Le climat : risques et débats

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La fièvre monte à Copenhague

Les questions liées au climat constituent depuis quelques années une préoccupation croissante dans le monde. Limitées au départ à quelques milieux scientifiques et à quelques ONG militantes, elles ont acquis une priorité spectaculaire dans l’ordre du jour des sociétés internes et de la société internationale. La prochaine conférence de Copenhague en sera une nouvelle manifestation. Sociétés civiles internes d’abord, institutions publiques internationales ensuite, les deux se sont épaulées pour promouvoir ce qui apparaît avant tout comme un thème d’inquiétude.

La substance de ce qui est devenu une pensée dominante, qui est aussi une pensée officielle, repose sur l’articulation de trois propositions. Premièrement, le climat – qu’il ne faut pas confondre avec le temps, mobile, conjoncturel, alors que le climat correspond à de longues régularités et périodes statistiquement mesurables – est en cours de modification rapide, et cette modification tend à une élévation générale et accélérée des températures. Deuxièmement, cette évolution est due pour une part importante à l’activité humaine, spécialement aux rejets de gaz à effet de serre qui proviennent de l’économie industrielle et des combustibles fossiles. Troisièmement, pour maîtriser et ralentir ces changements dangereux, il est indispensable de réduire significativement les rejets dans l’atmosphère des gaz incriminés.

Ces trois propositions méritent examen, non pas nécessairement pour les réfuter, mais pour en comprendre la nature et les enjeux. Les soumettre à analyse n’est pas s’inscrire en faux, mais mieux s’en pénétrer le cas échéant. La contre-épreuve est aussi une démonstration de l’exactitude des assertions, ou de leur domaine de validité. Il est vrai que contester ces thèses n’est pas bien porté, tant elles sont aujourd’hui reçues. Mais, après tout, même le diable a droit à un avocat. On peut ainsi observer que ces trois propositions ne sont pas de même nature, et que leur articulation n’est pas entièrement établie. Si la première appartient au domaine scientifique, la seconde est largement amplifiée par les médias et la troisième est d’ordre politique. On passe du quantitatif au qualitatif, de la nature à l’homme, de l’analyse à l’explication, de l’explication aux prévisions, des prévisions aux remèdes – d’une science naissante à des alarmes médiatiques, à la sensibilisation des politiques et aux controverses sur les mesures.

Une science naissante

La première proposition devrait relever de la pure analyse scientifique, de l’objectivité et de la rigueur, mais aussi du doute et de la remise en cause qui sont l’essence de sa méthode. À cet égard on ne peut qu’être frappé par la constatation que le thème du réchauffement a acquis le caractère d’un dogme, que l’on ne saurait contester sans s’exposer aux foudres de la political correctness. Or la critique scientifique consiste à réfuter, non à disqualifier, et les arguments d’autorité ou du nombre sont à cet égard sans pertinence. Les incertitudes du vocabulaire pourraient pourtant faire réfléchir : du réchauffement climatique on tend à passer au changement climatique puis au dérèglement climatique, voire plus récemment au « choc climatique ». En d’autres termes, d’une direction claire à une orientation plus incertaine, puis au simple désordre et enfin à l’étourdissement qui naît des catastrophes. Mais cela ne change rien, puisque la certitude scientifique a subi une métamorphose, relevant désormais du statut infalsifiable et obscur de paradigme, fondé sur un consentement universel qui résiste à la remise en cause de ses fondements.

On risque ainsi de transformer la science, qui repose sur le doute méthodique, en conviction pure et simple, sans que les scientifiques en soient pour autant responsables. La communication publique exige simplification, elle tolère mal les incertitudes, son efficacité passe par des assertions frappantes et impératives. Sans doute les données qui fondent la thèse du réchauffement sont nombreuses et solides, sans doute les scientifiques ont en quelques années organisé et développé une climatologie qui repose sur l’agrégation de savoirs et techniques différents. Elle constitue une remarquable démonstration de la créativité et de l’adaptabilité de la recherche scientifique. Mais ces données sont trop récentes et fragmentaires, les facteurs océaniques et atmosphériques trop complexes et encore trop mal connus, comme leurs interactions, pour constituer des bases incontestables. Et quel crédit accorder à des prévisions qui prolongent des courbes sur plusieurs décennies à partir de bases aussi aléatoires ? Les conclusions que l’on tire d’une science qui n’en est qu’à ses débuts seraient d’autant plus incontestables que, précisément, elles se plieraient aux risques du débat et de l’examen critique.

Alarmes médiatiques

Ceci conduit à la deuxième proposition, celle de la responsabilité humaine dans les tribulations, en cours ou annoncées, du climat. Dans la mesure où l’on sait que le climat n’a jamais été stable sur la longue durée, que ses mutations antérieures ne pouvaient être liées à l’activité industrielle ni même humaine, cette assertion est nécessairement plus aventurée que la première. Elle n’est en toute hypothèse pas de même nature, et son statut scientifique encore plus aléatoire. Elle l’est tout autant que les projections sur les changements futurs qui prolongent vigoureusement des courbes et accroissent les inquiétudes, voire nourrissent le catastrophisme. Elle recentre la recherche scientifique sur l’homme, sur son comportement, sur ses erreurs, sur ses fautes – toutes considérations qui retiennent particulièrement l’attention des médias et des opinions publiques, dans la mesure où, suivant le mot de Pascal, « la seule chose qui intéresse l’homme, c’est l’homme ».

L’ascension médiatique du réchauffement climatique et de son origine humaine a été spectaculaire, de sorte que si l’échauffement de la température de la Terre mérite débat, celui des esprits ne fait plus question. Derrière les constatations et prévisions, ce sont des procès qui s’instruisent, des coupables que l’on dénonce, des mesures que l’on réclame, des mesures dont le caractère relève de la pénitence autant que de la prévention. Logique non plus de savant mais de procureur. Ce mélange de conviction et d’anathème, propre à certaines ONG relayées par les médias, relève d’une idéologie composite qui recycle des thématiques anciennes. Le malthusianisme, qui annonce l’épuisement de la planète par la surexploitation des ressources et l’autodestruction de l’humanité par sa croissance incontrôlée ; le marxisme, qui dénonce un culte du profit à court terme, sacrifiant les biens communs, air, eau, espaces voire espèces au profit de quelques prédateurs ; la pensée anti-industrielle, qui critique un modèle de développement fondé sur le productivisme et la consommation, critique dont le Club de Rome fut voici quelques décennies un précurseur, et Aldous Huxley avant lui ; dans une certaine mesure même le darwinisme, qui suggère que la destruction de son environnement par l’espèce humaine pourrait conduire à sa disparition.

Derrière cette circulation des critiques et des angoisses, un phénomène culturel plus vaste, qui est la redécouverte de la nature. Fondement de la philosophie des Lumières, qui voulait régler le dedans sur le dehors, prendre sur elle la mesure de l’homme, la nature a été la grande victime des philosophies faustiennes ultérieures, qui ont exalté la toute-puissance de la conquête et de la puissance humaines. Le nomos de la Terre cher à Carl Schmitt conduisait à sa soumission, à son instrumentalisation. C’est un nouveau nomos de la Terre qui apparaît, celui de la revanche de la nature, trop longtemps ignorée voire violentée, et qui désormais doit voir reconnaître et imposer sa loi. Civilisation urbaine, dévoreuse d’énergies fossiles, d’espaces cultivables, cumulant les gaspillages des concentrations humaines, les pollutions de tous ordres, détruisant les ressources physiques et biologiques, la société industrielle a oublié la nature, qui se venge.

Le réchauffement climatique en est un résumé et une synthèse : phénomène d’origine humaine, il absorbe tous les autres dérèglements, pollutions, catastrophes naturelles, disparition des espèces. Il se confond avec la protection de l’environnement, il comporte le risque de réduire l’attention aux sources ponctuelles des pollutions locales, qualité de l’air des agglomérations, rejets industriels, érosion et dégradation des côtes… Le réchauffement climatique devient alors à l’écologie ce que le poumon était aux médecins de Molière. L’hypnose qu’il provoque entraîne une autre conséquence : tout se passe comme si, en détournant le regard des responsabilités individuelles, des carences privées ou de celles des autorités publiques, en globalisant la menace, on la diffusait vers une culpabilité générale et impersonnelle dont plus personne n’est précisément responsable, mais dont tous sont comptables. La recherche de mécanismes préventifs planétaires, aux effets à long terme, éloigne ainsi de la lutte à court terme contre les pollutions de proximité.

Des politiques aux aguets

Ainsi l’on glisse vers la troisième proposition, celle de l’action politique nécessaire, du glissement de l’écologie politique aux politiques écologiques. Force est de reconnaître que les responsables politiques, du moins en Europe, ont été rapides à réagir aux alarmes et ne se sont pas laissé déposséder du dossier – moins en l’occurrence qu’en matière de droits de l’homme ou de droit humanitaire par exemple. La raison en est peut-être que l’écologie est devenue depuis quelques décennies une force électorale qui ne pouvait être négligée, et que l’électorat flottant qui la constitue souvent ne saurait être abandonné. Le réchauffement a fourni à ces courants une thématique globalisante et effrayante qui leur permettait de transcender les clivages politiques anciens, et de s’intégrer à toutes les coalitions gouvernantes, quoique comme force d’appoint. Alibi, communication ? Si l’on fait le bilan de ces années de promotion médiatique du thème, les résultats apparaissent bien minces, au point que la menace est toujours présentée comme accélérée et croissante.

Il est vrai que la question se pose de l’emprise que la politique peut prendre sur des phénomènes naturels massifs, même renforcés par l’activité humaine, et sur les instances appropriées pour y parvenir. On se rend vite compte que les actions locales ou nationales, pour méritoires voire indispensables qu’elles soient, sont insuffisantes face à des données planétaires. Il y faut une stratégie internationale, une sorte de gouvernance mondiale. Mais si le terme de gouvernance rassure par la maîtrise qu’il implique, il déprime par la constatation qu’en réalité il désigne un manque, une absence de gouvernance, simple expression d’un désir voué à l’insatisfaction. En même temps, il plaît aux États, qui voient ainsi dissoudre leur responsabilité individuelle dans une incapacité ou une impossibilité internationale plus vastes. Il leur est aisé de complaire à leurs opinions publiques en affichant des intentions fortes, que les autres se chargeront de dissiper ou de réduire.

Depuis la déclaration de Stockholm en 1972 jusqu’à la conférence prévue à Copenhague fin 2009, en passant par la conférence de Rio en 1992 ou le protocole de Kyoto en 1997, les rencontres internationales de haut niveau et de grandes ambitions n’ont pas manqué. Elles ont contribué à la sensibilisation des opinions publiques et répondu à la pression des ONG écologistes, mais elles ne semblent pas avoir réduit la menace, et encore moins sa perception. C’est désormais, au-delà des phénomènes mettant en cause le confort ou le style de vie des sociétés, la paix et la sécurité internationales qui sont convoquées, avec la demande d’intervention correspondante du Conseil de sécurité des Nations Unies. Risques de conflits liés à des atteintes aux conditions de subsistance voire d’existence des populations, réfugiés climatiques, menace de disparition de petits États insulaires, aggravation des tensions liées aux mutations géo-écologiques annoncées, ce sont de nouvelles dimensions de la sécurité qui apparaissent, au départ non militaires mais pouvant à terme déboucher sur le recours aux armes, en fonction soit de troubles internes soit de rivalités étatiques pour l’accès à certaines ressources ou le transit à travers certains espaces.

Des solutions controversées

Entre les trois propositions matricielles des débats sur la lutte contre le changement climatique, et pour concilier leurs natures différentes, un principe qui tient lieu de tissu conjonctif : le principe de précaution. Il implique que l’on agisse comme si la pire hypothèse était vérifiée, et l’on doit se comporter comme si le réchauffement accéléré était une réalité, comme si son origine était essentiellement humaine, comme si les rejets de gaz à effet de serre et l’abus des énergies fossiles devaient être réduits, afin de déboucher vers d’autres formes de développement qui reposeraient sur leur remplacement. Or, dans l’ordre politique, la perception tient souvent lieu de réalité. Le principe de précaution, d’ordre éthique plus que juridique, même si l’on cherche à lui en donner le statut, concilie, rassemble et homogénéise incertitude scientifique, alarme médiatique et décision ou communication politique. Nombre d’objections précédentes tombent alors, puisqu’il s’agit de mettre en œuvre un principe de sagesse et non une vérité incontestable. La contestation ne disparaît pas pour autant, mais elle se déplace vers les mesures à prendre, leur efficacité, leur répartition, leur coût.

Un premier élément de contestation revient sur l’origine de l’évolution en cours du climat. Là où l’hypothèse dominante y voit le rejet des gaz à effet de serre liés à l’activité humaine, certains analystes estiment soit que l’on surestime leur impact, soit que des facteurs biologiques ou naturels indépendants de cette activité sont à mettre en cause, de sorte que leur limitation volontaire et organisée serait inappropriée ou insuffisante. Controverse d’ordre scientifique qui n’a que peu d’impact, car elle ne remet pas en cause le consensus actuel. Un second élément oppose trois philosophies du développement – une thèse européenne, une thèse américaine et une thèse des pays émergents pour simplifier. L’une se réclame du développement durable, qui met l’accent sur la modération dans la croissance, l’utilisation d’énergies renouvelables et la limitation de leur usage par des régulations internes ou internationales obligatoires. L’autre, dans une logique de marché, ou schumpetérienne, considère que rien ne doit entraver la libre activité et que l’entreprise saura susciter et mettre à profit les révolutions technologiques nécessaires pour surmonter les périls grâce à des énergies non polluantes et moins onéreuses. La dernière estime qu’aucune contrainte ne doit empêcher des économies en passe de rattraper leurs retards de participer avec leurs propres armes à la compétition internationale.

Ce sont dès lors, derrière la rhétorique écologique, les intérêts économiques – et politiques – des États qui s’affrontent. Ils ont empêché jusqu’à présent l’adoption de mesures universelles et efficaces. Ce sont à la fois les contraintes et leurs coûts qui sont en cause. Qui supportera leur poids économique et financier ? Comment établir une solidarité entre intérêts légitimement compétitifs, comment définir un intérêt général sans titulaire visible ? Au nom de quoi imposer à certains des charges sans contrepartie, voire qui constitueraient des handicaps dont les autres pourront profiter ? La réponse du marché des « droits de polluer » est pour le moins paradoxale, puisqu’elle sacrifie l’objectif de réduction des rejets à celui du financement du développement. Il s’agit en quelque sorte d’un détournement d’objectifs, dans la mesure où la vieille thématique du droit du développement rattrape celle de l’environnement, en autorisant les États à vendre leurs droits au profit des autres, transformant la pollution en ressource individuelle là où elle devrait s’analyser comme une perte commune. S’y ajoute que l’actuelle récession ne manquera pas d’aviver les conflits d’intérêt. Et si d’un côté elle relativise les préoccupations écologiques, de l’autre elle rend plus nécessaire un changement de modèle de développement où l’écologie peut trouver une place de choix. La fièvre ne retombera pas nécessairement à Copenhague.