Introduction. Des pays arabes en révolutions aux « Indignados » : l’actualité focalisée par les images

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Des « révolutions » sous les objectifs

Dans la construction de l’actualité internationale, l’année 2011 a montré que les médias de masse classiques sont toujours présents, même si les « nouveaux médias » liés aux récentes technologies et aux « réseaux sociaux » se sont encore justifiés sur la Toile face aux événements. Dans la couverture des révolutions successives ayant émergé en Tunisie puis en Egypte, en Libye ou au Yémen, les chaînes de télévision de l’Occident, les chaînes internationales reconnues comme CNN International ou BBC World en par- ticulier, ont interpellé et stimulé les médias nationaux, dont la presse et les chaînes publiques de radio et de télévision. Et, parmi les médias internationaux, la chaîne panarabe Al Jazira a particulièrement été à l’œuvre dans le contexte de la « Révolution du jasmin » et du « Printemps arabe ».

En effet, avec la première ayant débuté en Tunisie à la date du 17 décembre 2010, les médias d’information ont progressivement pris acte des protestations tout en veillant à garder leur distance vis-à-vis des autorités. Cependant, les contestations auraient-elles pu se faire connaître auprès des populations directement concernées s’il n’y avait pas eu présence sur place de journalistes étrangers, avec la dynamique internationale dans laquelle ils ont été placés ? La question mérite d’autant plus d’être posée que la couverture des protestations des divers opposants au régime en Libye, puis en Syrie n’a pas permis une couverture analogue à celle de la Tunisie ou de la place Tahrir au Caire. La question n’est pas non plus sans ambivalences et interrogations sur l’interaction du processus événementiel en relation avec la couverture médiatique et les acteurs concernés à tous les niveaux d’intérêts.

Les prises de position des gouvernements européens ou de celui des Etats-Unis ont également contribué à accentuer le processus d’enchaînement de réactions médiatiques in situ. Marquant leurs intérêts respectifs pour des changements de régime dans les régions du Maghreb et du Machrek ainsi que du Proche-Orient arabe, ils se sont plus ou moins engagés à apporter leur soutien, de diverses manières certes, mais en restant, sauf exception, sur le registre de la diplomatie. D’où les nuances et les prudences quant à leurs propos concernant la péninsule arabique et les émirats en particulier. En revanche, oubli ou silences par ailleurs ! Notamment lors des révoltes du 16 décembre 2011 ayant entraîné des morts, à l’occasion du 20 e anniversaire de la création de l’Etat du Kazakhstan, où les téléphones mobiles et l’Internet ont été coupés et où les médias sont sous contrôle politique et les journalistes étrangers interdits de séjour ! Cela s’est aussi produit dans le contexte de crise sociale dans l’industrie pétrolière depuis le mois de mai et dont on n’a guère eu d’échos, si ce n’est en fin d’année, alors que le Président kazakhe, Noursoultan Nazarbaev, préside l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe !

Un regard sur la Tunisie

Revenant à l’origine du mouvement des protestations en Tunisie, Fatma Ben Saad-Dusseaut rappelle le contexte des médias au fil des événements et leur évolution après le 17 décembre. Des « révoltes internes » et plus ou moins discrètes ont eu lieu au sein des rédactions. Par rapport aux événe- ments et aux changements toujours en cours, elles ont reflété un état d’esprit propice à la rupture exprimée par « la rue ». L’auteur souligne aussi l’« effet-miroir » de la première chaîne panarabe Al Jazira, ainsi que le rôle des réseaux sociaux sur la Toile, encore apparus comme clandestins car non reconnus par le pouvoir en place. Moins d’un mois après la révolte de soli- darité dans la petite ville de Sidi Bouzid, où est décédé Mohammed Boua- zizi, le président Ben Ali est renversé de fait après son départ du pays. La focalisation se poursuivra ailleurs et incitera à l’expression de la contesta- tion en Egypte, comme par mimétisme, même si la spontanéité des révoltes a posé des problèmes quant à la visibilité des changements souhaités.

L’emprise des images en révoltes

Le mouvement de révolte ou de désobéissance civile qualifié de « révolution », plus ou moins par solidarité et volonté de changement à la fois, s’est donc propagé sous le regard quasi permanent des médias occidentaux sur la Méditerranée du Sud. Cependant, celui-là relève aussi d’un choix de couverture ayant fait ses preuves en termes d’audience. La valorisation des « unes » des journaux, papiers ou audiovisuels, et la focalisation sur la rue et les victimes, sur les témoignages ou les cris des protestataires ont mis en avant le peuple, même si celui-là ne représente qu’une ville. Quitte à « faire du populisme » avec des images et du son, faute d’avoir des interlocuteurs ou des référents a priori légitimes permettant de saisir en profondeur la nature du changement souhaité et exprimé de la sorte ! Notre propos met en avant la problématique de l’image en action dans la couverture médiatique de ce genre de situation, avec les gestes symboliques faisant fi de bien des discours car fondés sur l’affect ! L’actualité passant concomitamment des révoltes arabes aux « indignés espagnols » du 15 mai, puis à ceux d’autres pays de par le monde, les actes symboliques n’ont pas man- qué d’être repris. En somme, malgré les critiques régulières faites à toute volonté d’accrocher le peuple à un discours politique, a fortiori largement médiatisé, force est de reconnaître, en cette année 2011, que les protestations développées devant les écrans ont conduit à des changements effectifs dans plusieurs Etats et entraîné des interrogations sur l’avenir, en particulier en Occident !

L’international toujours comme enjeu : le cas de l’AEF

La problématique des médias est toujours en interaction et en corrélation avec les politiques gouvernementales, même s’il y a lieu d’émettre des nuances au cas par cas. A fortiori quand des Etats veulent disposer d’une chaîne internationale susceptible de présenter et de valoriser leurs regards sur l’actualité mondiale en lien avec leur culture et valeurs nationales.

Si, plus de trois ans après sa création, la mise en place de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) est toujours en cours avec maintes difficultés en termes d’organisation du groupage des chaînes publiques concernées (France 24, une partie de TV5 Monde), avec le vétéran Radio France Internationale (RFI) créé en 1975 et MCD (Monte Carlo Doualiya), filiale arabophone de la précédente, elle n’intègre plus l’Agence France Presse, comme cela avait été encore envisagé en 2010 par le gouvernement et dont le débat sur sa propre réforme se poursuit. Certes, ces différentes chaînes émettent et sont présentes sur les ondes comme sur Internet et les réseaux sociaux, mais elles sont dépendantes de l’Etat et de sa politique budgétaire. Indépendamment de la crise entre le PDG Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent, directrice générale ayant démissionné courant mai 2011, le débat fut repris au Parlement lors du vote du budget 2012. Nul doute que l’AEF, passé de la tutelle du ministre des Affaires étrangères à celle du Premier ministre, sera reconsidéré après l’élection présidentielle de mai 2012. En effet, le Parti socialiste, par son vice-président en charge des médias, a émis de lourdes réserves sur sa situation financière, son financement, son organisation et ses objectifs, notamment en termes d’audience dans le monde. En clair, « la construction même de l’AEF mérite d’être repensée et rééquilibrée. L’AEF n’a pas d’avenir dans sa forme actuelle » ([[Cf. le rapport de Didier Mathus, député de Saône-et-Loire, rapporteur du budget de l’AEF, présenté au nom de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Cf. aussi La Correspondance de la Presse, 4 nov. 2011, pp. 8 et suiv.]]).

Autrement dit, on en reparlera en 2012, année où la fusion de RFI et France 24 devrait être effective, malgré les désaccords des professionnels dans leur ensemble. Une dynamique internationale est en jeu.

Le dialogue interculturel

Relevons que les changements politiques engagés en 2011 n’ont guère encore assuré leur pérennité eu égard à leurs contextes respectifs et aux perspectives plus ou moins bien exprimées. Tout changement implique une période d’apprentissage des nouvelles règles et de nouveaux comportements socio-politiques. Les médias, libérés de la tutelle politique, en seront des acteurs pour une meilleure prise de conscience de la nouvelle situation, avec un avenir collectif souhaité.

D’où ce rappel en mémoire de la fable de La Fontaine, où les Grenouilles, lassées de l’état démocratique, obtiennent de Jupin (surnom de Jupiter) un petit soliveau comme roi, mais qu’il remplace, toujours à leur demande, par une Grue ! Ce qui les fait rebondir ! En final, il déclare : « Vous avez dû premièrement / Garder votre Gouvernement : / Mais ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire / Que votre premier roi soit débonnaire et doux. / De celui-ci contentez-vous, / De peur d’en rencontrer un pire » ([[Jean de La Fontaine, « Les Grenouilles qui demandent un roi ».]]) .

Manifestement, la dynamique de l’information mérite de plus en plus des approches fondées, à l’interne comme à l’externe, sur le dialogue intercul- turel plutôt que sur des a priori relevant d’un modèle allant de soi ou sup- posé copiable n’importe où ! Remarque que nous entendons de plus en plus dans les Etats du Sud ou en voie de développement.

Un événement mémoriel oublié nous semble utile d’être rappelé cette année, en raison de ses conséquences historiques : les 1 200 ans du Traité de Saint-Clair, sur l’Epte, modeste affluent de la rive droite de la Seine coupant la région du Vexin. En 911, lassé des actes de piraterie et des incursions terrestres avancées de la part des Vikings, le Roi des Francs, le carolingien Charles III dit le Simple, et en présence de Francon, arche- vêque de Rouen, céda l’aval du fleuve à leur chef Rollon (ou Hrölf dans sa version scandinave). Il espérait ainsi avoir la paix dans son petit royaume. En se faisant baptiser chrétien en la circonstance, Rollon devint officiellement son vassal. C’est ainsi que naquit, de part et d’autre de la basse Seine, le duché de Normandie. Il servira de territoire d’insertion et d’expansion à une partie de ce peuple de migrants venus du Nord, mais dont certains poursuivront leurs actions belliqueuses jusque dans la pénin- sule italienne, quitte à s’attaquer au pape Léon IX et à le faire prisonnier un temps, avant que celui-là n’adresse sa bulle d’excommunication du patriarche de Constantinople en 1054. Par la suite, les princes de ce quasi- Etat auront d’autres ambitions. Ne serait-ce qu’après la victoire d’Has- tings en 1066 et la poursuite de la conquête de l’Angleterre par le duc Guillaume avec ce qui en résultera, de part et d’autre de la Manche, pour la suite de l’histoire.