite dans son processus de développement et, sur le terrain, les signes se sont multipliés, à commencer par l’édification, en cours d’achèvement, d’un réseau routier continental. Au plan sécuritaire, son ambition a visé à dépasser la principale limite de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) – la non-ingérence –, sans se départir de la notion cruciale d’intangibilité des frontières post-coloniales, quelles que soient les brèches ouvertes par la perspective du référendum soudanais et des réalités somaliennes.

L’Union africaine s’efforce de régler elle-même les conflits encore nombreux qui la traversent, mais qui permettent aussi de voir peu à peu apparaître une volonté commune fondée sur la mobilisation de moyens nouveaux, y compris au plan militaire. S’ils sont perfectibles, ces efforts n’ont pas à rougir face aux errements de l’Union européenne en ex- Yougoslavie. A cet égard, chaque crise est l’occasion d’un nouveau pas dans la direction de procédures démocratiques, au sens de la collégialité et du refus du coup de force, qui, si difficiles à mettre en œuvre au départ, tendent à s’imposer au-delà de la théorie comme un horizon obligé des décideurs, avec l’idée d’empêcher la perpétuation ad libitum des crises délétères connues par le passé, des Grands Lacs à l’arc de crise guinéen. Cependant, cet élan est fragile, tant par le poids des rivalités régionales que par l’ambiguïté intrinsèque à chaque crise, où la vérité de l’un n’est pas celle de l’autre. Ainsi, au moment où nous écrivons, les choix autour de la Côte-d’Ivoire, si centrale pour l’avenir de l’Afrique occidentale francophone, crise où il faut se garder comme ailleurs de tout manichéisme, auront sans doute valeur de signal d’autant plus significatif qu’il questionne la « jurisprudence Mugabe ». En l’occurrence, l’onde de choc de la révolution tunisienne de janvier 2011 n’est pas anodine : première révolution réussie du monde arabo-musulman, qui ne fut pas prétorienne ou islamiste, elle est également un signal pour les peuples africains confrontés à des « démocraties sans démocrates », pour reprendre la formule de Ghassan Salamé.

L’ambition d’analyser les problèmes africains au prisme des relations internationales n’en est pas moins très complexe. Si des lignes générales semblent se dessiner, chaque région, chaque Etat est un cas particulier – il n’y a pas une Afrique, mais des Afriques, elles- mêmes insérées dans des systèmes régionaux à cheval sur les continents, en particulier pour la composante maghrébine, ancrées dans des horizons européens et arabes ou l’espace allant du Nil à la Corne, nettement articulé avec la péninsule arabique. C’est ainsi, en partant d’eux, en n’omettant pas la perspective historique, qu’on peut mieux comprendre les situations actuelles.

Deux phénomènes sont frappants. D’un côté, l’histoire souvent confuse de ces cinquante dernières années, marquées par des violences inouïes, n’a pas remis en cause le choix initial de l’Etat-nation. Certes, ce dernier ne s’est pas pleinement accompli, mais le temps a joué en sa faveur et nulle part il n’est aujourd’hui question d’en contester le principe, bien que, comme sous d’autres latitudes, différents idéaux politiques s’y concurrencent, certains d’obédience peu démocratique. Sous toutes les latitudes, il est le seul univers dans lequel ont vécu les générations actuelles, y compris celles qui sont au pouvoir. D’un autre côté, les Africains ont rompu avec un principe d’égalité formelle des Etats qui n’est jamais vraiment parvenu à masquer la réalité des rapports de force sur le terrain. Désormais, dès lors que les diplomaties sont animées par la volonté de faire régner sur le continent la paix indispensable à l’essor continental, le jeu des relations interafricaines est un jeu réel – sans rapport avec les vaines rhétoriques précédentes – et la concurrence tourne essentiellement autour du fait de savoir quels seront les piliers de cet ordre.

De ce point de vue, le rôle reconnu à l’Afrique du Sud est emblématique, la « nation Arc-en-Ciel » ayant eu la sagesse d’agir, à travers de multiples médiations, avec avant tout la volonté de convaincre les acteurs des conflits – comme le montre bien la contribution de Benjamin Bengobeyi. Cette Afrique du Sud – « africaine » à proprement parler seulement depuis 1994 – fait aujourd’hui partie, avec le Nigeria, l’Ethiopie, voire l’Angola, des leaders de l’aire africaine sub-saharienne, mais elle a visiblement un temps d’avance, notamment du fait de la position ambiguë de l’Afrique du Nord.

En effet, si l’Afrique tire son nom de l’aire « blanche » du continent – l’Africa romaine, l’Ifriqya arabe, situées entre Tunisie et Libye actuelles – et si le très antique lien entre le monde « noir » et la façade méditerranéenne (berbère, punique, grecque, latine, arabe, portugaise, ottomane) n’a jamais cessé, l’appropriation de la notion d’Afrique, à connotation fortement sub-saharienne, reste toutefois très ambiguë pour les Etats nord-africains actuels. L’Algérie et l’Egypte, au cas où elles brigueraient un jour un siège au Conseil de sécurité de Nations Unies, le feraient probablement au titre du monde arabo-musulman. La complexité de cette articulation entre logiques locale, régionale et continentale est soulignée par Salim Chena : l’Algérie peut apparaître comme un hegemon régional, notamment au prisme du Sahel, voire continental, eu égard à son poids au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine ; elle reste toutefois tributaire de rapports de force locaux qui paralysent les initiatives pourtant capitales pour concrétiser l’ambition d’une Union du Maghreb arabe jusqu’à présent au stade de la chimère.

Cela dit, dans aucune situation, on ne peut faire l’économie d’un examen très serré des acteurs en cause dans les conflits comme dans la coopération. Or, le rôle des uns et des autres n’est pas toujours fonction de seuls rapports de force, comme le montre l’étude de Benoît Beucher relative au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du continent, qui plus est « petit Etat sahélien ». Celui-là joue au plan international un rôle sans commune mesure avec ses moyens matériels. C’est sa stabilité intérieure particulièrement remarquable qui a servi des desseins, eux-mêmes liés à des ambitions personnelles.

Sur ce dernier point, il n’est sans doute pas inutile de renvoyer à un article du volume IX de l’Annuaire français de relations internationales (2008) sur l’accord politique inter-ivoirien de Ouagadougou, qui alertait sur l’échec possible du scrutin en Côte-d’Ivoire : faute d’accord préalable et sur le fond entre les divers protagonistes locaux, on risquait d’aller à une « élection problème ». On peut à cet égard noter la sagacité du secrétaire général du ministère des Affaires étrangères sud-africain, qui déclarait en 2005 que « les élections ne seraient pas l’aboutissement du processus de sortie de crise mais son départ ».

La scène africaine n’est ainsi pas moins variée que celle des autres régions du monde. Les rapports de puissance y sous-tendent les relations internationales et cette puissance dépasse de loin la notion de force. Elle est matérielle, morale – c’est aussi la force des idées – , mais aussi, prosaïquement, individuelle – c’est encore la qualité des hommes, la trempe des caractères. Toutefois, elle est ici comme ailleurs tributaire du poids des intérêts économiques et financiers.