L’avenir du Conseil de sécurité : une question de méthode

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Résumé Dans le domaine du maintien de la paix, les difficultés tant commentées de l’Organisation des Nations Unies relèvent peut-être moins aujourd’hui d’un problème de moyens que d’une question de méthode. Or, les commentateurs se sont plus attachés à apprécier l’efficacité des mesures mises en oeuvre par le Conseil de sécurité qu’à analyser la validité des concepts qu’il utilise pour rendre compte et agir dans des situations de crise internationale. Certes, à première vue, il peut paraître difficile de remettre en cause un cadre conceptuel organisé par la Charte et qui crédite explicitement le Conseil de sécurité d’un « raisonnement normatif » dont le Chapitre VII et l’Article 39 portent le meilleur témoignage. Celui-ci s’exprime, on le sait, de la façon la plus traditionnelle, par un cheminement logique qui part de la constatation des faits pour aboutir, à la suite de leur qualification juridique, à la mise en oeuvre des conséquences attachées à ladite qualification. Le choix, jusque dans les années 90, de faire reposer le mécanisme de sécurité internationale sur ce mode de raisonnement tient à deux facteurs. Le premier est la tradition juridique dans laquelle se sont inscrits les rédacteurs de la Charte. Comme cela avait déjà été fait – avec les résultats que l’on sait – pour la Société des Nations, ils n’ont, en 1945, que transposé dans la sphère internationale la recette du raisonnement logico-déductif appliquée en droit interne. Le second facteur est lié à la manière dont le système de sécurité collective a été spontanément compris et analysé par les commentateurs. En effet, quoi de plus naturel pour des juristes que de raisonner à partir de catégories normatives? Précisément, dans le cadre du système de sécurité collective, quoi de plus confortable que d’anticiper les actions possibles sur la base des mesures prédéterminées par la Charte, quitte à regretter ensuite les dysfonctionnements dans l’automatisme des réactions supposé par l’Article 39? La doctrine n’a d’ailleurs pas manqué de souligner l’inadéquation entre la nature juridique du mode de raisonnement prévu dans la Charte et le caractère politique du fonctionnement du Conseil de sécurité. Mais pendant plus de quarante ans, la période de la guerre froide a offert au Conseil de sécurité la plus belle des excuses, les blocages pouvant être entièrement mis sur le compte de l’antagonisme est-ouest. On sait aujourd’hui que c’était là une idée perverse et la transformation brutale du contexte politique international n’a pas tardé à en révéler les limites. Certes, les premières années d’entente au sein du Conseil ont entraîné un court moment d’euphorie. De 1990 à 1992, on n’a cessé de fêter le renouveau des Nations Unies et, pour sa part, le Conseil de sécurité s’est montré immédiatement prêt à assumer un nouveau rôle en lançant de multiples opérations, de tous types et pour toutes sortes de conflits. Mais cette effervescence a vite laissé place aux premières interrogations qui, logiquement étant donné les circonstances, ont porté sur les principes limitant les facultés d’action du Conseil. Par la suite, on s’est demandé si les nouvelles difficultés que rencontrait le Conseil de sécurité n’étaient pas liées au fait qu’il s’intéressait de plus en plus aux conflits internes et ne limitait pas son action aux différends strictement interétatiques. Bref, de nouvelles explications surgissaient régulièrement pour tenter d’expliquer les problèmes de fonctionnement du Conseil mais ces derniers demeuraient, quels que soient les circonstances et les objectifs. Cela n’a guère évolué. Aujourd’hui, plus que jamais, le Conseil apparaît à la fois libre d’agir mais incapable de trouver un mode de fonctionnement efficace. C’est la raison pour laquelle on est amené à se demander si le Conseil n’est pas le premier responsable de cette situation et si, au-delà des aléas conjoncturels, il ne pâtit pas d’un cadre conceptuel inadapté à la tâche qui lui est assignée. Répondre à cette question nécessiterait une analyse minutieuse des blocages du Conseil de sécurité, de ses causes et de ses méthodes. Tel n’est pas l’objet de cette contribution dont le but essentiel est d’inciter le lecteur à percevoir le rôle que jouent les concepts et les méthodes dans la perception que le Conseil de sécurité peut avoir des crises internationales. Il s’agit aussi ici de mettre en lumière les évolutions et de suggérer quelques éléments de réponse pour l’avenir. Car il y a eu, en peu de temps, un changement radical qui est amené à se poursuivre dans les années à venir. Ce changement se traduit par l’adoption progressive par le Conseil de sécurité d’une approche beaucoup plus opérationnelle et pragmatique. Celle-là même que défend le Secrétaire général dans son activité quotidienne, par essence opérationnelle, de gestion du réel. En effet, fonction d’exécutant oblige, le Secrétaire général a été amené à développer d’autres catégories conceptuelles que celles proposées par la Charte. Or, submergeant la logique normative traditionnelle, c’est cette logique opérationnelle qui semble de plus en plus s’imposer au sein du Conseil de sécurité pour gérer les crises auxquelles il est confronté. Pour comprendre cette évolution considérable, il est nécessaire de présenter successivement la dualité de discours qui a longtemps opposé le Conseil de sécurité et le Secrétaire général, puis, les modalités du ralliement du Conseil de sécurité à l’approche opérationnelle. – Le sommaire de l’AFRI 2000