Par Lucie Delabie, le 9 mai 2022
« America is back. Diplomacy is back at the center of our foreign policy ». Les propos tenus en février 2021 par le 46eprésident des Etats-Unis, quelques semaines après son investiture, devant le personnel du département d’Etat, réitérés lors d’un sommet du G7, témoignent de l’intention de refonder un multilatéralisme efficace, guidé par le leadership américain[1].
Entouré d’un personnel expérimenté en matière de politique étrangère issu pour partie de l’administration Obama et favorable à l’internationalisme libéral, le président Biden a multiplié les déclarations et les actes marquant le retour des Etats-Unis sur la scène internationale : réengagement envers l’accord de Paris sur le climat, notification du retour à l’Organisation mondiale de la santé et participation au mécanisme COVAX pour un accès équitable aux vaccins contre la covid-19, participation renouvelée au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (élus membres pour la période 2022-2024). Ce sont autant d’actions concrètes qui illustrent cette volonté de réengagement dans les affaires internationales.
A cela s’ajoutent les déclarations visant à « revigorer » les alliances dénigrées par Donald Trump telles que l’OTAN, comme l’indiquait le secrétaire d’Etat Antony Blinken lors de son audition devant le Sénat américain dès janvier 2021, tandis que Joe Biden soulignait quelques semaines plus tard : « American leadership must meet this new moment of advancing authoritarianism, including the growing ambitions of China to rival the United States and the determination of Russia to damage and disrupt our democracy ». Si l’objectif affiché en début de mandat était clairement de marquer son opposition avec son prédécesseur tant vis-à-vis des citoyens américains qu’envers les membres de la communauté internationale, de tels propos prennent un relief particulier un an plus tard, à l’heure où la Russie occupe militairement l’Ukraine. Plus que jamais, il semble que l’Amérique ne puisse échapper à son rôle de leadership. Mais qu’en est-il en pratique ? Entre les discours et les actes où se situe la réalité ? Quels sont les points de rupture et de continuité avec la politique menée par les Etats-Unis ces dernières années ? Décryptage autour de quelques thématiques qui sont à la fois au cœur des enjeux internationaux contemporains et des intérêts nationaux américains.
La relance d’une architecture multilatérale de sécurité ?
Renouveau des alliances et des engagements en matière sécuritaire
En 2021, Antony Blinken affirmait au sujet de l’OTAN : « Nous voulons revitaliser l’alliance pour nous assurer qu’elle est aussi forte et efficace contre les menaces d’aujourd’hui qu’elle l’a été dans le passé ». La réalité a rattrapé le discours et, face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Etats-Unis et les membres de l’Alliance ont pris la mesure de cette nécessaire revitalisation. En ce domaine, le conflit russo-ukrainien ne peut être qu’un accélérateur des volontés américaines et le secrétaire général de l’organisation a souligné l’exceptionnel leadership américain envers l’OTAN lors de la venue d’Antony Blinken au siège de l’Organisation le 4 mars dernier. Sans doute les effets de ce repositionnement vis-à-vis de l’Alliance seront-ils visibles sur les réformes à venir de l’OTAN, les exigences de Washington envers le respect par ses membres des valeurs démocratiques et le partage du fardeau. Donald Trump s’était refusé à assister un pays si celui-ci n’avait pas investi 2 % de son PIB dans la défense.
Le renouveau des alliances en matière de contrôle de l’armement et de la non-prolifération est beaucoup moins visible et se limite au renouvellement de l’accord New Start avec la Russie jusqu’en 2026 tandis que Donald Trump s’y était refusé pour cause de non-respect par la Russie de ses engagements.
Recherche d’une position d’équilibre entre gendarme du monde et désengagement international
Les échecs des interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak ont incité les Etats-Unis, depuis la présidence Obama, à rester prudents en matière d’intervention armée. La position de J. Biden vis-à-vis de l’Ukraine ne dénote pas. Déjà lors de l’intervention russe en Crimée, le président Obama était resté très prudent sur l’implication des Etats-Unis, souhaitant notamment préserver les discussions en cours avec le P5 et l’Iran concernant un projet d’accord sur le nucléaire. Joe Biden est aujourd’hui confronté au même enjeu, les Russes bloquant les négociations reprises sous son impulsion en 2021. Par ailleurs, l’opposition frontale entre les Etats-Unis et la Russie ne fait pas oublier les enjeux américains dans la zone indo-pacifique et la question du positionnement de la Chine, le besoin de réassurance de Hong Kong. Ce sont autant de défis à relever pour l’actuelle présidence américaine.
Continuité d’une approche singulière de la guerre contre le terrorisme
Du point de vue du droit des conflits armés, la rupture avec les présidences précédentes n’est pas entamée. Dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, la justification des actions américaines – en particulier les exécutions ciblées – demeure fondée sur une conception extensive de la légitime défense qui est sujette à controverses. Ainsi, fin février 2021, à l’occasion d’une attaque ciblée contre un groupe iranien sur le territoire syrien, le président Biden[2] a justifié l’action sur la base d’une interprétation large de la légitime défense, fondée sur l’idée que l’Etat territorial (en l’espèce la Syrie) n’avait « ni les moyens ni l’intention » de se défendre (« uncapable or unwilling power »). Cette approche présentée comme étant issue d’une observation neutre du droit international sans toutefois refléter le droit positif, est apparue après l’intervention anglo-américaine en Irak[3]. On relèvera toutefois une nuance avec les administrations précédentes. Tandis que ses prédécesseurs se basaient sur la légitime défense et sur l’Authorization for the use of military force Act (AUMF)[4], Joe Biden ne fait référence qu’à la légitime défense. Cet unique fondement est lié au fait que l’administration Biden entend réformer l’AUMF. Sur un plan politique, mieux valait donc ne pas se fonder sur ces actes pour justifier les exécutions ciblées.
[1] Pour une vue générale, « Biden administration reengages with international institutions and agreements » Contemporary practice of the United States, AJIL, 2021/2.
[2] A ce sujet, AJIL 2021-3. Contemporary practice of the US.
[3] A ce sujet, O. Corten exécution extrajudiaires, IHEI, p. 73 et s.).
[4] Cette législation, adoptée par le Congrès en 2001 autorise le recours à la force armée contre tout responsable des attaques perpétrées à l’encontre des Etats-Unis le 11 septembre 2001.