Benoît XVI dans l’œil du cyclone (3ème partie)

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Des attaques à objectifs multiples

Connaître les objectifs, cela peut servir à identifier les auteurs en cas de complot, ou les bénéficiaires en cas de convergence conjoncturelle des facteurs de la crise. Les connaître objectivement suppose que l’on considère les stratégies utilisées, puisqu’elles tendent vers des buts que l’on peut discerner, à tout le moins supposer comme plausibles. En l’occurrence, si stratégie il y a, elle est indirecte, et ce caractère biaisé peut recouvrir des objectifs aussi différents que leurs bénéficiaires. Il y a ceux qui souhaitent changer l’Eglise, et ceux qui souhaitent l’affaiblir. On n’attaque pas – pour l’instant – la personne du Pape, on ne le met pas non plus – directement – en cause sur des questions de dogme. On le vise de façon biaisée, on le place en contradiction avec la morale d’abord, avec la loi civile ensuite, avec lui-même enfin. On tend à l’humilier autant qu’à le contester. En soulignant sa lenteur à réagir contre la pédophilie ecclésiastique, voire sa complaisance à l’égard des prêtres pédophiles, on implique que sa morale sexuelle pourrait bien être plus relâchée qu’il n’y paraît, et qu’à ses yeux l’Eglise est au-dessus de la légalité ordinaire puisqu’elle ignore les lois de l’Etat et revendique une sorte d’immunité pénale des prêtres.

On tend ainsi à disqualifier Benoît XVI sur le plan moral comme sur le plan de la cohérence intellectuelle, lui qui se pique d’être un grand intellectuel. Ses partisans pourront dénoncer la bassesse des attaques, le fait qu’elles ne visent pas le Pape mais le cardinal Ratzinger qu’il fut mais n’est plus, le mal est fait. Des prêtres qui n’éduquent pas mais molestent, n’édifient pas mais corrompent, et une hiérarchie qui les protège. N’est-ce pas la démonstration par le fait que la morale sexuelle de l’Eglise est une impasse, puisque le sexe, refoulé, surgit des soutanes ? Les conséquences ne sont pas seulement morales, mais aussi financières : Aux Etats-Unis, les dommages et intérêts se montent déjà à des centaines de millions de dollars. Demain, en Irlande, en Allemagne ? Une saignée financière de l’Eglise peut se profiler, de nature à affaiblir gravement le Pape s’il apparaît comme le bouc émissaire qu’il faut immoler pour dépasser l’événement et apaiser le courroux.

L’hypothèse de la démission du Pape a déjà été envisagée par certains médias aux Etats-Unis. Peu probable, elle n’est pourtant pas inconcevable si des faits le mettant plus directement en cause étaient découverts. La crise serait alors réglée au sein de l’Eglise de Rome elle-même, mais au prix d’un triple abandon. D’abord de la personne de Benoît XVI lui-même, avec sa révocation de fait qui conduirait le Sacré Collège à se désavouer. Ensuite, certainement un changement profond d’orientation à l’occasion du pontificat suivant : la remise en cause du célibat des prêtres, de l’interdiction de la contraception, peut-être une limitation de l’autorité papale au profit des églises nationales, des évêques et des communautés de fidèles. Enfin, du splendide isolement de l’Eglise de Rome à l’égard du monde, puisqu’il se serait imposé à elle, et qu’elle devrait en tenir compte au même titre que les autorités publiques ordinaires. Une telle évolution n’aurait pas nécessairement que des conséquences négatives pour le catholicisme, et pourrait satisfaire les courants modernistes en son sein – dans l’Eglise de France notamment -, actuellement discrets mais pas nécessairement inactifs.

Si la crise se prolongeait avec un Pape qui se tairait alors qu’il serait encore plus exposé, une désaffection de certains catholiques à l’égard de Rome pourrait se développer, aux Etats-Unis notamment, mais aussi en Afrique ou en Amérique latine, peut-être même en Europe occidentale. Les croyants ne s’éloigneraient pas pour autant du christianisme, mais d’autres confessions s’offrent à eux : le protestantisme dans ses diverses composantes, beaucoup plus respectueux de la liberté individuelle et qui ne confond pas la foi avec le dogme ni la spiritualité avec le corps. Les mouvements évangéliques, très dynamiques et militants, pourraient également chercher à capter un héritage aussi bien financier que confessionnel. La géo-religion pourrait être une donnée latente du christianisme. Après tout, l’Eglise de Rome est l’une des dernières institutions qui porte trace de l’ancienne domination européenne du monde. Son déclin bénéficierait sans doute aux églises américaines et à leurs diverses obédiences, le religieux rejoignant alors le politique. Chrétiens non catholiques pourraient en tirer avantage de façon diffuse.

Une dernière hypothèse concerne les chrétiens sionistes aux Etats-Unis, dont l’influence est incomparablement plus forte que leur nombre, et qui sont politiquement actifs. Ils peuvent à cette occasion activer leur conviction de l’immoralité foncière de l’Eglise de Rome. Ils rejoignent ainsi politiquement le lobby sioniste américain, très en garde contre la sympathie traditionnelle de la papauté à l’égard des Palestiniens, comme mécontents de l’opposition de Rome à l’annexion de Jérusalem, lieu de trois religions, par Israël. Cette hypothèse est plus directement politique, et rien de visible ne la fonde. On peut cependant penser que, à Rome même, on y songe. L’acte manqué que l’on mentionnait précédemment comme les réactions qu’il a engendrées prendrait alors tout son sens. Si cette hypothèse n’est pas pure affabulation, on n’assisterait plus à un débat entre modernisme et traditionalisme, mais entre deux traditionalismes, le catholique et le juif. Il est intéressant de relever que c’est à partir du moment où il a été question de canoniser Pie XII que la querelle a été déclenchée. Ne concluons pas, mais relevons simplement que cette hypothèse est la plus dangereuse, parce que de nature à réveiller des démons endormis qu’il convient d’exorciser au lieu de les provoquer.