– Résumé Toute stratégie dépend, à la fois, des moyens dont elle dispose et de la manière dont elle sait les utiliser. Dès la fin des années 40, Bernard Brodie avait proposé d’analyser la stratégie en termes quasi économiques, comme l’utilisation optimale de ressources rares. Cette exigence s’est imposée à l’époque contemporaine du fait du passage de politiques de puissance à des politiques de bien-être qui ont restreint la part relative de défense dans le budget de l’État (même si le phénomène a été largement compensé par la croissance vertigineuse de la part de l’État dans la richesse nationale). En outre, la stratégie se déploie de nos jours sur une palette beaucoup plus étendue qu’autrefois, les stratégies d’action s’accompagnent dorénavant de stratégies de dissuasion (au moins pour les principales puissances) et la guerre ne constitue qu’un volet (de moins en moins pratiqué) face au développement de manoeuvres de crise ou d’opérations autres que la guerre qui vont de l’imposition de la paix au maintien de la paix. Cette complexité accrue de la stratégie impose un effort de réflexion sans précédent. Il ne suffit pas d’avoir les moyens de la force, il faut être capable d’intégrer celle-ci dans une véritable politique, il faut savoir convertir la force en puissance. D’où l’explosion de la recherche stratégique qui a connu un développement formidable depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois, elle dispose d’instituts qui s’y consacrent entièrement et de chercheurs civils qui en ont fait leur profession. La recherche stratégique est aujourd’hui largement dominée par les États-Unis. Ce sont eux qui définissent les concepts, les méthodes, les procédures d’emploi et qui les diffusent à travers le monde, au moyen d’une littérature d’une prolixité étourdissante. Ils ajoutent ainsi à l’hégémonie des moyens une hégémonie culturelle. Rares sont ceux qui essaient encore d’y résister. La France, qui, dans les années 60, avait réussi à forger une doctrine indépendante, grâce aux efforts d’une génération de penseurs de premier rang comme les généraux Beaufre, Gallois et Poirier, connaît aujourd’hui un déclin marqué de la recherche stratégique. Il y a là un paradoxe apparent puisque les moyens qui lui sont consacrés sont proportionnellement plus importants que ceux dont elle a jamais pu disposer. Les causes de ce déclin sont évidemment complexes. Elles tiennent tant à des raisons internes à la recherche qu’aux incertitudes qui entourent dorénavant la politique française. – Le sommaire de l’AFRI 2000