Introduction. Médias et société internationale : entre spectacularisation, bruits et silences.

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L’actualité de 2006, telle que présentée par les médias dominants au sein de la plupart des pays du monde, ainsi que par les chaînes internationales qui la construise à leur façon, n’a pas failli dans ses effets sur les relations internationales. Si les réalités observées se ressemblent d’une année à l’autre, comme nous le constatons au sein de cette rubrique, relevons l’emballement médiatique, fondé sur une dynamique de la spectacularisation qui, depuis longtemps décrite par les spécialistes des médias, alterne entre bruits et silences. L’affaire dite des «caricatures de Mahomet», partie d’une modeste publication au Danemark, a pris la dimension d’une conflictualisation exceptionnelle des rapports culturels Orient-Occident, lesquels, évidemment, ont pris une dimension de politique internationale. Et en parfaite méconnaissance de cause. Ignorances culturelles réciproques, incompréhension des religions, dont les significations de l’Islam au quotidien pour les croyants, idées stéréotypées de part et d’autre, volonté des Etats occidentaux et de leurs médias de donner des leçons de démocratie et de liberté d’expression en particulier, sans comprendre en quoi cette même liberté peut mettre en cause la dignité des personnes et de communautés… Les conséquences de cette «affaire» sont loin d’être épuisées en matière de dialogue des civilisations et des cultures, notamment dans leurs dimensions symboliques. Si, au Proche et Moyen-Orient, elle a aussi été exploitée par des acteurs politiques nationaux et des responsables religieux musulmans pour des motifs de politique intérieure, on peut en regretter les «dégâts collatéraux» en vies humaines. Dans ses pertes de mémoire, l’Europe a oublié que les caricatures ont aussi été pour elles de vieilles affaires relevant de l’histoire de la presse et des pratiques journalistiques: en France, André Gill, dit Gill, le caricaturiste ayant donné une représentation de madame Anastasie, symbole de la censure, dans L’Eclipse du 18 juillet 1874, n’a-t-il pas non plus souffert de ses audaces lors des années émergentes de la République? Elle ne l’a pas ménagée devant les tribunaux [[André Gill (1840-1885), journaliste, caricaturiste et illustrateur français, eut plusieurs procès pour s’être moqué de la censure officielle de pièces de théâtre, ce, avant la loi sur la liberté de la presse du 29juillet 1881. Paris a gardé la mémoire de ce collaborateur du Mercure Galant et de La Lune et ami de Jules Vallès, ne serait-ce que par l’existence du cabaret de Montmartre, «Le Lapin agile», déformation homo- phonique de l’expression écrite «là peint A. Gill».]]. Les caricatures, bien avant l’invention de la presse, avaient toujours fait du bruit. Avec l’évolution des médias, nous sommes passés à l’ère du tapage, dont on ne saurait s’étonner des réactions! Peut-être faut-il nuancer la généralisation concernant les moyens de communication de masse moderne? Ne serait-ce que par rapport aux pays ayant fait une première et récente découverte des modèles «occidentaux»! Evoquer, cette année, les médias d’Europe centrale, en particulier de la Slovaquie, conduit à examiner leur évolution depuis la fin de l’ère bipolaire et son l’accès à l’indépendance voici plus de treize années. Celle-la conduit à s’interroger sur leur quête du modèle d’information publique après la fascination du libéralisme total représenté par les médias anglo-saxons dans ce domaine. Certes, la Slovaquie n’est pas seule dans son cas. Le phénomène relevé par les auteurs de l’article sur ce sujet pourrait s’appliquer à des Etats voisins. Relevons toutefois qu’une situation émergente ressemble assez à celle que la France défend en matière d’information publique via les médias, notamment dans le respect du pluralisme de l’information. La quête d’un équilibre entre sociétés privées et sociétés ayant une mission de service public remet en avant le débat sur l’information et son sens pour une communauté. Celle-ci s’adresse-t-elle à des usagers-consommateurs de biens et services culturels ou à des citoyens matures et responsables? L’ambiguïté de l’évolution du libéralisme dans les mass media n’est effectivement pas sans limites. Dans la discrétion, la démarche faisant suite à l’adoption, par la dernière Conférence générale de l’UNESCO sur la protection et la promotion culturelle du 20 octobre 2005, poursuit son chemin. Temps fort des débats menés depuis plusieurs années au sein de cette agence de l’ONU face à l’emprise des industries culturelles, le sujet n’a pas fait grand bruit dans les médias occidentaux. Pourtant, les Etats de l’Union européenne ont parlé d’une seule voix sur cet enjeu pour l’avenir des cultures du monde et de leurs possibilités d’expression. On pourrait le comprendre et l’expliquer: l’évolution de l’information et des pratiques journalistiques et médiatiques ne saurait se faire en abstraction des réalités culturelles in situ dans des territoires donnés. L’affaire dite des caricatures en a été une illustration par la suite. Enfin, grand silence post-2005, celui de la crise à Haïti en 2005. Du cadre événementiel mondial, la conflictualisation des problèmes internes de ce pays, une fois le régime du président Aristide renversé, avec l’accord de la communauté internationale au niveau le plus élevé, l’ONU, est repassé au registre local. Y revenir pour s’interroger sur la chute progressive de la mémoire n’est pas inutile au regard du sens de la médiatisation extrême des événements touchant un petit pays. De nos jours, il n’a pas réglé ses problèmes, même avec l’élection d’un nouveau Président de la République. Ceux-là, toujours plus ou moins récurrents, posent, une fois de plus, la question du suivi des événements, a fortiori à l’échelle internationale. La médiatisation, voire la sur-médiatisation d’événements relatifs et le bruit qui en a résulté, a-t-elle été utile à ce petit Etat établi sur un bout d’île? Les réalités humaines et sociales sont là pour garder la question à l’esprit. Entre bruits et silences, la chaîne française d’information internationale, nommée France24, à l’œuvre depuis le 6 décembre 2006, devra choisir et s’affirmer selon ses valeurs fondatrices. Elle introduira, pour le moins, un pluralisme dans l’expression des points de vue sur l’actualité internationale ou mondiale, où la compétition est une réalité qui se poursuit. Alliant, pour sa stratégie, un opérateur privé et un opérateur public, ses pratiques informationnelles mériteront d’être évaluée, aussi bien par rapport à son projet initial que par rapport à ses concurrentes. Ne serait-ce que pour en apprécier son originalité et sa spécificité! C’est dire qu’elle sera observée et critiquée. Médias et actualité internationale resteront encore longtemps des enjeux pour les acteurs directement concernés, gouvernements comme entreprises ou grands groupes économiques. Même si les informations publiées ne relèvent pas des usages diplomatiques!

Le sommaire de l’AFRI 2007

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