Les péripéties du dialogue franco-ukrainien

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Les péripéties du dialogue franco-ukrainien. Oksana Mitrofanova Les relations franco-ukrainiennes ne sont qualifiées ni de stratégiques, ni même de privilégiées par aucune des deux parties. On ne peut en effet parler à leur propos ni d’entente d’alliance ou d’axe ni même d’une quelconque relation spéciale. Ce sont pourtant deux pays aux nombreux points communs : une position de pivot en Europe occidentale pour la France et en Europe orientale pour l’Ukraine, des paysages variés, une agriculture ancienne, une superficie et une population importantes à l’échelle du continent, ce qui devrait rapprocher ces deux pays. De plus, la France est l’un des pays clés quand il s’agit de l’avenir d’intégration européenne et euratlantique de l’Ukraine. On peut tenter de rechercher les raisons du caractère paradoxalement affaibli des rapports franco-ukrainiens. Comment des facteurs persistants comme une différence de conceptions stratégiques, des malentendus provoquant une mauvaise interprétation des signaux de son interlocuteur, l’absence de réelle tradition historique de coopération peuvent-ils jouer un rôle souvent négatif dans le développement harmonieux des relations bilatérales franco-ukrainiennes ? Le fait d’appréhender ces différences entre les deux Etats et d’en dégager une analyse ne peut pas être négligé plus longtemps car cela permettra de ne pas perdre son temps dans des débats sans doute à venir mais encore lointains comme l’entrée de l’Ukraine dans l’UE mais, plutôt, de se concentrer sur les moyens d’améliorer les relations bilatérales franco-ukrainiennes dans la décennie à venir. L’Ukraine serait-elle pour la France une boite de Pandore entrouverte ? Les relations étatiques entre la France et l’Ukraine sont assez contemporaines. L’Ukraine est devenue indépendante en 1991 de manière inattendue. L’apparition d’un nouvel état à l’Est avec une dimension et une population considérables et surtout avec une armée assez puissante et un arsenal nucléaire basé sur son territoire était plutôt perçue comme un facteur d’instabilité. On peut d’ailleurs attirer l’attention du lecteur sur le fait que les dirigeants politiques français n’avaient pas prévu la disparition rapide de l’arène mondiale de cet adversaire de l’Occident qu’était l’Union Soviétique. Certains spécialistes français des relations internationales avaient dès 1991-1992 indiqué que la disparition du bloc de l’Est et la désintégration de l’URSS avaient même pris au dépourvu les dirigeants français, une telle rapidité des événements étant inattendue ([[D. Vernet, “The dilemma of French foreign policy”, International Affaires, № 4, 1992, p. 660.]] ).Un ancien ministre des affaires étrangères français Hubert Védrine a ainsi comparé la fin de l’Union Soviétique à la brutale débâcle d’un fleuve ([[« Entretien du ministre des Affaires étrangères, M.Hubert Védrine, avec « France-Inter » » , La politique étrangère de la France. Textes et documents, 1999, novembre-décembre. P. 4.]] ). La fin du monde bipolaire a entraîné la transformation du système de sécurité sur le continent européen avec la question de l’avenir de l’OTAN. Parmi les acteurs nouveaux de cet espace se trouvait un état jeune à la source de possible tensions, l’Ukraine indépendante. Au début la disparition de l’Union Soviétique de la carte des Etats a suscité dans la société comme dans le monde politique français un sentiment de peur du chaos, en particulier dans le domaine de la sécurité car on avait à faire à un tel saut dans l’inconnu que l’idée que le gigantesque arsenal nucléaire de la défunte URSS restait sans surveillance ([[ D. Yakouchkin, « Yeltsyn vo Francii : prostchety s dvukh storon » (Yeltsyn en France : les erreurs des deux cotés), Moskovskie novosti, 1991, 28 avril.]]). Le syndrome de la « menace nucléaire » s’est développé en Occident et a influencé l’approche des pays occidentaux à l‘égard de certains pays nouveaux issus de la chute de l’Union Soviétique en particulier envers l’Ukraine. La position française était assez réservée à l’endroit de ce jeune pays est-européen. L’Ukraine était en fait perçue à travers le prisme des têtes nucléaires basées sur son territoire national sans oublier la présence des réacteurs dangereux de Tchernobyl. En même temps la stratégie adoptée par la France avec les pays de l’espace de la CEI était directement influencée par la relation franco-russe estimée prioritaire. La Russie était vue comme l’héritière de l’URSS aux yeux des Occidentaux, de plus la Russie avait été un pays puissant à la tradition diplomatique séculaire. L’indépendance ukrainienne était d‘ailleurs si inattendue que le ministre français de la défense François Léotard avait souligné peu après que sur la carte de l’Europe des incendies s’étaient allumés … et de citer le cas de l’Ukraine … Or qui pouvait se souvenir que l’Ukraine fantôme de l’Europe avait pendant les années 20 un parlement, les cosaques et le courage ? Pendant quelques années le risque était lié à la présence des armées nucléaires de deux côtés. Mais comment on peut diriger le risque nucléaire limité ([[F. Léotard, « La France et le « nouveau monde », Politique internationale, №62, hiver – 1993-1994, P.11-12.]] ) ? L’Ukraine n‘était en fait vue au début de la décennie passée que comme une case importante de l’échiquier nucléaire mondial dans les domaines civil comme militaire. Paris n’était donc pas encore prêt à regarder d’un bon œil un pays ayant le même territoire que la France qui s’était créé de manière si rapide et inattendue. L’Ukraine était en fait vue comme un foyer de tensions majeur dans presque tous les domaines stratégique, sécuritaire, économique, environnemental, migratoire … Outre le problème de l’arsenal nucléaire soviétique présent sur le territoire ukrainien se sont posés d’autres problèmes à traiter dès 1991 comme l’épineux partage de la flotte de la Mer Noire avec le voisin Russe, l’avenir de la base navale de Sébastopol, les velléités de sécession de la presqu’île criméenne, l’effondrement de l’économie planifiée, la paupérisation d’une grande partie de la population, le développement de groupes criminels organisés et les migrations de millions de personnes sans parler des questions de pollution industrielle et nucléaire. Ou l’Ukraine serait-elle une construction byzantine pour la France ? D’après l’avis d’un ancien ambassadeur français en Ukraine il y a une certaine méconnaissance de l’Ukraine en France. Après la révolution de 1917 la France est devenue un lieu de refuge pour Russes blancs. Les émigrés russes ont formé la vision impériale des événements. En 1991 l’Union Soviétique a fini son existence, mais en France on a donné moins d’importance à l’indépendance de l’Ukraine qu’à l’indépendance des pays baltes. Pendant les années 90 du XX siècle la lisibilité de la politique ukrainienne était faible. La révolution orange de 2004 a suscité l’intérêt des Français pour l’Ukraine. Beaucoup de Français ont assisté au troisième tour des élections du président d’Ukraine à la télévision. L’Ukraine a donné un certain espoir. Mais trop préoccupée par ses problèmes internes l’Ukraine n’a pas occupé une place sur la scène internationale correspondant à sa puissance. En fait l’Ukraine est plus connue et compréhensible pour l’Allemagne que pour la France grâce aux anciens contacts de l’Allemagne de l’Est avec l’Ukraine sans oublier l’histoire plus ancienne de la présence allemande dans la région. A court terme les Européens s’inquiètent au sujet de l’Ukraine. On ne comprend pas les modalités de la transition du pays. Néanmoins, cela n’est pas surprenant car il y faut du temps, et dans les circonstances présentes, c’est le temps qui fait le plus défaut. Les autres pays postsocialistes : la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Tchéquie, la Slovaquie ont connu des difficultés. L’inefficacité du gouvernement ainsi que les disputes entre les représentants du camp orange du président V. Iouchtchenko et du premier ministre Y. Tymochenko donnent une image de faiblesse des institutions étatiques. Ce qui est plus préoccupant c’est la dépendance énergétique de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie : les choses ont changé depuis L. Koutchma, avec la hausse des hydrocarbures dont les Russes font un instrument de leur politique extérieure vis-à-vis de leur étranger proche en particulier. Pour les Russes l’Ukraine est un enjeu existentiel. La mise en place et le renforcement des institutions en Ukraine exigent du temps. On sort du moule soviétique. Mais en France les institutions étatiques sont beaucoup plus fortes et stables, donc pour les Français il est difficile de comprendre le processus compliqué de formation et de stabilisation de l’appareil étatique en Ukraine, dans un pays jeune ([[Entretien avec un ancien ambassadeur de France en Ukraine. – Paris. – 01.05.2007.]] ). L ‘aspect bicéphale du pouvoir exécutif, l’instabilité gouvernementale et le règne des partis en Ukraine peuvent sembler aux yeux d‘un Français confus voire abscons, le régime ukrainien s’apparentant à une forme d’anarchie contrôlée. Selon mon opinion le fait que d’abord Paris était réservé sur l’indépendance de l’Ukraine peut être expliqué d’une certaine manière par l’influence du facteur historico-culturel c’est-à-dire par une certaine méconnaissance de la France a l’égard de l’Ukraine, son histoire, sa culture, sa langue, par l’idée simpliste mais répandue que ce pays n’était qu’une simple région d’une grande Russie/URSS … Dans sa dimension européenne la France est le moteur d’une Europe unie bien qu’elle possède une longue expérience du soutien de ses intérêts nationaux. L’actualité de dimension d’intégration économique cède le pas à la dimension politico stratégique et aux problèmes de sécurité commune. Dans ce sens le philosophe français Alain Finkielkraut a souligné que « nous cherchons aujourd’hui à dépasser la nation, notre tendance a été de regarder comme dangereuse toute revendication nationale, et d’aborder négativement la « fragmentation » des empires et l’émergence des « petites nations » ( [[Alain Finkelkraut, « Dukh nasledia », Label France, № 38, 2000, P. 4.]]). Cette thèse mérite attention parce que la création de l’Ukraine indépendante est justement la fragmentation d’un empire. Néanmoins considérer les Ukrainiens comme une petite nation est faux en prenant compte le nombre de ses habitants, son territoire, ses forces armées etc… A noter qu’à la source d’une possible incompréhension mutuelle pendant les années 90 du 20e siècle en Ukraine et en France se sont passés les processus opposés : l’Ukraine a crée sa monnaie nationale, d’abord le karbonavets dès 1992 puis le hryvnia, à partir de 1998, a développé ses propres forces armées et a maintenu une partie de son industrie de défense, ayant des disputes graves avec la Russie sur la division de la flotte soviétique de la Mer Noire et ensuite sur la location de base pour la flotte russe de la Mer Noire. La France elle a mis en place la devise commune européenne euro en 1999/2002, a contribué à la création d’un corps d’armée européen en 1992 et a insisté sur l’importance de la création d’une politique européenne de sécurité et de défense commune en cherchant à éviter un désaccord des Etats Unis sur ce sujet. Donc on voit que contre l’Ukraine joue une non correspondance voire une inversion des cycles historiques et des processus politiques des deux pays. Néanmoins, l’histoire de France en matière de soutien des ses intérêts nationaux et de sa langue peut être un exemple pour l’Ukraine. Par exemple, la France a créé ses forces nucléaires et quitté le Comité militaire de l’OTAN dans les années 60 du 20e siècle, malgré les reproches d’atteinte à la solidarité stratégique avec les alliés, dont l’Europe et l’Amérique du Nord. La présence ukrainienne en France L’Ambassade d’Ukraine à Paris a été ouverte en 1993. L’Ukraine a été représentée par un chargé d’affaires O. Sliptchenko, les ambassadeurs Y. Kotchoubei, A. Zlenko, Y. Sergeyev, K. Tymochenko. L’ambassadeur d’Ukraine à Paris est en même temps le représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’UNESCO. Une démarche importante était l’achat d’un bâtiment et la création d’un Centre culturel ukrainien à Paris. Il a été en effet très important de séparer la représentation culturelle de l’Ukraine d’avec la Russie et la Pologne. Des expositions d’artistes ukrainiens ou des projections de films en langue ukrainienne ont ainsi pu être réalisées afin de sensibiliser un public certes réduit à cette culture. Les diplomates ukrainiens ont adopté une position pragmatique et ont fait comprendre que l’Ukraine souhaitant adhérer à l’UE ne pouvait pas uniquement demander une simple assistance financière mais qu’elle était prête à apporter ses atouts et ses avantages, parmi lesquels l’agriculture, la recherche, l’industrie. Cette approche des diplomates ukrainiens fut très bien perçue par les hommes politiques français. La diaspora ukrainienne présente en France joue aussi un rôle de premier plan. Son action s’exerce souvent dans le domaine de la mémoire. Elle organise en particulier des réunions et des marches sur l’holodomor ou extermination de la paysannerie ukrainienne par la faim sous le régime stalinien et essaie de faire reconnaître l’holodomor comme un génocide par la France. Selon certains analystes français, depuis l’indépendance de l’Ukraine, les relations franco-ukrainiennes étaient « parasitées » par les relations entre la France et la Russie. De plus au début les diplomates ukrainiens en poste à Paris ne parlaient pas français, mais avec du temps il y a eu une professionnalisation du personnel de l’Ambassade d’Ukraine à Paris. Parfois les spécialistes français s’inquiètent de ce que la diaspora ukrainienne essaie d’influencer l’Ambassade d’Ukraine. Cette influence n’est pas toujours positive. Néanmoins les spécialistes français comprennent que pour l’Ambassade il soit très difficile de contrôler la diaspora. Pour l’instant les Français ne peuvent que constater le fait que l’émigration russe a de très bonnes relations avec l’Ambassade de Russie et déplorent que les diplomates ukrainiens soient dans une relation ambiguë avec la diaspora. Cela peut créer des images différentes de l’Ukraine en France. En fait cette vision dichotomique de l’Ukraine en France peut entraver les efforts du personnel de l’Ambassade d’offrir une vision équilibrée ( [[Entretien avec un fonctionnaire français. Paris. – 23.03.05.]]). L’évolution des relations franco-ukrainiennes. 1. La France du deuxième septennat de François Mitterrand (1988-1995) peut être caractérisée par l’absence de vision claire à l’égard de l’Ukraine. On peut souligner qu’en proclamant son indépendance l’Ukraine a hérité de l’Union Soviétique un arsenal nucléaire considérable, ce qui fait que les pays du club nucléaire ont réalisé des efforts diplomatiques pour que l’Ukraine devienne un pays sans aucune arme atomique sur son sol. Il est à noter que F. Mitterrand n’a pas effectué de visite officielle en Ukraine alors que L. Kravtchouk s’est rendu en France dès 1992. 2. Le président Jacques Chirac a au cours de ses deux mandats (1995-2007) coopéré avec l’Ukraine dénucléarisée. Il a même visité ce pays du 2 au 4 septembre 1998. La politique du président Chirac était assez prorusse, les souhaits ukrainiens d’intégration européenne et euratlantique étaient accompagnés des conseils de Jacques Chirac de ne pas heurter la Russie. 3. En 2007 en France arrive au pouvoir Nicolas Sarkozy, le représentant d’une génération politique d’après guerre froide. Il fait des efforts pour analyser le cas ukrainien de manière plus neutre. Il est à souligner sa visite en Ukraine en février 2005 juste après les événements de la révolution orange, ses contacts avec les dirigeants ukrainiens et ses lettres au premier ministre d’Ukraine Youlia Tymochenko. A la différence des ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy essaie de regarder l’Ukraine sans le prisme de la Russie, ce qui est à la fois original et méritoire dans le paysage politique français traditionnellement russophile. En dépit des crises parlementaires ukrainiennes depuis 2006 c’est Nicolas Sarkozy qui a pris l’initiative de proposer à l’Ukraine pendant le sommet Ukraine-UE de Paris du 9 septembre 2008 la mise en œuvre d’un traité d’association de l’Ukraine avec l’UE, ce que les dirigeants ukrainiens ont souvent demandé à Bruxelles sans aucun succès. Les 5 étapes du dialogue franco-ukrainien 1. 1991-1996 : on observe d’abord l’intensité des contacts bilatéraux franco-ukrainiens suivie d’une perte d’intérêt du côté français. Les réformes des structures ukrainiennes n’ont pas abouti ; aucun grand projet français n’a pu être réalisé. L’Ukraine n’était pas alors un partenaire fiable, ce qui s’est révélé problématique pour les Français. De cette façon, les espoirs français nés en 1991-1992 à propos de l’Ukraine ne se sont pas concrétisés. 2. 1997-2000 : l’approche des hommes politiques français à l’égard de l’Ukraine s’est modifiée. La politique ukrainienne devenait enfin lisible avec la cohérence des réformes entreprises, alors que la politique du grand voisin russe sous le second mandat de Boris Eltsine devenait erratique. Les Français intuitivement s’appuyaient sur l’Ukraine dans l’Est européen. 3. 2001-2004 : l’image de l’Ukraine est assombrie par des scandales comme l’assassinat du journaliste Gueorgiy Gongadzé en 2000 ou la vente présumée de radars militaires « Koltchouga » au régime du dictateur irakien Saddam Hussein en 2001. La France a cessé de tenir l’Ukraine de Koutchma pour un partenaire fiable. La France a commencé de soutenir V. Poutine, qui essayait d’être réformateur. Après les événements de 11 septembre 2001, l’Occident dont la France a réalisé qu’il était de son intérêt de se rapprocher de la Russie de Poutine en lutte contre le terrorisme. A partir de 2003 on a observé la multiplication des visites des dirigeants ukrainiens à Paris. Le premier ministre V. Yanoukovitch, le speaker de la Rada V. Litvin, le ministre des Affaires Etrangères K. Grisctchenko se sont rendus en France. Mais ils n’ont pu changer la qualité de relations. L’Ukraine se préparait alors aux élections présidentielles. 4. 2005-2006 : une nouvelle ère commence avec les élections présidentielles en Ukraine et par la révolution orange, pendant desquelles il y avait eu un changement de perception de l’Ukraine par la société française. Les Français ont découvert l’Ukraine avec intérêt. La France a considéré le développement des relations de l’Ukraine avec l’UE dans la coopération dans les domaines concrets et pas en déclarations générales ( [[Entretien avec un diplomate ukrainien. Paris. – 02.03.2005.]]). De nombreuses rencontres politiques franco-ukrainiennes ont lieu. 5. 2006 – à ce jour : une période de déception française face à l’instabilité du gouvernement et les crises parlementaires en Ukraine débute. Une volonté d’un destin commun malgré les difficultés conjoncturelles se fait jour, marquée par l’entrée de l’Ukraine comme observateur dans l’organisation de la Francophonie en 2006 et par les discours français sur la vocation européenne de l’Ukraine en 2007-2008. Divergences et convergences franco-ukrainiennes sur la construction et l’intégration européennes. On peut observer une grande diversité de conceptions sur l’intégration européenne chez les dirigeants ukrainiens et français. Depuis des années les Français ont proposé aux Ukrainiens d’associer leur pays avec l’UE. Ceux-ci l’ont parfois interprété cela comme une volonté délibérée d’élaborer uniquement un traité d’association entre l’Ukraine et l’UE. Néanmoins, cette interprétation s’est révélée erronée. La conception des Français était tout autre, leur proposition était fondée sur l’idée que l’intégration européenne devait être un processus long et difficile, en outre alourdi par la digestion des nouveaux membres, pays de l’Europe centrale et orientale, et qu’il n’était pas à l’ordre du jour d’intégrer l’Ukraine, mais seulement de renforcer la coopération avec ce pays dans les seuls domaines mutuellement profitables afin de favoriser les échanges, faciliter les visas, et accompagner les réformes ukrainiennes … Voici par exemple un des quiproquos franco-ukrainiens : le président Jacques Chirac a proposé un partenariat à l’Ukraine a Athènes au printemps 2003 ( par le passé l’UE avait fait ce type de coopération avec les Etats baltes) or sa proposition a été considérée en Ukraine comme une perspective de conclusion d’un vrai traité d’association. En général le problème d’intégration européenne est traité différemment dans les Etats d’Europe Occidentale et ceux de la partie Orientale. Les Français sont dominés par l’approche administrative, l’UE étant dans la vision hexagonale une création normative, d’où l’importance de ses modalités de fonctionnement. C’est pourquoi il faudrait d’abord réaliser l’approfondissement de la construction européenne et envisager après son élargissement. Pour les centre et est Européens, l’UE est un symbole, un idéal, ils ont donc le sentiment d’avoir le droit de retourner dans la maison mère par leur participation pleine et entière aux institutions européennes. La conception administrative française a provoqué chez les nouveaux membres de l’UE et entraîne encore chez les pays candidats à l’UE un sentiment que les Français ne veulent pas l’élargissement de l’UE, ne veulent pas de leurs plus lointains voisins orientaux. Pour l’UE il est important de trouver l’équilibre. L’UE a vécu une crise après le « non » des Français et des Néerlandais au traité constitutionnel européen, puis après le « non » des Irlandais au traité de Lisbonne. L’UE évolue aussi sous l’influence de facteurs extérieurs comme la globalisation économique, les problèmes de terrorisme, la crise financière … Ensuite, le cas ukrainien est embarrassant pour la France. Par exemple, on peut discuter de l’identité européenne de la Turquie. En revanche personne où presque ne conteste que l’Ukraine soit européenne. En même temps, l’Ukraine est un pays avec un grand territoire et une population importante, un partenaire important de l’UE par sa situation géopolitique. L’intégration à l’UE d’un grand pays comme l’Ukraine ne peut être qu’un sujet sensible ( [[Entretien avec un ancien ambassadeur de France en Ukraine. – Paris. – 01.05.2007.]]) … Parmi les motifs de malentendus franco-ukrainiens se trouvent certains aspects de la situation intérieure ukrainienne. Il est logique que la corruption endémique, la baisse du niveau de vie d’une partie de la population ou encore une législation opaque repoussent les Européens. N’oublions pas qu’une instabilité chronique de l’Ukraine peut influer sur la sécurité de l’Union européenne dans des domaines vitaux pour celle-ci comme l’approvisionnement énergétique car l’Ukraine est le principal pays de transit du gaz russe vers le reste du continent, ou l’équilibre stratégique car l’Ukraine est sise entre deux structures de sécurité collective plus ou moins rivales, à savoir l’OTAN et l’OSC (le pacte de Tachkent), d‘où des tensions intra et internationales sur les questions de l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN, du maintien de la coopération technologique russo-ukrainienne ou encore de l’avenir de la base navale de Sébastopol, sans oublier l’épineux problème des migrations vers l’ UE depuis / à travers l’Ukraine … Les points de vue français et ukrainien sur la question de l’OTAN. La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est complexe. En Ukraine la plupart des experts considèrent que l’intégration euratlantique doit précéder l’adhésion à l’UE. En revanche l’idée des cercles français sur ce sujet est souvent à l’opposé, l’idée est communément admise qu’il n’est pas nécessaire pour l’Ukraine de devenir un membre de l’Alliance Atlantique. Il est vrai qu’à l’appui de cette thèse vient en renfort la majorité de la population ukrainienne hostile à l’OTAN … Les 15-27 août 2008, l’Institut de Sociologie d’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine a réalisé un sondage sur l’appréciation par les Ukrainiens de l’avenir de la sécurité de leur pays. Il en ressort que le refus d’une alliance militaire est largement dominant. En effet, 43,3% des personnes interrogées optent pour la neutralité, sous réserve toutefois de moderniser les forces armées. Lorsqu’il est pourtant demandé de préciser aux autres votants personnes interrogées l’organisation de sécurité au sein de laquelle ils accepteraient de voir entrer leur pays, les opinions sont moins tranchées. Néanmoins, le Traité de sécurité collective de Tachkent, soutenu par Moscou, l’emporte assez nettement avec 23,5% des opinions exprimées. L’OTAN réalise un score plus modeste (16,6 %) ([[Sergey Grinevetskiy, Pout k aktivnomou nejtralitetou (Un chemin vers une neutralité active), TOV « Droukarnia Biznespoligraf », Kiev, 2008, 47 pages.]] ). Il faut bien constater que les vieux démons du passé hérités des stéréotypes de la guerre froide expliquent ces positions. Les approches françaises et ukrainiennes sur l’avenir des relations ukraino-otaniennes divergent sur de nombreux points : D’après la plupart des responsables français, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas d’actualité, car l’Ukraine n’est pas dans une situation d’insécurité et n’a pas besoin par conséquent d’être protégée par l’OTAN. L’Ukraine aurait en fait assez de garanties pour sa souveraineté en participant à l’architecture de sécurité européenne commune. Les questions des reformes militaires ukrainiennes ne sont pas liées directement à l’intégration dans l’OTAN, car l’Ukraine peut choisir un modèle d’armée européen et effectuer les reformes en ce sens. Et n’oublions pas que la population ukrainienne est contre l’OTAN… Mais est-ce que dans les réflexions françaises sont absentes les arrière pensées sur les réactions négatives de la Russie, voire son hostilité appuyée au statut éventuel de l’Ukraine comme membre de l’OTAN et une certaine appréhension française que l’Ukraine puisse devenir un soi disant cheval de Troie américain dans cette structure. Une spécialiste française, Isabelle Facon, explique le refus d’une partie de l’Occident d’accéder au souhait de l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN : « Il est vrai qu’au sein de l’UE comme de l’OTAN, divers pays membres sont réticents devant le désir d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, réticentes qui tiennent souvent au « facteur russe ». Les hésitations de l’Occident s’expliquent aussi par l’échec des gouvernements ukrainiens successifs à consolider durablement la santé politique et économique de leur pays, échec qui entretient la dépendance de l’Ukraine envers la Russie de même qu’il ralentit sa préparation pour rejoindre les structures euro-atlantiques » ( [[Isabelle Facon , « Les outils militaires dans l’intégration de l’Ukraine à la vie internationale : le triangle Kiev-OTAN-Moscou », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 37, №4, décembre 2006, pp. 181-212.]]). Pour nombre d’experts et de décideurs français, adhérer à l’OTAN ne serait pas dans l’intérêt de l’Ukraine. Cela pourrait être certes opportun pour les diplomates et militaires ukrainiens d’obtenir des postes, des ressources et du prestige et d’avoir la possibilité accrue de participer à des opérations conjointes. Cependant l’Ukraine a été marquée par des traditions cosaques, impériales et soviétiques. En tant que nation propre et Etat souverain, l’Ukraine devrait choisir son modèle d’armée et sa culture militaire. Pour cela il n’est pas nécessaire d’adhérer à l’OTAN, mais il peut être utile de prendre connaissance au niveau bilatéral des différents modèles des armées des pays occidentaux. Néanmoins les Français peuvent être favorables à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN à la condition que la Russie accepte ce processus et si cela ne crée pas des tensions avec ce dernier pays. La France n’a cependant pas les mêmes idées à propos de l’Ukraine que celles qu’elle avait sur la Pologne ou la Roumanie ([[ Entretien avec un officier français. Paris. Juin 2007.]]). Il est connu que pendant le sommet otanien de Bucarest en avril 2008 la France était contre le Plan d’action pour l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Le premier ministre français François Fillon a exprimé l’opposition de Paris à cet élargissement au nom de « l’équilibre des rapports de puissance entre l’Europe et la Russie » ([[Marie Jégo, « L’adhésion à l’OTAN divise l’Ukraine, géographiquement et politiquement », Le Monde.03.04.08.]] ). En Ukraine la situation est moins claire. La population ukrainienne selon différents sondages concordants est contre l’adhésion à l’OTAN alors que l’immense majorité de nos experts est favorable à l’idée d’adhésion. Leur argument est que l’Ukraine n’est pas dans une situation stratégique suffisamment stabilisée en étant coincée entre deux structures de sécurité collectives – l’OTAN à l’Ouest et l’OSC à l’Est, l’Ukraine devenant le champ de bataille principal dans le cas d’un conflit entre les deux parties. Selon l’avis de l’ancien ministre de la défense ukrainien Konstantin Morozov l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN c’est « un seul moyen de garantir la sécurité militaire de l’Ukraine en réunissant du potentiel de défense» ([[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages.]] ). Ensuite, par l’adhésion à l’OTAN les tensions russo-ukrainiennes chroniques pendant les périodes de crise du pays (disputes sur la base de Sébastopol, sur l’île de Touzla, interventions dans les domaines politique et économique …) seraient fortement réduites ([[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages]] ). Les experts ukrainiens pensent qu’en devenant membre de l’Alliance Atlantique l’Ukraine renforcerait son avenir d’état démocratique respectant les valeurs communes aux Etats otaniens, réformerait son armée selon les standards otaniens et surtout assurerait sa souveraineté en cas de conflits. Les adversaires à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN rappellent que l’Ukraine est un pays neutre, que l’adhésion à l’OTAN provoquera des tensions avec la Russie sans parler de possibles ruptures internes. Néanmoins, certains experts soulignent que l’Ukraine ne peut pas se permettre de rester neutre. D’après Oleksandr Dergatchov « c’est peu probable que l’Ukraine puisse se permettre d’évoluer dans une totale neutralité, en ne comptant que sur elle-même pour assurer sa sécurité » ( [[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages]]) ; pour Mykhailo Gontchart « ce n’est pas un bon choix de rester un pays neutre car cela demandera plus de dépenses parce qu’un pays neutre doit garantir une défense de son territoire de tous côtés ce qui est dans la situation économique actuelle ukrainienne peu vraisemblable » ([[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages]] ). Si l’Ukraine n’adhère pas à l’OTAN elle deviendra pour Oleksandr Demenko « une monnaie d‘échange dans les relations entre la Russie et l’Occident. Dans le meilleur des cas elle jouera le rôle de zone tampon entre les systèmes concurrents, dans le pire elle devra obéir aux intérêts russes » ( [[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages]]). A noter qu’à la différence des conceptions françaises, les experts ukrainiens pensent que l’adhésion à l’OTAN est liée à l’intégration de l’Ukraine à l’UE. Selon le président du Conseil Atlantique d’Ukraine le général Vadim Grétchaninov « l’adhésion à l’OTAN – c’est un certain type de préparation pour intégrer l’UE à terme » ([[Mistce Oukrainy v NATO (la place d’Ukraine dans l’OTAN), Centre « Demokratytchni iniciatyvy », Kiev, 2006, 252 pages]] ). Mais beaucoup des experts ukrainiens réalisent que la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est un problème complexe, qui peut diviser le pays. D’après l’avis d’un expert Pavlo Jovnirenko, le temps favorable pour une adhésion apaisée de l’Ukraine à l’OTAN est passé. Il propose à la place le concept de « neutralité conditionnelle ». L’Ukraine signerait un double accord avec l’OTAN et l’OSC. L’Ukraine serait un pays neutre. Les deux organisations de sécurité accepteraient de respecter la souveraineté complète de l’Ukraine. Dans le cas où l’une des ces structures ne respecterait pas l’accord, l’Ukraine obtiendrait le droit d’adhérer tout de suite comme un membre à part entière à l’autre organisation ([[Pavel Jovnirenko, « Evroatlantithceskaya chakhmatnaya doska Oukrainy : vozmozhna li pobeda bez pobezhdenykh ?) (L’échiquier euratlantique d’Ukraine : est –il possible une victoire sans perdants ?) Zerkalo nedeli, 2008, 25-31 octobre. ]] ). Le conflit russo-géorgien autour de l’Ossétie du Sud en août 2008 a activé en Ukraine les débats et publications sur la neutralité du pays. Par exemple, Sergey Grinevetskiy, un député du Bloc de Litvine à la Rada propose une neutralité active permanente ([[Sergey Grinevetskiy, Pout k aktivnomou nejtralitetou (Un chemin vers une neutralité active), TOV « Droukarnia Biznespoligraf », Kiev, 2008, 47 pages.]] ). L’Ambassadeur, Anatoliy Orel, le directeur du Centre des recherches internationales et comparatives, attire l’attention sur la nécessite d’inscrire l’Ukraine en dehors de tout bloc, c’est-à-dire une politique de non adhésion à une quelconque alliance militaire (Anatoliy Orel « Oukraina pislia Kavkazou : Quo vadis ? ([[L’Ukraine après le Caucase : Quo vadis ?) », Den, № 184, 14 octobre 2008.]] ). Last but nos least, il faut accepter le fait que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est soutenue par le parti du président Victor Iouchtchenko « Notre Ukraine » qui ne pèse que pour 15% des voix… Le facteur russe N’importe quelle analyse des relations politiques franco-ukrainiennes mentionne l’influence du facteur russe. A remarquer qu’à la différence de Moscou la politique française à l’égard de Kiev a eu des conditions initiales différentes. L’ancien Ambassadeur français en Ukraine Pascal Fiesci a souligné qu’il fallait se rappeler que dans leurs relations avec l’Ukraine les Français ont du commencer pratiquement de zéro ( [[Zamiatin V. « Pascal Fiesci : « My ne zhelaem tchtoby rossijskij smertch zakhvatil i Oukrainu « « (Nous ne voulons pas qu’une trombe russe prend l’Ukraine) Den, 1998, 29 aout.]] ). C’est vrai que l’histoire peut jouer son rôle. Bien sûr on peut se souvenir de la communication diplomatique entre le royaume de France et la principauté de la Rous kiévienne (le berceau de l’Ukraine contemporaine) qui s’est traduite par le mariage dynastique du roi de France Henri I er avec la princesse Anne de Kiev. En même temps l’histoire des relations étatiques franco-russes est elle séculaire et continue. En conséquence, dans la conscience d’un Français moyen, l’Ukraine est associée quelque part avec une province russe, tandis que la Russie a l’image d’une grande puissance qui a joué parfois un rôle d’allié comme par exemple pendant les deux guerres ou celui de l’ennemi pendant la campagne de Russie et la guerre de Crimée. Les hommes politiques français se sont habitués à l’idée que la Russie ascendante avait pris le pas sur une Ukraine déclinante depuis le traité de Pereiaslav et la bataille de Poltava. Selon l’avis de l’ancien Ambassadeur français en Ukraine Jean-Paul Veziant en poste à Kiev en 2005-2008, la confiance qui existe dans les relations entre Moscou et Paris n’est pas aujourd’hui un obstacle pour des relations amicales entre Kiev et Paris ([[Veziant Jean-Paul, « Dovira, jaka isnouje u vidnosynakh mizh Moskvoju i Paryzhem – ne perechkoda dlia drouzhnikh vidnosyn mizh Kyevom i Paryzhem (La confiance qui existe dans les relations entre Moscou et Paris n’est pas d’obstacle des relations amicales entre Kiev et Paris), Evroatlantika, №2, 2006, p. 52.]] ). On peut bien sûr demander l’avis de son homologue ukrainien pour mieux comprendre la perception de cette situation par les diplomates ukrainiens et pour cela on peut se servir des mémoires du premier Ambassadeur d’Ukraine en France Youri Kotchoubei. D’après lui en 1991 les diplomates russes ont induit en erreur le président français François Mitterrand en lui assurant que le putsch en URSS (19-24 août 1991) était un épisode peu important qui n’aurait pas de conséquences particulières. Il y avait eu d’autres crocs-en-jambe de la diplomatie russe qui, peut être, ont entraîné l’absence de soutien de la France au jeune Etat ukrainien pendant un certain laps de temps. On peut se souvenir que Mitterrand n’a pas visité l’Ukraine, sur le territoire de laquelle s’est trouvé un arsenal nucléaire considérable. Ensuite Y. Kotchoubei remarque que travailler avec les représentants officiels de la France n’était pas facile car dans la politique étrangère de ce pays s’est sentie la position russophile ([[Kotchoubei Y. « Nacha adresa : 21 Avenue de Saxe 75007 Paris (Notre adresse : 21 Avenue de Saxe 75007 Paris) » Polityka i tchas, № 11, 2004, pp. 26-29.]] ). A noter que les mémoires de l’ancien ambassadeur sont datés de 2004, soit écrits plus d’une dizaine d’années après le début de la coopération franco-ukrainienne, ce qui offre une rétrospective intéressante. La différence des visions française et ukrainienne sur les relations avec la Russie est conditionnée par plusieurs facteurs parmi lesquels la situation géopolitique ( la France n’a aucun problème frontalier avec la Russie en étant située assez loin de ce pays, l’Ukraine ayant 350 ans d’existence commune avec la Russie a hérité de certains problèmes qui provoquent différentes tensions avec la Russie, parmi lesquelles, le statut de la presqu’île de Crimée offerte en 1954 par Nikita Khrouchtchev à la république soviétique d’Ukraine avec Sébastopol, la ville clé d’accès à la Mer Noire avec sa base navale, ces lieux pouvant devenir un problème, à l’étape actuelle ils sont déjà le champ des jeux politiques, ainsi que manifestations antiotaniennes contre les exercices communs internationaux du type Sea Breeze ou comme l’arrivée au port d’un navire militaire américain. Une situation de conflit a même été provoquée par l’activité des Russes à l’égard de l’île de Touzla). Dans sa dimension globale la France est l’adepte d’un monde multipolaire. La Russie éventuellement peut jouer le rôle d’un des centres dans cette construction. La France pourra avoir une coopération avec cet acteur en essayant d’agir ensemble sur l’arène mondiale. Par contre l’Ukraine qui n’a pas les ressources pour jouer ce rôle donc n’est pas aussi intéressante comme partenaire pour la France que peut l’être la Russie. Même plus, l’Ukraine a un autre intérêt c’est essayer de protéger sa liberté d‘action plutôt que de tomber sous l’influence russe. La France n’a pas de problème avec une minorité russe, les descendants de l’émigration russe blanche sont bien intégrés dans la nation française. En revanche en Ukraine la minorité russe est nombreuse et peut faire entendre sa voix au moins par ses votes. Le statut de la langue russe comme une deuxième langue officielle du pays est le sujet des promesses politiques électorales. Néanmoins ce problème de langue russe ou ukrainienne de l’Ukraine est exagéré. L’immense majorité de la population ukrainienne surtout jeune est sans aucun complexe bilingue … L’Ukraine ni carrefour, ni périphérie. En France sont populaires les visions d’Ukraine en tant que carrefour, que pont etc.…Il y a les différentes remarques publiées sur ce sujet. « Au lieu d’imaginer l’Ukraine comme « un pont vers l’Europe » ou comme un laboratoire ou pourraient être expérimentées des transformations systémiques, la Russie la conçoit comme une sorte de « cordon sanitaire« entre elle et l’Occident » [[Anne de Tinguy, « Le triangle Kiev-Bruxelles-Moscou : l’impact de la « révolution orange » et de la présidence Iouchtchenko (janvier-2005-aout 2006 », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 37, décembre 2006, pp.81-118..]] Or « Charnière entre l’Europe et l’espace post-soviétique, cruciale pour le transit du gaz russe vers l’Europe, l’Ukraine ne peut être ignorée » ([[Marie Jégo, « L’Ukraine reçoit une aide de 16 ,5 milliards de dollars du Fonds monétaire international », Le Monde. 28.10.08.]] ). Selon un spécialiste du monde russe, professeur à l’Ecole des dirigeants et créateurs d’entreprise Viatcheslav Avioutskii l’Ukraine longtemps considérée comme une « zone stratégique grise » et une périphérie anonyme du monde russe, depuis la « révolution orange » a subitement émergé en tant qu’acteur autonome ([[Viatcheslav Avioutskii, « Que reste-t-il de la révolution orange ? », Politique internationale, №114, hiver 2006-2007, pp.289-305.]] ). A noter qu’en général un carrefour comme un pont c’est un lieu dangereux où on ne se sent pas vraiment en sécurité et qu’on préfère le quitter vite. La tâche du nouvel état ukrainien c’est d’assurer ses valeurs, c’est de s’établir dans le monde comme un organisme en premier lieu stable et sûr. En proposant aux Ukrainiens de considérer leur Etat comme un certain type de carrefour européen ou un pont on fait une fausse route car on évoque dans la mémoire historique des Ukrainiens le fait que l’Ukraine souffrait en permanence de ce rôle de carrefour, que la guerre d’indépendance des Ukrainiens au milieu du 17 siècle a fini par une création d’un état ukrainien et par le traite d’alliance de Pereiaslav avec la Russie, car le jeune état ukrainien était un morceau trop désirable pour ses voisins des tous cotés (à l’Est pour la Russie, à l’Ouest pour la Pologne, au Sud pour la Turquie) que les dirigeants ukrainiens ont dû chercher des alliances pour protéger le nouvel Etat. Le résultat était triste car la nation ukrainienne était divisée par les états différents, par la Russie, la Pologne, l’empire d’Autriche-Hongrie. Il est à noter que si la France a essayé de maintenir un Etat polonais au 18ème siècle, elle ne fit en revanche rien pour aider l’Etat cosaque à survivre. L’autre essai de créer un état indépendant ukrainien en 1918-1920, brièvement soutenu par la France, a été un échec rapide. En 1991 l’Ukraine s’est proclamée indépendante à nouveau et les Ukrainiens ont dû commencer d’affirmer leurs identité dans le cadre de leur propre Etat, ils ont dû renforcer l’utilisation de leur propre langue, créer leur propre armée et les mécanismes étatiques, donc le rôle de servir de pont n’avait eu et n’a pas aucune attrait pour les Ukrainiens. Par contre c’est juste que les Ukrainiens doivent apprendre à être responsables de leur destin et de leur pays. Ils doivent comprendre les inquiétudes des Occidentaux sur ses relations avec la Russie, sur ses responsabilités de transit énergétique, et réaliser que les tensions russo-ukrainiennes peuvent provoquer certain sentiment d‘inquiétude pour l’approvisionnement énergétique des ses partenaires occidentaux. Mais en se refermant comme un état national et en comprenant l’importance de la stabilité de son comportement sur le continent européen, il est plus probable que l’Ukraine sera un partenaire fiable et de l’UE et de la Russie qu’en étant poussée à jouer un rôle non désirable de carrefour ou de pont (le Docteur d’Etat V. Manzhola, connaisseur de la politique française et ayant l’expérience du travail diplomatique a Paris a attiré l’attention sur l’importance de ce sujet pendant un conférence internationale à Kiev). M. Manzhola critique la politique quelle fixe pour l’Ukraine un statut de tampon ou de périphérie d’un ou d’autre processus d’intégration ou des régions géopolitique ([[Volodymyr Manzhola, « Megaregion « Bolchaja Evropa » vo vnechnej politike Oukrainy » (Un mégarégion « La grande Europe « dans la politique étrangère d’Ukraine), Aktoualni problemy mizhnarodnyh vidnosny, № 68, II partie, 2007, pp. 11-18.]] ). Selon l’avis du politologue ukrainien Yevgen Kaminsky, pour l’Ukraine ni la politique multivectorielle ni les tentatives de trouver un équilibre entre l’Orient et l’Occident ne sont possibles. Moscou et Washington, sous l’action de leurs dirigeants, poussent les dirigeants ukrainiens et les forces politiques du pays à choisir clairement leur camp. Les deux cotés dictent à Kiev une ligne de comportement comptant si peu à quoi peut ramener ce choix un pouvoir ukrainien dans une politique intérieure ([[Yevgen Kaminsky, « Vlijanie rossijsko-amerikanskih otnochenij na evrointegracionnyj vybir Oukrainy » (L’influence des relations russo-américaines sur le choix d’Ukraine de l’intégration européenne), Aktoualni problemy mizhnarodnyh vidnosnyn, № 68, II partie, 2007, pp. 39-44.]] ). Côté américain, des gens aussi divers que Zbigniew Brzezinski ou Bruce Jackson promeuvent l’ancrage dans l’OTAN de l’Ukraine. Côté russe, les présidents Poutine puis Medvedev ont maintes fois exprimé leur farouche opposition à l’intégration euratlantique de l’Ukraine. La France se rend compte quant à elle de l’ampleur du problème que crée la question ukrainienne sur l’échiquier européen, en particulier depuis la guerre de Géorgie d’août 2008. Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, ne s’est-il pas inquiété en public fin août 2008 de sa crainte de voir un jour la Russie intervenir en Ukraine, en particulier en Crimée ? . ++++++ Les relations franco-ukrainiennes à l‘étape actuelle ne correspondent pas au potentiel de ces deux pays. Plusieurs facteurs expliquent les raisons de cette situation. Il est néanmoins nécessaire du renforcer leur coopération et surtout leur compréhension mutuelle afin que les souhaits ukrainiens d’intégration européenne puissent se réaliser. Dans tous les cas même si dans l’avenir proche l’Ukraine n’était pas un membre de l’UE, elle sera un interlocuteur privilégié de cette structure. La vision de la France, l’une des créatrices du processus d’intégration européenne doit être parmi les priorités pour l’Ukraine. Les dirigeants ukrainiens doivent réaliser que c’est précisément maintenant que le pouvoir actuel qui est responsable de la création de leur image en France en raison de l’absence de tradition historique. Evidement pour l’Ukraine il faut essayer d’initialiser une amélioration des relations avec la France surtout après l’arrivée au pouvoir en France du président Nicolas Sarkozy, qui à la différence de ses prédécesseurs a fait des efforts pour analyser la situation ukrainienne sur place, plus indépendamment des visions de Moscou. N’est-ce pas significatif pour les Ukrainiens que c’est exactement ce président français qui, pendant sa présidence a l’UE au sommet UE-Ukraine le 9 septembre 2008 a proposé d’élaborer un traite d’association de l’Ukraine avec l’UE, malgré les crises politiques ukrainiennes? Maintenant c’est à l’Ukraine de mettre en évidence sa maturité.