1ère partie
En 2009, l’Assemblée Générale des Nations Unies se fixa pour objectif « d’élaborer un instrument juridiquement contraignant établissant les normes internationales communes les plus strictes possibles pour le transfert d’armes classiques ». La résolution 64/48 détaillait avec précision les différentes étapes du processus ainsi lancé. Le calendrier établi prévoyait que le Comité préparatoire tiendrait cinq sessions de travail dont une dernière en 2012 « d’une durée maximale de trois jours pour décider de toutes les questions de procédure » concernant la conférence diplomatique qui constituera l’ultime phase des négociations.
Au lendemain de cette dernière réunion du Comité préparatoire, l’optimisme semble de rigueur : le calendrier prévu par la résolution a été respecté et une conférence diplomatique a effectivement été convoquée en juillet prochain. Pour autant, la prudence s’impose. Il n’est qu’à relever que la dernière session du Comité préparatoire a duré plus longtemps que les trois jours prévus initialement…un retard assez révélateur des difficultés et des oppositions auxquelles se heurte le processus depuis quelques mois de manière de plus en plus manifeste. Ces difficultés sont telles qu’elles pourraient sérieusement porter préjudice à l’efficacité – et à l’existence même ? – du traité en gestation. Les appréhender à partir de la dernière session du Comité préparatoire peut donc se révéler riche d’enseignements et susceptible d’éclairer la conférence diplomatique de juillet prochain.
De la progression du travail préparatoire
La session de travail de février dernier marque tout d’abord la fin du processus préparatoire (qui s’achèvera définitivement lors de l’ouverture de la conférence diplomatique en juillet). Idéalement, les travaux préparatoires à une conférence diplomatique s’efforcent de créer les conditions les plus favorables à l’émergence d’un compromis acceptable par le plus grand nombre. Dans le cas d’un processus devant aboutir à l’adoption d’un traité international, ce compromis peut prendre la forme d’un projet ou draft qui s’approche au fur et à mesure des travaux de la forme définitive du traité. Les négociations sur le TCA ont montré toutes les limites de cette logique.
Il est difficile de sonder l’esprit de l’Argentin Roberto Moritan, le président du Comité préparatoire, d’autant qu’il reste relativement discret sur ses intentions et surtout très prudent. Mais il semble avoir considéré que les discussions, loin de favoriser l’émergence d’un consensus autour d’un projet de traité ambitieux, risquaient de susciter l’apparition d’une opposition susceptible de gêner le déroulement du processus préparatoire, éventuellement même de le remettre en cause. Peut-être a-t-il de ce point de vue une vision claire des rapports de force existants, et a-t-il estimé à juste titre que le meilleur service à rendre à ceux qui souhaitent un traité fort (ce qui constitue a priori son objectif) était de concentrer les négociations sur quatre semaines en juillet. Il a, en tous les cas, paru vouloir neutraliser les discussions durant le processus préparatoire.
Le projet de traité ou draft qu’il soutient est instructif. Il témoigne de sa volonté d’obtenir un traité fort mais il est aussi révélateur de sa stratégie puisqu’il a semblé tout faire pour le préserver des négociations en limitant les modifications apportées à la version qu’il avait proposée initialement. Pas question ici de proposer à l’issue du travail préparatoire un draft complet, admis comme base des négociations parce qu’il recense les diverses formulations – traductions de la diversité des points de vue – qu’il s’agira de départager ou de transcender durant la conférence diplomatique. Roberto Moritan semble au contraire s’être fixé comme objectif d’arriver à la conférence de juillet – sans doute la première de ses priorités – avec un draft susceptible de constituer la base d’un traité ambitieux. Mais la place même de son projet de traité dans les négociations est, depuis février et la dernière session du Comité préparatoire, sujette à interrogations. Le texte de R.Moritan a finalement été intégré au rapport final qui sera soumis à la conférence diplomatique de juillet mais seulement comme non-papier. Il n’est donc pas certain qu’il constituera la pierre angulaire des négociations finales.
Le processus préparatoire peut donc être considéré de manière optimiste. Le calendrier fixé en 2009 a été respecté, l’enlisement des négociations évité. De plus, le document proposé par R.Moritan pourrait, de fait, s’imposer comme la base des négociations. C’est d’ailleurs actuellement principalement à partir de ce document que les Etats travaillent à la préparation de la conférence de juillet prochain. Le projet de traité de R.Moritan pourrait même constituer effectivement le fondement d’un traité ambitieux. Aymeric Elluin, représentant d’Amnesty International déclara ainsi à l’issue des négociations de février dernier « Ce document correspond à 70% de nos recommandations »[[BOUKHOURS Tressia, Des défenseurs des droits contre un traité édulcoré sur le commerce des armes. Article disponible en ligne sur le site Inter Press service news agency [Mise en ligne le 22/02/2012] à l’adresse : http://www.ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=6907 [Consulté le 26/03/2012]]]. Mais encore faut-il que le non-papier de R.Moritan s’impose en juillet prochain, ce qui n’est plus sûr du tout.
Le processus préparatoire peut, en effet, aussi être regardé avec pessimisme. La stratégie de R.Moritan qui consistait en premier lieu à garantir que la conférence diplomatique aurait bien lieu en 2012, a en contre-partie accordé peu de place aux discussions sur le texte – de telles discussions paraissant assimilées à des menaces susceptibles de nuire à la progression du processus préparatoire. Les divergences ont ainsi été masquées. Elles ne sont d’ailleurs guère visibles dans la dernière version du non-papier. Cette stratégie pourrait toutefois s’avérer dangereuse et aboutir à une ultime phase de négociations difficile durant laquelle le projet du président se révèlerait trop en décalage avec les vues d’un nombre non négligeable d’Etats pour servir de base au traité final. Le processus visant à le contester a d’ores et déjà commencé, avant même le début de la conférence diplomatique. A la demande de certains Etats arguant que leurs vues n’étaient pas reflétées dans le draft, le président a du consentir, bon gré mal gré, à inviter l’ensemble des Etats à faire part de leurs commentaires sur le futur traité s’ils le souhaitaient, en décidant toutefois de limiter à 1500 mots la taille de leurs contributions. Il est difficile de déterminer quelle place ces commentaires occuperont durant la phase finale des négociations. Cette initiative s’inscrit toutefois en opposition au non-papier de la présidence. Elle indique surtout que les opposants à un traité fort, s’ils restent encore relativement discrets – aucun Etats n’osant, pour le moment, s’opposer trop ouvertement au renforcement de la régulation des transferts d’armes et prêt à endosser la responsabilité d’un échec – se structurent…
La conférence de juillet n’aura donc pas simplement pour but d’entériner un document dont les grandes lignes sont déjà connues. Tous les scenarii restent envisageables. Le processus préparatoire au TCA a montré toute la distance qui peut subsister entre la théorie et la pratique. Aucun texte consensuel n’a pour l’heure émergé et le contenu du compromis final – pourvu qu’un compromis soit trouvé – reste bien incertain. De ce point de vue, le non-papier de R.Moritan pourrait préfigurer ce que sera le traité mais il pourrait aussi être regardé, rétrospectivement, avec nostalgie et regret…