ThucyBlog n° 7 – Les opérations de maintien de la paix sont-elles efficaces ?

Partager sur :

Par Cédric de Coning, 4 février 2020

Cedric de Coning est directeur de recherche à l’Institut norvégien des relations internationales (NUPI) où il codirige le Centre pour les Nations Unies et la gouvernance mondiale. Le NUPI sert de secrétariat à l’Effectiveness of Peace Operations Network (EPON). Cedric de Coning est aussi conseiller principal auprès d’ACCORD (African Center for the Constructive Resolution of Disputes). Son twitter : @CedricdeConing

Le réseau sur l’efficacité des opérations de paix (Effectiveness of Peace Operations Network – EPON) est un groupe de recherche international constitué de plus de 40 institutions qui mènent collectivement des recherches sur l’efficacité de certaines opérations de paix. En 2018, EPON a conduit quatre études : la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), la Mission de stabilisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUSCO), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (UNMISS). D’autres recherches sont en cours, en 2020, sur la Mission hybride des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie et les Missions spéciales d’observation de l’UE et de l’OSCE en Ukraine. D’autres encore devraient suivre en 2021. Le présent article tente d’identifier et d’aborder certaines des tendances transverses observées qui ressortent des quatre premières études publiées.

Prévention de conflits violents de grande ampleur

Jusqu’à présent, trois des opérations de paix sur lesquelles EPON a mené des recherches, à savoir l’AMISOM, la MONUSCO et la MINUSMA, ont largement contribué à éviter qu’une guerre civile et que des conflits d’envergure ne se déclenchent. Sans la présence de ces opérations dans ces pays, le degré de violence aurait été beaucoup plus élevé. Leurs actions sur le terrain sont donc largement perçues comme ayant eu un effet dissuasif et leur intervention a permis d’éviter des conflits violents de plus grande envergure encore. Il en résulte donc que le retrait de ces opérations, s’il était décidé, pourrait entraîner une augmentation de la violence dans ces pays. Des communautés locales situées dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) ou dans le centre du Mali en proie à la violence, ou susceptibles de l’être, cherchent à obtenir la protection des Nations Unies aussi parce qu’elles pensent que la présence des missions de l’ONU aura un effet dissuasif et préventif sur l’escalade de la violence.

Mettre fin aux conflits violents

Les quatre premières études menées par EPON constatent que les soldats de la paix ne sont pas en mesure, à eux seuls, de mettre fin aux conflits violents dans les pays où ils sont déployés. EPON a choisi de faire des recherches sur les opérations de maintien de la paix en cours plutôt que sur celles qui se sont déjà achevées. D’autres opérations telles que celles déployées en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Sierra Leone et au Timor-Leste, par exemple, se sont retirées progressivement et sans difficultés majeures après s’être acquittées de leurs mandats avec succès. Cependant, dans les cas de la RDC, du Mali, de la Somalie et du Soudan du Sud, l’absence de gouvernance et de processus politique ou de pacification viables censés mettre un terme aux conflits violents dans ces pays, ne permet pas encore d’envisager une telle perspective. Sans un tel processus, on ne peut attendre d’une opération de maintien de la paix qu’elle parvienne à elle seule à mettre un terme à la guerre dans ces pays. Ces missions n’ont tout simplement pas le poids politique suffisant ni ne bénéficient du soutien politique indispensable, des ressources et des mandats adéquats pour cela. Dans ces conditions, elles ne peuvent mettre un terme aux conflits violents ou même réussir à les contenir à l’échelle souhaitée. Mettre fin à un conflit violent de manière durable ne peut se faire que par la voie politique.

Protection des civils

Les opérations de maintien de la paix en RDC, au Mali, en Somalie et au Soudan du Sud n’ont pas répondu aux attentes (nationales et internationales) en matière de protection des populations civiles. Elles ont réussi à protéger directement ou indirectement de nombreux civils mais elles manquent tout simplement de ressources et de moyens pour assurer une protection rapide et plus systématique. Dans bien des cas, un certain nombre d’actions non militaires telles que des mécanismes de résolution des conflits, des missions de bons offices et des initiatives locales de rétablissement de la paix, ont contribué de manière significative à la prévention des conflits violents et à la réduction des risques encourus par les populations civiles. La plupart de ces opérations dans des domaines tels que la protection des enfants (la MONUSCO a eu un rôle clé remarquable dans la réduction de l’enrôlement des enfants soldats par les forces armées congolaises), les droits humains et la violence sexuelle liée aux conflits, ont fait un travail admirable.

Approche globale et partenariats

Les opérations de maintien de la paix ne représentent qu’un instrument parmi tant d’autres, et d’autres outils peuvent exercer autant, voire plus d’influence que ces opérations dans de nombreuses situations. On ne peut analyser uniquement la capacité d’une mission à atteindre ses propres objectifs civils, policiers et militaires pour évaluer la performance des opérations de maintien de la paix dans leur ensemble. L’efficacité d’une opération de maintien de la paix dépend aussi de sa capacité à jouer un rôle de chef d’orchestre, qui dépend elle-même d’une vision stratégique partagée entre tous les partenaires et acteurs de cette gestion de crises, y compris l’État-hôte. Le succès d’une opération dépend en conséquence aussi du processus de coordination agréé par l’ensemble des partenaires vers un objectif commun et dont les progrès doivent être évalués régulièrement.

Primauté du politique

Il est préoccupant de constater que toutes les opérations analysées par EPON jusqu’à ce jour (en RDC, au Mali, en Somalie, et au Soudan du Sud) manquent d’un projet politique clair pour résoudre leurs conflits respectifs. Toutes ces opérations sont plutôt déployées dans une logique de gestion et non de résolution des conflits en donnant priorité à la stabilité et, dans certains cas, à la protection des civils. L’essentiel de leurs efforts se consacre principalement à empêcher la situation de se détériorer davantage. Paradoxalement, plus ces opérations sont efficaces moins les élites politiques au pouvoir se sentent obligées de trouver un accord politique.

Les décideurs du maintien de la paix devront revoir comment les priorités actuelles axées sur la protection des populations civiles et la stabilisation peuvent être soutenues sans cantonner les opérations de maintien de la paix dans des situations de simple gestion des conflits qui conforte l’élite politique, sape le contrat social et mine tout accord politique sur le long terme.

Que l’on imagine le succès du travail d’une Mission ou que l’on se place dans une perspective de stratégie de sortie, et les opérations actuelles sont principalement centrées sur l’État, il est difficile de voir comment les changements nécessaires peuvent se produire à court et à moyen terme sans une transformation politique importante (notamment en matière de gouvernance) permettant à ces pays de mieux protéger leurs propres citoyens.

*   *   *

Pour résumer, le travail d’évaluation de l’efficacité d’une opération de maintien de la paix ne fait que commencer. Il doit prendre en compte de multiples facteurs, dont certains sont maitrisés par cette opération, d’autres pas. L’efficacité dépend aussi d’un contexte politique plus large et de la cohérence des efforts entrepris pour consolider la paix dans un pays donné. Ce constat pose aux opérations de paix un défi de taille pour réaliser leurs mandats et s’adapter à leur environnement sécuritaire, politique et social. C’est pour cette raison que davantage de recherches sont nécessaires pour déterminer quand et comment ces opérations ont été efficaces.