Négociations du traité sur le commerce des armes (TCA) : un processus préparatoire entre optimisme et pessimisme (2ème partie)

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2ème partie

La dernière session du Comité préparatoire à la conférence diplomatique de juillet prochain qui doit déboucher sur l’adoption d’un traité sur le commerce des armes (TCA) a montré combien les négociations à venir risquaient d’être difficiles. Les règles de procédure régissant la conférence de juillet qui devaient précisément être définies lors de l’ultime session du Comité préparatoire revêtent dans ces conditions une importance particulière. Ces règles de procédure constituent en effet une ressource pour les acteurs de la conférence diplomatique de juillet mais aussi un indicateur sur les rapports de forces auxquels elle donnera lieu. Il convient donc d’envisager avec une attention particulière les discussions relatives à la négociation de ces règles et d’étudier le compromis qui devra être adopté le premier jour de la conférence diplomatique. Il importe, de plus, de ne pas négliger la structure du marché de l’armement qui pourrait bien relativiser certaines règles de procédure ou influencer leur acception et qui explique les ambiguïtés qui perdurent dans le document final.

Des règles de procédure ambiguës

Les règles de procédure confèrent des ressources aux différents acteurs : elles fixent par exemple la répartition et la durée des temps de parole attribués aux protagonistes de la conférence ou encore les modalités concernant la soumission de documents officiels et leur diffusion, etc. Sans négliger l’importance de ces dispositions, il faut noter que la prise de décision constitue sans doute le principal chapitre du document relatif aux règles de procédure. Cette question conserve une importance capitale qui justifie d’ailleurs les tensions qui sont apparues à son endroit dès le début du processus visant à l’élaboration du TCA.

Les termes de la résolution 64/48 traduisent les discussions parfois âpres menées à ce sujet dès 2009. La solution trouvée avait le mérite d’être consensuelle, peut-être justement parce qu’elle restait ambiguë et ouverte à différentes interprétations. La résolution 64/48 précisait en effet : « la Conférence des Nations Unies pour un traité sur le commerce des armes se déroulera de façon ouverte et transparente sur la base du consensus de façon à produire un instrument solide et rigoureux ». L’élaboration des règles de procédure en février 2012 aurait pu condamner les Etats à être plus précis. Pourtant, là encore et bien que cette question ait été amplement débattue, les ambiguïtés demeurent.

Conformément à la résolution 64/48, le consensus constitue le fondement du chapitre VII des règles de procédure consacré à la prise de décision. La seule dérogation possible concerne les décisions prises en matière de procédures procedurals matters qui peuvent être adoptées à la majorité des deux-tiers des Etats représentés et votants. Cette disposition pourrait éventuellement permettre d’esquisser une alternative en cas de blocage durant les négociations proprement dites mais elle ne saurait contrebalancer la règle 33, émanation directe de la résolution 64/48, qui stipule : « The conference shall take its decisions, and consider the text of the Treaty, by consensus, in accordance with General Assembly Resolution 64/48 ». L’exigence de consensus est souvent très forte dans les enceintes de désarmement. Dans son acception la plus stricte, le consensus suppose l’accord de l’ensemble des parties c’est à dire l’unanimité. Il expose au blocage puisque, de fait, chaque participant possède un veto.
Cette conception est défendue avec véhémence par les Etats qui font valoir qu’une société internationale se voulant démocratique doit avant tout respecter de la même manière la souveraineté de l’ensemble des Etats. Le principe de souveraineté a toutefois des conséquences paradoxales sur la règle du consensus. En théorie, il peut amener chaque Etat à revendiquer un droit de veto et à soutenir l’acception la plus stricte de la notion de consensus. Cette tentation est d’ailleurs particulièrement forte dans les instances du désarmement [[L’attachement au consensus a été critiqué à la CCW autant qu’à la Conférence du désarmement. Le fonctionnement de cette dernière qui a longtemps échoué à définir ne serait-ce qu’un programme de travail a fait l’objet de nombreuses remises en cause]]. Il peut toutefois favoriser une définition plus souple du consensus tendant à privilégier le fait majoritaire. Il est rare en effet qu’un Etat isolé prenne l’entière responsabilité d’un blocage des négociations. Un tel Etat cherchera plutôt au préalable à rallier d’autres Etats et à constituer un groupe capable, en raison du nombre de ses membres ou de leur qualité, d’imposer ses conceptions ou d’assumer un échec. Même si un Etat ne parvient pas à peser sur le processus en cours, il ne s’y opposera pas automatiquement pour autant. Justement parce que, comme Etat souverain, il disposera encore du choix de signer ratifier et mettre en œuvre – ou pas – le compromis issu des négociations. Lors du vote final, l’Etat en question s’abstiendra laissant un consensus, réduit à l’absence d’opposition exprimée, s’imposer.
Les règles de procédures qui seront proposées au vote à l’ouverture de la conférence diplomatique de juillet prochain ne permettent pas de déterminer précisément la voie qui sera empruntée par les Etats qui prendront part à cette ultime phase de négociations. Même si la conception la plus stricte du consensus – celle qui suppose l’accord de l’ensemble des Etats – était écartée au profit d’une formule se contentant de l’absence d’opposition exprimée autrement que par l’abstention, les incertitudes demeurent. Un groupe d’Etats capable de remettre en cause le compromis incarné par le document proposé par Roberto Moritan pourrait tenter d’imposer un traité a minima qui serait refusé par les Etats les plus favorables à un traité fort – qui ne parviendrait toutefois pas, eux non plus, à imposer leur vision du TCA [[Dans ces conditions, tout reste envisageable y compris de renvoyer cette question devant la 1ère Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (Commission des questions de désarmement et de sécurité internationale) qui possèdent ses propres règles]]…Surtout, même si la définition du consensus adoptée évite de reconnaître un veto de fait à chaque Etat, il n’en reste pas moins que la structure du marché de l’armement risque fort de conférer ce qui peut-être considéré comme un veto à certains Etats, à commencer par les Etats Unis.

Un veto de facto ?

Les Etats Unis ne possèdent aucun veto de droit dans le cadre des négociations sur le TCA. Leur position privilégiée sur le marché de l’armement leur confère néanmoins un veto de fait derrière lequel d’autres Etats pourraient trouver confortables de se retrancher.

Les Etats Unis occupent une position centrale dans les négociations sur le TCA en raison de leur importance dans le marché de l’armement et au-delà dans les transferts d’armes [[Qui sait si le TCA porte bien son nom ? Il est certes question de réguler le marché de l’armement mais plusieurs dispositions, soutenues par les ONG ou certains Etats, s’appliqueraient à l’ensemble des transferts. Ce qui inclurait non seulement les échanges commerciaux mais aussi les prêts, dons, etc.]]. Ils seraient sans doute les premiers concernés par le TCA [[Les Etats Unis possèdent déjà des normes régulant le commerce des armes et s’efforçant d’introduire davantage de contrôle dans leurs transferts d’armes. Elles sont insuffisantes mais la situation est encore pire dans l’immense majorité des Etats où l’opacité reste la règle d’où la nécessité d’un TCA mais aussi la difficulté à assurer l’adoption d’un traité ambitieux.]], mais en contrepartie il dispose d’une place de choix dans les négociations. De nombreuses délégations considèrent en effet qu’un traité réglementant le commerce des armes – a fortiori les transferts d’armes – n’aurait aucun sens sans participation américaine.
Sans revenir en détail sur les revendications américaines (qui concernent notamment les munitions, les transferts d’armes vers les théâtres d’opération extérieures, les conséquences de l’adoption d’un TCA sur le marché intérieur des armes légères et de petit calibre à l’encontre desquelles la NRA se révèlent particulièrement actives), il faut relever que quelles qu’elles soient, elles pourraient bien servir de paravent à de nombreux autres Etats et pourquoi pas la France. Cette dernière est de ce point de vue dans une position confortable. Si le TCA se révélait trop contraignant, il y a fort à parier que les Etats Unis le rejetteraient offrant l’occasion à la France et d’autres Etats européens de se retirer d’un traité qui n’aurait de sens, selon eux, que s’il est universel et qui dans le cas contraire introduirait une inégalité, notamment commerciale, entre les Etats. De la même manière, la France mais aussi d’autres Etats peuvent d’ores et déjà écarter certaines revendications portées par les ONG ou d’autres Etats au prétexte qu’elles risquent de rendre encore plus aléatoire et incertaine l’adhésion des Etats Unis au TCA en gestation, un argument qui n’est, de plus, pas dépourvu de pertinence.

La position américaine devra donc être scrutée avec la plus grande attention tant elle est déterminante pour l’avenir des négociations. Les Etats Unis accepteront-ils d’endosser la responsabilité d’un échec ? Sans doute faudrait-il à Barack Obama une bonne raison ou à défaut un prétexte rendant son refus acceptable. Au cas où le traité irait dans une direction défavorable aux Etats Unis, il est probable que ces derniers soutiendront une acception très stricte de la notion de consensus de façon à favoriser l’opposition du ou des Etat(s) prêt(s) à assumer à leur place la responsabilité de l’impasse. Cette opposition pourrait d’ailleurs tout à fait venir des Etats les plus actifs dans la remise en cause du document de Roberto Moritan…
Le processus préparatoire à la conférence diplomatique chargée de l’élaboration d’un TCA progresse sur une ligne de crête. Si presque tous les Etats soutiennent officiellement l’objectif du traité, ils semblent de plus en plus nombreux à espérer que les négociations n’aboutissent pas. Si aucun Etat ne s’oppose frontalement au compromis qui émergera lors des négociations – se contentant d’en atténuer la portée – un traité est possible. Toutefois, les hésitations perceptibles durant le processus préparatoire sont de mauvaise augure et pourraient se traduire par une moindre adhésion au traité (difficulté à atteindre le nombre de signatures requis pour l’entrée en vigueur du traité, allongement des délais de ratification, mise en œuvre aléatoire du traité etc.).
Le combat contre la circulation anarchique des armes est donc bien loin d’être achevé. TCA ou pas, il importe que les ONG et les Etats restent impliqués tant l’enjeu qui en découle est grand… ne serait-ce qu’en vies humaines.