En 2004, six dossiers marquent le domaine de la gouvernance globale. Sur l’ONU et le maintien de la paix, rien de nouveau sous le soleil. L’ONU continue d’exercer plus ou moins bien, plus ou moins mal, les deux missions qu’elle a acquises dans le monde de l’après-Guerre froide. Tout d’abord, elle reste l’infirmière parfois compétente de la planète, s’occupant avec ses Casques bleus de plusieurs tragédies dont personne d’autre ne veut se charger : c’est, par exemple le cas, depuis 1999, de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC), qui, rassemblant 16 000 hommes, est la plus importante des interventions onusiennes en 2004. Le bilan n’est pas glorieux : l’immense zone du nord-est de la République du Congo, à la frontière du Rwanda, est toujours la proie des pillards et des factions. Les opérations onusiennes ressortent souvent du bricolage, mettant ensemble des contingents de soldats qui ne sont pas préparés pour leurs tâches : réprimer une violence protéiforme, venir au secours des populations. Ensuite, l’ONU, ou, plutôt, le Conseil de sécurité, assume une fonction de légitimation, la bénédiction du Conseil conférant à l’action engagée une sorte de soutien de la communauté internationale. En Iraq, les Etats-Unis, tout en menant la guerre sans mandat du Conseil, se retournent à plusieurs reprises vers lui justement pour faire légitimer leur occupation et leur transformation de l’Iraq : dès le 22 mai 2003, trois semaines après la fin officielle des hostilités, c’est la résolution 1483, fixant les modalités d’association de l’ONU à l’administration de l’Irak (quatorze voix pour, une abstention : la Syrie); le 14 août, la résolution 1500 approuve, avec la même quasi-unanimité, le Conseil intérimaire de gouvernement; le 19 août, l’immeuble de l’ONU subit un attentat terrible, tuant son représentant, S. Vieira de Mello. Ce que suggère cet enchaînement, c’est bien que, pour «les damnés de la terre», l’ONU est fondamentalement au service des puissants. Le 8 juin 2004, la résolution 1546 approuve, cette fois-ci à l’unanimité, le processus de rétablissement de la souveraineté étatique iraquienne. L’ONU se retrouve toujours devant le même dilemme : soit, si elle le peut, elle s’oppose aux jeux de la puissance (Etats-Unis en Iraq) et elle est marginalisée; soit elle cherche à encadrer ce jeu et elle est assimilée à lui. Un autre dossier marquant de 2004 en matière de gouvernance globale est le blocage des négociations commerciales multilatérales (NCM). Depuis 1994 (achèvement de l’Uruguay Round, création de l’Organisation mondiale du commerce en 2005), le lancement d’un nouveau cycle de NCM est devenu un serpent de mer, toujours évoqué dans les grandes réunions internationales, mais jamais engagé. En 2004, le jeu se poursuit (le 9 mai, proposition par la Commission européenne d’un démantèlement des subventions agricoles à l’exportation). En fait, deux obstacles de taille se dressent devant la perspective : les échanges mondiaux ont été régulièrement libéralisés depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale et ce qui reste à faire touche au coeur des protections nationales (agriculture, liberté d’établissement des services…); une redistribution des cartes économiques mondiales, actuellement en cours (vigueur de la puissance américaine, mais aussi affirmation croissante de l’Asie maritime et, en son centre, de la Chine, langueur de l’Europe), atteint désormais le champ politique, des colosses comme la Chine, l’Inde… réclamant leur «juste» place à la table de l’organisation de la Terre. Et la Chine? La Chine, qui émerge depuis la fin des années 1970, est maintenant l’un des pôles de l’économie mondiale, suivie, certes d’un peu loin, par l’Inde. La Chine est parfois qualifiée, de manière schématique, d’«usine du monde». Toutefois, ce basculement du système économique vers l’Asie-Pacifique rend de plus en plus actuelle la question de la prise en compte politique de cette mutation économique. D’où l’acuité des débats sur l’entrée de la Chine au G7-G8. Pourquoi, au sein de cette enceinte, la Russie, qui frappe toujours à la porte de l’Organisation mondiale du commerce? Pourquoi quatre pays européens (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni), deux américains (Etats-Unis, Canada) et un seul asiatique (Japon), lui-même peu représentatif du Sud en plein développement? Le bras de fer commence. En 2005, le Protocole de Kyoto, limitant les émissions de molécules artificielles (notamment CO2) dans l’atmosphère, susceptibles de modifier le climat de notre planète, entrera en vigueur. Du point de vue de la gouvernance globale, au-delà des innombrables controverses de toutes sortes que suscite ce traité, il illustre les cheminements complexes de cette gouvernance. Il y a désormais un débat planétaire sur le changement du climat : c’est une donnée irréversible. Avec le Protocole, une première pierre, même peu satisfaisante, est posée. En outre, le marché a anticipé l’entrée en vigueur du Protocole : un marché international des droits à polluer se constitue. Enfin, les Etats-Unis de l’Administration Bush, opposant majeur au Protocole, se posent à leur tour des questions : peuvent-ils continuer sans réflexion sur leur consommation d’énergie (environ un quart de la consommation mondiale alors qu’ils ne représentent que 5% de la population mondiale), tandis que leurs options nationales se révèlent limitées (importantes réserves de charbon – très polluant -, faibles réserves en hydrocarbures, mise en sommeil de l’industrie nucléaire)? Le lancinant débat sur la réforme de l’ONU est rouvert en 2004 : le 2 décembre 2004, le Comité des Sages, désigné par le Secrétaire général pour lui faire des propositions sur la réforme de l’ONU, remet son rapport. La réforme de l’ONU est un serpent de mer et ce rapport risque, comme beaucoup d’autres, d’être enterré. Pourtant, ce document est la première réflexion globale, de caractère semi-officiel, sur la sécurité mondiale après le 11 septembre 2001. Plusieurs aspects du texte sont fascinants : ainsi, le rapport s’interroge sur l’éventualité d’actions militaires préventives de la part d’Etats convaincus d’être brutalement confrontés à une menace imprévue (loin de condamner de manière absolue ce type d’opération, il s’efforce d’en arrêter les critères de légitimité… et redécouvre – consciemment? Inconsciemment – l’admirable théologie de la guerre juste); il traite évidemment de la composition du Conseil de sécurité (ici, une prudence intelligente l’emporte, puisque le statut des cinq membres permanents actuels n’est pas touché, mais qu’il est plutôt préconisé un élargissement, le Conseil passant de quinze à vingt-quatre membres, avec deux formules proposées – six nouveaux membres permanents sans droit de veto, plus trois nouveaux membres non permanents, avec mandat de deux ans; aucun nouveau siège de membre permanent, mais huit nouveaux sièges semi permanents, avec un mandat renouvelable de quatre ans). En 2004, a éclaté une polémique autour du Secrétaire général de l’ONU. Depuis avril 2004, Kofi Annan est attiré dans une toile d’araignée d’affaires, allant de la dissimulation de la boîte noire de l’avion du Président rwandais (dont la mort accidentelle a déchaîné le génocide de 1994) à la gestion du Programme «Pétrole contre nourriture» (Iraq). Derrière ces polémiques se dessinent évidemment les néo-conservateurs américains, qui n’ont pas apprécié les fermes mises en garde du Secrétaire général dans l’affaire iraquienne. Kofi Annan est blessé. Or, Kofi Annan est incontestablement un grand Secrétaire général, qui s’est affirmé comme le porte-parole digne d’intérêts supérieurs communs à toute l’humanité. – Le sommaire de l’AFRI 2005