ThucyBlog – In Memoriam

Illustration de Donatienne Sadicoult, Centre Thucydide

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Par Serge Sur, le 10 juin 2023

Au cours des cinq dernières années, ThucyBlog a diffusé 286 posts. La plupart ont été rédigés par des doctorants ou jeunes docteurs du Centre Thucydide. La formule a connu diverses évolutions. Dans un premier temps, il s’agissait de ThucyDoc, réservé à ces contributeurs. Il a ensuite été décidé de lui donner une ampleur nouvelle. Deux innovations, au-delà du changement d’appellation : d’une part, le blog a été ouvert à des contributeurs extérieurs, d’autre part sa périodicité a été renforcée, puisqu’il a durablement diffusé deux posts par semaine. Des illustrations musicales, le plus souvent humoristiques, accompagnaient les propos, manière de maintenir une certaine distance avec les thèmes abordés. Ceux-ci couvraient l’ensemble du champ international dans ses multiples dimensions, à l’instar de l’Annuaire Français de Relations Internationales, autre publication phare du Centre Thucydide. Certaines de ces contributions avaient un objet étroit, d’autre beaucoup plus larges, certaines étaient de caractère conjoncturel, d’autres avec un recul historique plus important.

L’objet de ThucyBlog était de fournir une plateforme d’expression à des auteurs, dont la plupart étaient de jeunes auteurs. Il était aussi de permettre à ces derniers de se rôder à l’écriture, exercice très formateur pour des thésards, dans un cadre restreint : 8 000 à 10 000 signes en principe par post, éventuellement dédoublement voire détriplement pour les plus développés. Rien n’est plus facile en effet que d’être long : il suffit d’accumuler les données, les faits, les références. Il est plus stimulant de devoir resserrer le propos, de le réduire à l’essentiel, de marquer les points forts d’une question au lieu de les diluer dans de filandreux développements. Les posts étaient un défi de conception, de construction, de rédaction. La ligne claire était aussi requise : pas de jargon, éviter dogmatisme et pédantisme, chercher à être compris par des lecteurs pressés. On demandait également une personnalisation des posts plutôt que de s’appuyer, comme trop souvent dans le champ des Relations internationales, sur des auteurs américains qui semblent le déambulateur obligé des pensées bancales.

Grâce à l’engagement de nombreux doctorants, épaulés par des intervenants extérieurs plus épisodiques et de provenances diverses, universitaires ou experts, ThucyBlog a été durablement un succès. Le nombre de ses abonnés et de ses lecteurs, sur le site « afri-ct.org », s’est régulièrement accru. On pourra se reporter à l’onglet ThucyBlog, sur ce site, et à sa présentation, avec une illustration due à la talentueuse doctorante Donatienne Sadicoult. L’entreprise collective a durant cette période rempli ses fonctions, au-delà de l’exercice de réflexion, de construction et d’écriture qu’il suscitait. Elle a contribué à solidariser dans un défi commun des doctorants trop souvent isolés, aussi bien matériellement qu’intellectuellement, dans la préparation de leur thèse, ou pris par d’autres activités. Elle a représenté également un élément de visibilité et de continuité du Centre Thucydide, dont les moyens sont très limités par rapport à ses nombreuses activités. Elle a assuré un lien entre les responsables du Centre, ses enseignants-chercheurs, et les doctorants. Le Conseil de gestion a assuré, tout au long de cette période, le suivi et la qualité des posts.

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Il faut maintenant évoquer tout cela au passé. ThucyBlog est en effet conduit à disparaître, son Conseil de gestion dissous et le titre lui-même inaccessible parce que relevant d’une propriété privée. Cette disparition est l’aboutissement de plusieurs phénomènes, dont l’un est irrésistible. On a constaté progressivement une ThucyBlog fatigue. Les doctorants n’ont plus d’appétence pour la formule, qui leur apparait comme une contrainte plus que comme un défi stimulant. La montée de cette fatigue s’est traduite par un ralentissement du rythme des posts, qui sont passés de deux à un par semaine, tandis que l’apport des intervenants extérieurs était plus présent, mais lui-même raréfié. En dépit des efforts de quelques doctorants – hommage à Insaf Rezagui et Kevan Gafaïti – attachés à la formule et actifs dans la sollicitation des contributeurs, la source s’est tarie au fil du temps. Il faut en prendre acte. On aurait sans doute pu continuer quelque temps encore avec quelques procédés artificiels, mais la fécondité intellectuelle avait disparu, dès lors que l’intérêt des contributeurs s’était évanoui. On ne saurait en effet penser que les thèmes propres aux relations internationales ont décliné ou se sont résorbés.

Il faut aussi le dire avec regret. A ce rétrécissement fatal des contributions s’est ajouté une tentation dangereuse, celle de limiter la liberté d’expression des posts. Or ThucyBlog n’a d’autre limite à cette liberté d’expression que le vaste champ international qui est son objet, dans le cadre des lois en vigueur. Prétendre restreindre cette liberté par une ligne éditoriale peut convenir à des médias engagés, idéologiquement, politiquement, philosophiquement, mais ne saurait convenir à un blog académique, ouvert à toutes les analyses et opinions. Il n’est pas question de céder à un wokisme soft – pour reprendre un vocabulaire à la mode – qui tend à se répandre insidieusement dans l’université. Celle-ci n’a besoin ni de directeurs de conscience ni de commissaires politiques. Encore moins de pensée convenue. Comme le disait un grand directeur de presse britannique, un article qui ne déplait à personne n’est que de la publicité. Le principe de ThucyBlog est que, si l’on n’est pas d’accord avec un post, on lui répond par les mêmes voies. On nourrit par-là la disputatio, qui est le ressort des disciplines du Centre Thucydide. Dans les conditions actuelles, ThucyBlog doit s’effacer. Il le fait sans amertume, avec la satisfaction d’avoir durablement accompli sa mission.