A propos du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires

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Résumé Le rejet par le Sénat des Etats-Unis du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires n’a guère retenu l’attention de l’opinion publique internationale, ni même américaine, en dehors des milieux spécialisés. L’International Herald Tribune lui-même, si friand de tribunes sur les questions internationales et qui ouvre volontiers ses colonnes aux débats et aux controverses spécialisés, n’y a accordé qu’un intérêt limité. Il est vrai que l’attention des opinions publiques était requise par des événements plus dramatiques et plus violents. Ce rejet pourrait pourtant amorcer l’un des tournants des relations internationales les plus importants depuis la fin de la confrontation Est-Ouest. Il confirme en toute hypothèse, avec d’autres éléments de nature différente, que l’on sort d’une période prolongée de bonace pour entrer dans une phase où ces relations riquent d’être marquées par une aigreur croissante. Aigreur croissante autour des Etats-Unis, dont les comportements sont contestés sur plusieurs registres, celui des relations économiques ou des problèmes de sécurité internationale notamment. Il y a quelques mois encore, il ne faisait guère de doute que la période contemporaine était caractérisée par une hégémonie américaine – terme qui mériterait au demeurant d’être analysé et précisé, et que chacun n’entend sans doute pas de la même manière. Disons simplement ici qu’elle comporte quatre caractères : il s’agit d’une forme de domination indirecte ; elle met en œuvre des moyens de pression politico-militaires ou économiques, sans passer par des conquêtes ou des occupations territoriales ; elle est acceptée par ceux qui en sont l’objet ; elle bénéficie davantage à celui qui l’exerce qu’à ceux qui la subissent. Non pas que cette hégémonie fût incontestée. Mais elle était largement considérée comme un fait, qui était constitutif d’une menace pour un nombre restreint d’Etats, et comme un facteur de stabilité pour la plupart. Beaucoup y voyaient le principe organisateur des relations internationales. Il est aujourd’hui loisible de se demander si ce n’est pas davantage la résistance à l’hégémonie américaine qui est en passe de devenir ce principe organisateur, si tant est qu’il en existe actuellement un. C’est qu’en effet le Traité sur l’interdiction complète des essais a été largement voulu par les Etats-Unis, qui ont beaucoup fait pour sa conclusion et qui en apparaissaient comme les principaux bénéficiaires aux yeux de la plupart des observateurs. Les Etats-Unis disposent en effet de la possibilité alternative de réaliser des simulations dans des conditions qualitativement supérieures à celles de tous les autres. Leur renonciation par voie de traité, en outre, ne faisait pas obstacle au maintien de leur capacité technique de reprendre les essais un jour donné, maintien qui est beaucoup plus aléatoire pour les autres Etats officiellement dotés d’armes nucléaires. Comment dès lors comprendre et interpréter ce rejet ? Plusieurs interprétations se proposent, qui ne sont pas nécessairement exclusives mais peuvent correspondre à plusieurs niveaux d’explication comme à plusieurs options qui sont ainsi ouvertes aux Etats-Unis pour l’avenir. La première interprétation, la plus bénigne, est celle de l’incident de parcours : des querelles purement internes liées aux difficultés de l’Administration Clinton on entraîné un cafouillage qui peut être ultérieurement réparé. Les autres Etats n’ont alors qu’à pratiquer une sorte de business as usual dans la certitude d’un futur ralliement américain au TICE. Une seconde interprétation, plus maligne, considère qu’il ne s’agit nullement d’un accident, mais au mieux d’un acte manqué au sens freudien du terme, et au pire d’une action consciente. Le rejet du TICE traduirait un véritable renversement de la doctrine suivie par les Etats-Unis depuis près de quarante ans, l’abandon de la politique de maîtrise des armements, au moins dans le domaine nucléaire. Une troisième interprétation, en quelque sorte centriste, y voit une savante ambiguïté qui permet aux Etats-Unis de jouer sur plusieurs registres, et en toute hypothèse de s’affranchir de règles communes, qu’ils tentent par ailleurs d’imposer aux autres. Il restera enfin à se demander en quoi ce rejet paraît symbolique d’une remise en cause de l’hégémonie américaine, telle du moins qu’elle était perçue de façon dominante. – Le sommaire de l’AFRI 2000