Hommage à Guillaume Parmentier (1953-2023)

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Par Célia Belin, le 5 juin 2023 
Directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR)
Docteure en Science politique du Centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-Assas

C’est avec tristesse et nostalgie que nous avons appris la disparition, le 24 avril 2023, de Guillaume Parmentier – brillant géopoliticien, ancien professeur associé à l’université Panthéon-Assas et, pour certains d’entre nous, un mentor exceptionnel sur le chemin sinueux de nos études doctorales.

Au long de sa carrière fascinante, à l’OTAN, auprès du ministre de la Défense, et dans des think tanks en Europe comme aux Etats-Unis, il s’était établi comme praticien et observateur hors-pair des relations transatlantiques. Membre éminent de l’Annuaire français de relations internationales, il en a dirigé pendant de nombreuses années la rubrique « Politique étrangère des Etats-Unis ». Guillaume Parmentier a su traduire ses connaissances et sa passion pour la géopolitique dans le monde universitaire, assurant la direction intellectuelle de plusieurs étudiants engagés sur une thèse de doctorat en relations internationales.

Guillaume Parmentier connaissait vraiment les Etats-Unis, et avait une maitrise exceptionnelle des rouages de Washington. Il souhaitait transmettre à ses confrères et étudiants européens une compréhension subtile et profonde des Etats-Unis. Il estimait que tant d’observateurs français ont une perception biaisée des Etats-Unis du fait de la prévalence de la culture américaine en Europe, et ne mesurent pas toutes les facettes de ce pays vaste et complexe.

Motivé par le besoin de développer un pôle d’expertise sur la politique américaine, Guillaume Parmentier a créé son propre partenariat transatlantique en 1999, en fondant à l’IFRI le Centre français sur les Etats-Unis, organisation jumelle du Center on the United States and France de la Brookings Institution de Washington. Il s’est ainsi entouré de chercheurs dynamiques, et a lancé une filière d’études sur les Etats-Unis dont le prestige lui a survécu. Il était aux premières loges pour observer et mesurer l’ampleur des tourments générés par les attentats du 11 Septembre 2001 et, dans leur foulée, les tensions aigues entre Paris et Washington sur le sujet épineux de l’intervention américaine en Iraq.

Pour stimuler le débat, le Centre, aujourd’hui Programme Etats-Unis de l’Ifri, organisait une conférence annuelle à laquelle participaient les plus éminents chercheurs européens et américains, tissant des liens transatlantiques substantiels dans le domaine de la recherche en sciences politiques – liens qui continuent de s’approfondir, aujourd’hui sous l’égide de Laurence Nardon.

De l’Amérique, Guillaume Parmentier avait adopté un esprit pratique, qui influençait sa recherche et celle de ses chercheurs. Dès les premiers jours de thèse, il martelait l’adage « Publish or Perish » – publier ou périr – affiché dans son bureau. Il avait pour effet de nous motiver, doctorants en manque d’assurance, à nous lancer rapidement dans la rédaction d’articles avant même de penser à celui du mémoire. Il nous pressait aussi de ne pas faire de la thèse de doctorat l’œuvre de toute une vie, mais plutôt un tremplin, un exercice certes rigoureux, mais avec comme objectif pratique d’ouvrir sur d’autres perspectives. Cette injonction de nous a jamais quittées, même quand il est tombé malade en 2007 et n’était plus en mesure de diriger nos travaux.

Guillaume Parmentier ne manquait pas de caractère. Même s’il pouvait en froisser certains, c’est son humour si fin et acerbe qui dominait, et qui nous mettait à l’aise, brisait la glace et nous mettait en confiance. Dans un monde académique hiérarchique et souvent intimidant, Guillaume Parmentier apportait un vent étonnant de fraicheur.

Empêché par les séquelles d’un accident vasculaire-cérébrale, Guillaume Parmentier a mis en pause sa carrière en 2007. Son regard critique nous a manqué pour décrypter les années Obama, les printemps arabes, le phénomène Trump ou encore la guerre en Ukraine. En 2004, Guillaume Parmentier regrettait que les Français ne voient en George W. Bush, président du 11 Septembre et de la guerre en Iraq, qu’« une aberration particulière, un phénomène transitoire dû à la personnalité tranchée et à l’origine géographique particulière du Président ». Ils manquaient à leur compréhension de l’Amérique « les mouvements profonds de l’opinion américaine, portés par des changements démographiques, économiques et politiques de fond », écrivait-il alors dans l’introduction d’un ouvrage collectif Les Etats-Unis aujourd’hui (Odile Jacob).

Les Français d’aujourd’hui comprennent-ils les changements à l’œuvre aux Etats-Unis, qui opposent une révolution raciale et sociétale d’un progressisme sans précédent à une contre-révolution populiste et identitaire, issues des petites villes jusqu’aux bancs de la Cour Suprême ? A la veille de la réélection de George W. Bush face à John Kerry, Guillaume Parmentier notait déjà la force de l’esprit partisan aux Etats-Unis, qui rendaient les enjeux politiques plus extrêmes et « transformait la compétition électorale en une guerre pour la survie ».

Et qu’aurait écrit Guillaume Parmentier sur les soubresauts récents de la relation franco-américaine, faites de visites d’Etat chaleureuses, mais entrecoupées de disputes sur les contrats de sous-marins et l’autonomie stratégique européenne ? Il aurait peut-être mis à jour son analyse de 2002, dans l’ouvrage Reconcilable differences (Brookings), co-écrit avec Michael Brenner, qui voyait dans la France le champion de la multipolarité face au monde unipolaire américain. A une époque marquée par l’« hyperpuissance », la France tenait à s’opposer à  l’« unilatéralisme malsain » né de l’état d’hégémonie américaine, et le multilatéralisme était déjà un thème cher aux dirigeants français. Vingt ans plus tard, la France a toujours l’ambition de jouer un rôle, indépendant et européen, sur la scène mondiale. Pas question de rester le partenaire mineur dans l’ombre d’un géant.  Le président français d’aujourd’hui oppose la logique de blocs qui renvoie dos à dos Chine et Etats-Unis, et professe une autonomie stratégique européenne qui viendrait encore une fois rééquilibrer le trop-plein de puissance cette fois entre les deux géants. Le monde multipolaire n’est guère enviable, à une époque où les instances multilatérales avouent leur impuissance, mais la solution est désormais à la « souveraineté », à la résilience, et à l’autonomisation de l’Europe.

Encore une fois, notre professeur avait mis à jour quelques-uns des réflexes français, qui poussent la France à prendre place dans les discussions du monde, et à ne pas se laisser impressionner par le mastodonte de l’autre rive. Au fond, comme nous l’avons constaté dans la suite de notre carrière, les disputes transatlantiques n’empêchent pas l’amitié. Et si elles sont parfois un peu vives, elles contribuent à faire des alliés de meilleurs partenaires.

Guillaume Parmentier a transmis un peu de tout cela dans les quelques années où nous avons collaboré. Armés de ses bons conseils, et des réseaux professionnels qu’il nous avait encouragé à constituer, nous avons poursuivi nos chemins professionnels en gardant une pensée pour ce professeur que la maladie ne nous a pas laissé le temps de devenir un collègue. Sa vivacité et son expertise continuent de nous manquer.

Avec le souvenir de nos années doctorales, Leah Pisar, qui elle aussi a été dirigée dans ses recherches par Guillaume Parmentier, s’associe à moi pour adresser, nos respectueux hommages et nos plus vives condoléances à sa famille et à ses proches.

Célia Belin

Photo du Comité de rédaction de l’AFRI en 2005, avec de gauche à droite, assis : Guillaume Parmentier, Anne Dulphy, Serge Sur, Michel Mathien, Frédéric Bozo ; debout : Bernard Sitt, Daniel Colard, Philippe Moreau Defarges, Bertrand Warusfel, Emmanuel Decaux, Yves Boyer, Gilles Andréani.