À l’heure où Vladimir Poutine a décidé de lancer une offensive militaire contre l’Ukraine et dénonce les ambitions prétendument belliqueuses des Occidentaux, dresser un bilan critique de l’OTAN, rappeler ses origines, sa composition, son rôle et ses objectifs, apparaît plus que jamais nécessaire.
Cet article, rédigé par le Pr. Serge Sur, constitue l’ouverture du dossier consacré à l’OTAN dans la revue Questions internationales n° 111 – À quoi sert l’OTAN ?, La documentation française, janvier-février 2022. Compte tenu de l’actualité internationale, le site internet vie-publique.fr a décidé de rendre librement accessible en ligne cet article, ainsi que l’intégralité de la revue Questions internationales n° 101 – Russie, La puissance solitaire, La documentation française, janvier-février 2020.
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Issue du pacte Atlantique signé en 1949, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est septuagénaire. Comme l’Organisation des Nations Unies (ONU), comme la construction européenne, sa création remonte à la réorganisation des relations internationales après la Seconde Guerre mondiale. Elle intéresse les deux processus, l’ONU parce qu’elle se fonde sur la légitime défense collective de ses membres prévue par la Charte dans son article 51, la construction européenne parce qu’au départ elle concerne avant tout la sécurité de l’Europe occidentale, soumise à la pression militaire et politique de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et du camp socialiste.
L’OTAN s’éloigne pourtant des idéaux de l’ONU et de la sécurité collective à dimension universelle, qui reposait sur une entente étroite entre les États-Unis et l’URSS dont la conférence de Yalta (1945) était la matrice. L’échec rapide de cette entreprise après la fin de la guerre, le rideau de fer entre Europe occidentale et orientale, la naissance des deux blocs opposés ont abouti à la création d’une alliance militaire défensive qui devait solidariser les États-Unis et les pays européens menacés par l’expansionnisme soviétique. L’OTAN a permis à la construction européenne de se développer sans être entravée par le souci de la sécurité militaire des pays fondateurs, parce que les États-Unis sont appelés à y pourvoir.
Ce sont en effet les pays européens qui sont les plus intéressés dans cette protection et qui la demandent. La participation initiale au pacte Atlantique et à l’OTAN ne recouvre cependant que partiellement celle de la construction européenne balbutiante. La République fédérale d’Allemagne (RFA) n’en fait pas partie au départ, alors que, outre les États-Unis et le Canada, on y trouve des pays qui sont à l’écart du traité européen initial, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA, 1951), comme le Danemark, l’Islande, la Norvège, le Portugal et le Royaume-Uni. Cette composition est alors expliquée par le premier secrétaire général de l’OTAN : le pacte a pour objet de maintenir les États-Unis en Europe, de tenir l’Union soviétique à distance et de laisser la RFA sous domination.
Avant le tournant décisif pour l’Organisation que constitue la disparition du mur de Berlin en 1989 puis du camp socialiste et de l’URSS en 1991, l’OTAN avait connu quelques extensions : la Grèce et la Turquie en 1952, la RFA en 1955 et l’Espagne en 1982 s’ajoutent aux douze membres fondateurs. Rien de comparable toutefois avec l’élargissement massif qui, en quelques années au tournant des XXe-XXIe siècles, double quasiment le nombre des membres, aujourd’hui trente, en attendant quelques adhésions futures, peut-être celles des pays balkaniques qui restent pour l’instant à l’écart – Serbie, Bosnie, Kosovo.
L’OTAN a ainsi connu au moins deux vies, la première dans le cadre de la politique des blocs jusqu’à la disparition de l’URSS, la seconde au cours des trois décennies qui l’ont suivie jusqu’à nos jours. Durant la première, la situation était claire et tranchée. Avant tout antisoviétique, l’OTAN était un bouclier en Europe contre les intentions supposées agressives de l’URSS, et son efficacité était globalement satisfaisante. Elle était de nature préventive, puisque l’Organisation n’a pas eu à intervenir militairement et que sa fonction a été avant tout dissuasive.
La seconde vie, les trente ans qui ont suivi, sont beaucoup plus complexes et incertains. Le président Emmanuel Macron a déclaré, le 7 novembre 2019 dans The Economist, l’OTAN en état « de mort cérébrale », formule qui a été plutôt ignorée que contestée. L’Organisation et ses membres lui ont opposé silence et inertie, mais il est clair que l’OTAN n’a pas défini son rôle dans le désordre international actuel. Si elle a été un bouclier efficace durant quarante ans, n’est-elle pas devenue une passoire stratégique, inefficace face aux nouvelles menaces sécuritaires telles que le terrorisme international, les conflits sociétaux, les migrations massives, la cybersécurité notamment ? Sur ce dernier point, le Manuel de Tallinn, élaboré en 2013 par des experts mandatés par l’OTAN, n’apporte qu’une contribution limitée.
Les concepts stratégiques qui définissent les priorités et les objectifs de l’OTAN semblent toujours à la remorque des événements tandis que sa pratique, réactive, ne répond à aucun dessein organisé. Les élargissements massifs qu’elle a connus vers l’Europe centrale et orientale, vers les Balkans, l’incorporation en son sein de la plupart des anciens pays socialistes, y compris de républiques soviétiques sécessionnistes, n’ont-ils pas affaibli sa cohésion et obscurci ses buts sans accroître ses capacités ? Tels sont du moins les reproches que l’on est tenté de faire à l’Organisation.
Force est cependant de constater que sa survie provient de l’incapacité des Européens à organiser leur propre système de sécurité après la guerre froide. Le double échec de la « Maison commune » préconisée par Mikhaïl Gorbatchev et de la Confédération européenne proposée par François Mitterrand, la faiblesse de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE devenue OSCE en 1994), les déficiences des pays européens face à la dislocation de la Yougoslavie ont laissé le champ libre à l’OTAN. Elle est désormais confrontée à diverses questions, que l’on peut rassembler autour de trois registres : la distinction entre l’Alliance atlantique et l’OTAN ; les hésitations entre les concepts et les pratiques ; les relations entre l’OTAN et l’Union européenne.
Alliance atlantique et OTAN
L’Alliance atlantique est d’abord, en 1949, un traité dont les deux éléments essentiels sont l’article 5, qui prévoit la solidarité entre les États membres pour assurer leur défense collective en cas d’agression pour l’un d’entre eux – encore cette solidarité n’est-elle pas automatique – et l’article 10 qui organise l’entrée possible de nouvelles parties par accord unanime des membres – chacun disposant donc d’un droit de veto.
L’Organisation, l’OTAN proprement dite, n’est instituée qu’ensuite, vers la fin 1949, pour donner une impulsion concrète à la solidarité et la doter d’outils efficaces. Plusieurs organes donnent corps à l’institution. Le Conseil de l’Atlantique Nord, issu quant à lui du traité, est l’organe politique. Une assemblée parlementaire représente les parlements nationaux.
Mais la structure militaire est l’essentiel et la plus intégrée. Un Comité militaire composé des chefs d’état-major nationaux ou de leurs représentants. Un commandement militaire intégré facilitant les opérations communes et l’interopérabilité des forces (celui que la France avait quitté en 1966 pour conserver l’indépendance de ses forces avant d’y revenir en 2009).
Le pacte Atlantique, qui a fondé l’Alliance d’un côté, et l’OTAN de l’autre sont à la fois liés et distincts, ce qu’exprime par exemple la formule récente d’un expert, déclarant que l’Alliance atlantique se portait mal mais que l’OTAN se portait bien – un jugement qui mérite d’être soumis à examen.
Pour ce qui est de l’Alliance atlantique, variante de multilatéralisme conventionnel, elle illustre cette constatation que le multilatéralisme est un sport de combat : il intériorise les différences d’intérêt, voire les divergences entre les parties davantage qu’il ne les surmonte. Il risque de devenir le champ clos de leurs contradictions. Simplement, comme il repose sur une solidarité déterminée, il comporte en principe les moyens de régler leurs différends, et au minimum de les contenir.
L’Alliance réunit ainsi des visions très différentes de la sécurité suivant les États parties. De façon générale, elle se pique d’être attachée à la démocratie de type occidental, mais admet et conserve en son sein des pays qui s’en éloignent plus ou moins : le Portugal de Salazar, la Grèce des colonels, la Turquie des coups d’État à l’époque de la guerre froide, des démocraties autoritaires au XXIe siècle.
En outre, des confrontations peuvent survenir entre États membres de l’Alliance sans qu’elle soit en mesure de les prévenir – simplement aucune d’elles n’a débouché sur un conflit armé, mais l’Alliance n’a pas créé une paix structurelle entre ses partenaires, à la différence de ce qu’a réussi la construction européenne.
C’est le cas des rivalités récurrentes entre la Grèce et la Turquie en Méditerranée orientale. Les États-Unis, parrains de l’Alliance, n’ont de surcroît qu’un intérêt et qu’une loyauté intermittents à son égard. C’est ainsi qu’ils ne se sont pas souciés d’informer les États qui participaient à leur intervention en Afghanistan après 2001 de leur retrait vingt ans plus tard.
Quant à l’OTAN, bras armé de l’Alliance, destiné à établir en son sein un outil militaire puissant et efficace, il ne peut dissimuler les limites de la cohérence entre les forces armées de ses États membres et leurs profondes dissymétries, pour ne pas parler de leurs inégalités. Sur les trente membres, combien d’armées en mesure de combattre dans des conflits prolongés de haute intensité ?
L’interopérabilité entre les forces, qui suppose que l’on dispose des mêmes formations, des mêmes instructions de combat et règles d’engagement, de matériels interchangeables, est un objectif favorisé par les normes OTAN, essentiellement d’origine américaine. Elles débordent même d’une dimension spécifiquement militaire pour s’attacher à nombre de fabrications industrielles, compte tenu des produits à double usage.
Voilà qui ne manque pas de favoriser l’exportation des armements américains, qui est une politique publique importante des États-Unis, en rivalité avec d’autres pays membres de l’Organisation. La grande industrie tend à remplacer la grande armée, même si celle-ci reste un objectif de l’OTAN.
Sur ce plan, outre les asymétries entre les forces, les résolutions combattantes sont bien différentes. L’Allemagne répugne à employer la force, d’autres pays ne peuvent apporter qu’un appui limité, et tous ont la possibilité d’énoncer des caveat, c’est-à-dire de se réserver le droit de refuser certaines actions ou formes de combat. Enfin, certains, dont la France ou les États-Unis, conservent des forces qui restent indépendantes de l’OTAN, spécialement en matière de dissuasion nucléaire. Bref, dire que l’OTAN va bien est un jugement optimiste.
Concepts et pratiques
Il ne s’agit pas ici des concepts stratégiques définis par l’OTAN elle-même et qui jalonnent son histoire. Le dernier remonte à 2011, le suivant devrait être adopté en 2022. Ils ont pour objet d’analyser les risques et menaces auxquels l’Organisation est confrontée et les types d’action envisagés pour leur répondre. Il ne s’agit pas d’une planification opérationnelle, mais d’une analyse des conditions de l’insécurité qui affecte les États membres et des priorités qu’elle appelle. Le discours reste assez général et même composite. Il peut en outre être adapté en cours de route par des communiqués issus de sommets de l’OTAN, si les circonstances le justifient.
Ce n’est pas ce type de concepts qui est ici envisagé, mais plutôt les théories du maintien de la paix et de la sécurité internationales qui sous-tendent l’existence et l’action de l’OTAN. Le plus évident est celui de la légitime défense collective telle qu’elle est prévue par la Charte de l’ONU. Devant l’échec de la sécurité collective que la Charte tente d’organiser, les pays occidentaux sont conduits à revenir à une formule plus classique, qui fonde leur sécurité dans un cadre non plus universel mais régional.
C’est en quelque sorte la Charte revue à la baisse, mais en contrepartie la sécurité qui en résulte est mieux assurée, reposant sur un outil militaire puissant et une claire identification de l’adversaire virtuel. La sécurité collective ne désigne a priori aucun adversaire, et implique que tous les membres de l’Organisation concourent à la sécurité de chacun. Si l’un des membres de l’ONU devient agresseur, il s’expose aux actions coercitives du Conseil de sécurité, y compris au recours à la force armée – comme ce fut le cas après l’annexion du Koweït par l’Irak en 1990, alors que les deux États étaient membres de l’ONU.
Plus largement encore, le Conseil de sécurité peut prendre les mesures qu’il estime imposées par les circonstances en cas de menace à la paix ou de rupture de la paix, sans nécessairement identifier un agresseur, et ces mesures sont obligatoires pour tous ceux qu’il vise. La sécurité collective s’exerce donc à l’intérieur du cercle des États membres, alors que la défense collective est tournée vers l’extérieur, reposant sur la technique classique de l’alliance. La sécurité collective façon ONU est toujours aléatoire, car elle dépend de l’entente entre les États membres permanents du Conseil de sécurité. La défense collective selon l’OTAN est plus efficace, quoique le concours militaire des membres entre eux ne soit pas automatique.
La présence de troupes américaines sur le continent, qui impliquait immédiatement les États-Unis dans une attaque provenant de l’URSS, était alors considérée comme une garantie plus crédible. En bref, la sécurité collective était liquide là où l’OTAN était solide. Toutefois, même dans le cadre de la stricte défense collective, des doutes pouvaient s’élever en raison de la stratégie de dissuasion nucléaire entre les États-Unis et l’URSS.
Cette dissuasion mutuelle avait pour conséquence possible que les États-Unis ne s’exposent pas au risque nucléaire pour défendre un pays européen, mais se limitent à la protection de leurs intérêts vitaux. Le thème du « découplage » entre défense américaine et défense de l’Europe a agité la décennie 1980, avant la chute de l’URSS, et entraîné l’apparition d’un doute sur la réalité de la solidarité américaine.
D’autres raisons peuvent être mentionnées : l’existence d’une force de dissuasion française totalement indépendante de l’OTAN par exemple, accompagnée du retrait de la France des commandements intégrés de l’Organisation. S’y ajoute que la CSCE, réunie entre 1973 et 1975 et qui rassemblait tous les États du continent plus les États-Unis et le Canada, excluait les alliances antagonistes, l’OTAN comme le pacte de Varsovie. Or, le rôle de la CSCE dans la chute de l’URSS est loin d’être négligeable, par les fissures qu’elle a introduites puis élargies au sein du camp socialiste, contribuant à une contestation accrue dans les démocraties populaires jusqu’à la chute du mur de Berlin.
Ainsi le doute sur la défense collective de l’Europe occidentale existait dès avant la disparition de l’URSS, et elle n’avait plus de raison d’être après. L’OTAN n’en a pas moins subsisté comme on l’a dit, et s’est dès lors trouvée dans une sorte d’errance conceptuelle dont témoigne une pratique multiforme qui en a fait un instrument, sinon à tout faire, du moins à usages multiples, une alliance existentielle.
Elle a exploré par exemple la possibilité de devenir une organisation de sécurité collective, élargissant son compas et ses objectifs. Sécurité collective de l’Europe, par des partenariats avec les anciens pays socialistes, et même avec la Russie. Sécurité collective au service de l’ONU dont l’OTAN serait devenue le bras armé, en ex-Yougoslavie lors du démantèlement conflictuel de ce pays, puis sans l’ONU voire contre elle avec la sécession du Kosovo en 1999. Contribution certes modeste mais significative à l’intervention en Afghanistan, donc tout à fait hors zone Atlantique.
Car le souhait de transformation en une organisation de sécurité collective s’accompagne nécessairement d’une universalisation des espaces possibles d’action. On a ainsi évoqué l’hypothèse d’une organisation des démocraties, incorporant l’Australie, le Japon, Israël. Les missions de l’OTAN se sont également diluées, pouvant comporter le recours à la force, mais aussi des actions d’assistance logistique ou civile.
Tout se passe comme si la formule de Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la Défense du président George W. Bush, ce n’est pas la coalition qui définit la mission mais la mission qui définit la coalition, restait pleinement actuelle. D’où une OTAN à géométrie et à objets variables. Toutefois, après avoir exploré de façon empirique ces divers chemins, l’OTAN semble dorénavant revenir, sinon à son point de départ, tout au moins à une centralité européenne en raison de la crise ukrainienne, ce qui soulève la question de ses rapports avec l’Union européenne.
OTAN et Union européenne
Les deux organisations ne se superposent que partiellement, puisque tous les membres de l’Union européenne ne sont pas membres de l’OTAN et que l’OTAN comporte des États membres européens extérieurs à l’Union. L’OTAN se compose cependant pour plus des deux tiers de membres de l’Union, et seuls six de ces membres ne participent pas à l’OTAN (Autriche, Chypre, Finlande, Irlande, Malte, Suède).
Cette Organisation est donc en large partie comptable de la sécurité de l’Europe occidentale – même les pays qui n’en sont pas membres ont des liens privilégiés avec elle. Les nouveaux membres de l’OTAN, anciennes républiques socialistes, renforcent le poids des États-Unis. Ils ont réussi une entrée parallèle dans l’Union européenne et dans l’Organisation. Frustrés du plan Marshall dont ils n’ont pas bénéficié en son temps, ils attendent à la fois la prospérité européenne et la sécurité américaine.
Ici apparaît un second principe du multilatéralisme, après celui de la compétition permanente entre les partenaires, selon lequel une institution multilatérale ne fonctionne que s’il existe un leadership en son sein, c’est-à-dire un ou quelques pays moteurs qui solidarisent les autres autour d’un projet commun dans lequel chacun trouve son intérêt. Est-ce aujourd’hui le cas de l’OTAN ? On peut en douter tant les aspirations des uns et des autres sont disparates, leurs capacités hétérogènes et leur implication inégale. Au fond, la situation est plutôt celle d’une hégémonie, l’hégémonie américaine, qui ne se soucie guère d’un partage des rôles équilibré et qui a glissé de la protection au protectorat sécuritaire. L’hégémonie s’appuie sur des décisions unilatérales là où le leadership cherche un consensus.
Cependant, les États-Unis n’ont qu’un intérêt limité pour l’OTAN. Le président Donald Trump envisageait même un possible retrait s’il avait pu faire un second mandat. L’administration Biden ne s’engage pas dans cette voie. Les conditions du retrait récent d’Afghanistan, où l’OTAN était sur le terrain mais a été ignorée, la désinvolture avec laquelle a été rompu et remplacé un contrat entre l’Australie et la France sur la construction de sous-marins, l’accélération du tournant stratégique des États-Unis vers la Chine, la conclusion d’une alliance Australie-États-Unis-Royaume-Uni (AUKUS) montrent que le temps est celui de l’Indo-Pacifique et non plus de l’Atlantique.
C’est une confrontation globale avec la Chine qui se dessine du côté américain, confrontation à laquelle l’Union européenne n’a aucun intérêt à participer, ni elle, ni ses États membres. À l’exception de la France, puissance insulaire et maritime dans la région, l’Union européenne n’a que des intérêts économiques, spécialement l’Allemagne, et n’entend nullement les sacrifier ou les subordonner aux sollicitations américaines. Face à ces évolutions, les pays européens sont fondés à chercher une alternative, qui pourrait être une défense proprement européenne. L’Union européenne pourrait en être le cadre, puisqu’il faut renoncer durablement à une sécurité paneuropéenne reposant sur l’OSCE.
Serpent de mer depuis des décennies, l’idée d’une défense européenne se heurte à deux obstacles principaux. Le souci des États-Unis de ne pas laisser se développer une réelle autonomie de leurs partenaires, qui contrarierait leurs desseins stratégiques comme économiques. L’impuissance propre des Européens, très divisés sur le sujet. Le Brexit complique encore la situation, puisqu’une telle autonomie supposerait une participation active du Royaume-Uni, seule puissance militaire avec la France disposant de solides capacités de combat, et donc une construction particulièrement complexe.
En outre, les pays d’Europe centrale et orientale s’accommodent très bien de l’OTAN, tandis que l’Allemagne répugne à tout engagement militaire important. La force de dissuasion française est une assurance-vie pour le pays, mais elle peut être aussi difficilement européanisée que le siège de membre permanent au Conseil de sécurité.
C’est plutôt du côté des industries de défense que des coopérations peuvent se nouer. Les rivalités nationales n’en existent cependant pas moins sur ce terrain, tandis que les États-Unis veillent à préserver des marchés qui leur semblent devoir rester leurs. Ils sont de surcroît irrités par des budgets militaires européens trop faibles à leur goût et ils insistent sur un partage du fardeau. Dans ces conditions, l’OTAN persévère dans son être et, si elle n’a pas trouvé un rôle, elle a conservé sa rhétorique. Dans ces conditions, l’OTAN est ce qui divise le moins les membres de l’Union européenne.
Manuscrit clos en décembre 2021