Réflexions sur l’inventivité et le droit

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Conclusions au colloque de Clermont-Ferrand, 2017
in
Revue du Centre Michel de l’Hospital, n° 14, juin 2018, pp. 90-97
par Serge SUR

Inventivité et droit : une telle association laisse perplexe. A première vue, les deux ne font pas bon ménage. Le droit est orienté vers la stabilité, la prévisibilité, la rationalité acquise. Les normes qui le composent répondent à la volonté d’organiser des comportements et des situations, même s’il s’agit de favoriser ou de diriger leur changement. Le droit révolutionnaire lui-même tend à cristalliser, à installer et à pérenniser des idéologies existantes, il ne les invente pas. L’inventivité à l’inverse échappe à toute règle constituée, elle fait surgir un monde nouveau, elle est souvent imprévisible, dans son origine, sa nature, ses effets. Comment l’anticiper ? Comment l’intégrer dans la prévision ? Une anecdote : Au président Mitterrand qui lui vantait la planification publique de la recherche afin de la rendre plus féconde, le président Reagan répondait en sortant un stylo bille de sa poche, et en lui faisant observer que personne n’avait prévu le succès universel de la pointe Bic. Ce qui n’empêchait pas au demeurant le même président Reagan de multiplier les financements publics de la recherche sur l’Initiative de défense stratégique (IDS ou SDI).

Le terme et le concept d’inventivité demandent à être éclaircis, aussi bien dans leurs rapports avec des notions voisines comme la découverte, la créativité, l’innovation que dans leur contexte social. Au bénéfice de ces distinctions, on pourra souligner l’influence de l’inventivité sur la sociabilité. On sait que le droit est un élément fondamental du lien social : on peut retourner la fameuse formule, ibi jus, ubi societas. Le système juridique est la marque de l’organisation qu’une société se donne volontairement à elle-même, et au minimum la conscience qu’elle prend d’elle-même. Elle est une composante de sa dimension culturelle, de sa civilisation. A ce propos, l’inventivité ne serait-elle pas un critère, voire le critère de la distinction entre culture et civilisation ? Voilà qui conduira à s’interroger sur l’inventivité du droit, sur la naissance de nouveaux concepts et normes juridiques. Enfin, comment le droit prend-il en considération, intègre-t-il dans son univers les inventions, objets nouveaux qui appellent régulation et doivent être ainsi consacrés et résorbés ?