Colloque, Sénat, Salle Monnerville, 6 juin 2005. Extrait du Cahier de la Fondation Res Publica consacré à « L’ONU en 2005 ».
Puisque nous nous situons dans le cadre des Nations Unies, il est entendu que l’on raisonne dans le contexte d’une société d’États, donc de mécanismes de sécurité conçus par les États et dans leur intérêt. La Charte de l’ONU, qui est un traité entre États, et nullement une constitution mondiale, a été construite à partir d’un concept de sécurité, qui est la sécurité collective. A l’issue de la deuxième guerre mondiale, la préoccupation essentielle des rédacteurs était d’éviter le retour de semblables catastrophes. Cependant, le terme même de « sécurité collective » n’est pas employé dans la Charte. Dès lors, elle n’est pas définie. Alors, de quoi s’agit-il ? On peut en présenter plusieurs approches successives. La sécurité collective, c’est d’abord un concept ; c’est aussi une institution, le Conseil de sécurité ; c’est ensuite un bilan ; ce sont enfin des perspectives, celle de la réforme des Nations Unies, qui nous permettra de conclure.
1. – Un concept
On peut en décliner les composantes : un concept de sécurité ; un concept ambigu ; un concept équivoque. (a) Un concept de sécurité A ce titre, la sécurité collective s’inscrit parmi d’autres concepts, qui ont été ou sont encore pratiqués parallèlement, et qui sont à la fois des théories du maintien de la paix et des systèmes de sécurité. Ainsi l’équilibre, cher au Royaume Uni puis devenu le concept dominant de l’Europe classique ; la dissuasion nucléaire, le dernier historiquement défini. Comme tout autre système, la sécurité collective comporte des règles du jeu. Il faut que les partenaires jouent suivant les mêmes règles, qu’ils aient les mêmes attentes à son égard. Alors, là encore comme tout autre système, la sécurité collective doit remplir, et remplir cumulativement, trois fonctions : Une fonction dissuasive, qui est invisible : lorsque le système fonctionne, par son existence même, il dissuade les partenaires de recourir à la violence armée, parce qu’elle serait improductive, vouée à l’échec, que l’option guerrière devient irrationnelle et donc fermée. C’est ainsi que, selon le principe de l’équilibre, il est absurde de recourir à la guerre lorsque les camps sont de force équivalente, Une fonction préventive, qui est pacifique, qui passe par la diplomatie, même si elle peut également comporter des mesures coercitives – mais sans emploi de la force armée. En cas de menace contre la paix, on agit de façon à désamorcer les tensions, par des négociations, voire des pressions appropriées, mais toujours dans un registre pacifique. Une fonction correctrice, ou coercitive : en cas d’atteinte à la paix ou de rupture de la paix, qui est en soi un échec du système, qui implique que les fonctions précédentes n’ont pu s’exercer, la sécurité collective se trouve mise au défi de corriger ou de redresser elle-même ses propres lacunes. Cela suppose, ou peut supposer, un recours à la force armée contre ceux qui ont défié le système ou en sont sortis. Pour l’équilibre, c’étaient les guerres d’équilibre, qui visaient à le rétablir lorsqu’il avait été rompu. Pour la sécurité collective, ce sont les actions coercitives, pouvant impliquer l’emploi de la force armée. On aperçoit aussitôt, sinon une contradiction, du moins une ambiguïté dans les systèmes de sécurité : ils comportent tous comme ultime sauvegarde la possibilité du recours à la force armée, de sorte qu’alors la sécurité s’oppose à la paix, et que le conflit armé devient l’ultime recours de la sécurité. C’est là comme une fatalité des systèmes de sécurité que de se transformer, poussés à leur extrême logique, en justification de la guerre – mais cela vaut pour tous, et pas seulement pour la sécurité collective. (b) Un concept ambigu La sécurité collective se situe entre deux autres systèmes opposés : l’État mondial d’un côté, la sécurité individuelle de l’autre, c’est-à-dire la responsabilité laissée à chaque État d’assurer lui-même sa sécurité. La sécurité collective globalise les problèmes de sécurité internationale, elle fait de la sécurité de chacun l’affaire de tous. Des mécanismes collectifs exprimant cette solidarité sont institués pour apporter des réponses communes à l’ensemble des questions de sécurité internationale. Parallèlement cependant, chaque État reste, au moins de façon ultime, responsable de sa propre sécurité, conserve donc la liberté de s’armer, sans restriction a priori, et doit ainsi assurer sa propre défense, notamment en disposant du droit de légitime défense. La traduction concrète de cette ambiguïté dans la Charte des Nations Unies, c’est d’un côté la limitation radicale du droit de chaque État de recourir à la force armée dans les relations internationales – mais la sauvegarde du droit de légitime défense de l’autre. Il ne s’agit toutefois pas d’une contradiction, parce que si la défense est légitime, c’est bien parce que et dans la mesure où l’attaque ou l’agression sont interdites – mais la coexistence d’un principe d’interdiction et d’un principe de légitime défense exprime une inévitable tension entre sécurité institutionnelle et sécurité individuelle. (c) Un concept évolutif La sécurité collective n’est pas sortie un jour tout armée du cerveau d’un théoricien. Elle a connu une maturation historique, à la fois intellectuelle et pragmatique, qui n’est pas encore achevée – ce qui signifie que l’on peut toujours l’améliorer. C’est là une grande différence avec, par exemple, l’équilibre, dont les principes sont simples et stables, qui ne peut progresser, même si sa gestion est très subtile. Très schématiquement, cette maturation a connu trois étapes : La première, embryonnaire, est celle de l’alliance : on se groupe pour globaliser sa sécurité, on prend en quelque sorte une assurance auprès d’autrui. C’est déjà une dimension collective. Mais l’alliance, dès lors qu’elle n’est pas universelle, appelle la contre alliance, et l’on débouche, par exemple, sur la première guerre mondiale. L’alliance relève ainsi au mieux de la défense collective. Lorsqu’elle se situe dans un cadre préexistant de sécurité collective, sa promotion correspond toujours à un affaiblissement des mécanismes universels de sécurité, comme on l’a vu avec l’Otan et le Pacte de Varsovie par rapport à l’ONU. La deuxième étape est celle de la SdN, qui comportait au moins deux faiblesses. La force armée individuelle restait autorisée dans de trop nombreux cas, l’organe international en charge de la sécurité collective, le Conseil de la SdN, était trop faible pour pouvoir agir efficacement contre États récalcitrants ou agresseurs. Certes, ces faiblesses souvent dénoncées à son époque même n’étaient pas décisives, et son échec résulte bien davantage de données politiques, l’absence des États-Unis d’une part, le désaccord profond entre la France et le Royaume-Uni d’autre part, qui ayant conçu le Traité de Versailles, auraient pu et du agir solidairement pour le faire respecter. La troisième, contemporaine, est celle de l’ONU, qui comporte un double progrès : d’abord une restriction plus poussée, quoique non absolue, du recours individuel à la force armée ; ensuite et surtout un organe incomparablement plus puissant, le Conseil de sécurité.
2. – Une institution : le Conseil de sécurité
Il est le cœur du système. La restriction du recours à la force armée est pour les juristes un grand sujet d’étude et d’analyse. Mais, à la limite, elle n’est pas absolument indispensable pour que le système fonctionne. Il suffit en effet que le Conseil de sécurité soit doté des moyens nécessaires pour éviter les atteintes à la paix et pour réagir en cas de rupture de la paix, suivant son évaluation des situations. L’interdiction du recours individuel à la force armée est plus un fondement de légitimité du système qu’une condition de son efficacité. Elle exprime l’engagement, des États et légitime l’action contre eux du Conseil, s’ils manquent à leurs propres engagements. Quelles sont les caractéristiques originales du Conseil ? On peut ici en retenir trois : il est juridiquement tout puissant ; il est militairement désarmé ; son efficacité repose sur l’entente active de ses membres permanents. (a) Juridiquement tout puissant On peut le mesurer à la fois par l’extension de ses compétences et par l’étendue de ses pouvoirs. Pour ses compétences, il peut se saisir de toute question qu’il estime concerner la paix et la sécurité internationale. Le Chapitre VII de la Charte, qui est dans l’esprit de ses créateurs le fondement principal de son action, lui offre des bases imprécises et flexibles, qu’au surplus il apprécie seul. Il a pu ainsi faire rentrer le terrorisme dans les menaces contre la paix, mais aussi la prolifération des armes de destruction massive ou ADM, voire les atteintes massives au droit humanitaire, ou l’environnement … Quant à ses pouvoirs, on en prendra simplement quelques exemples qui vont au-delà du texte de la Charte et en soulignent bien le caractère inconditionné : le Conseil a pu demander à un État (la Libye) de livrer ses nationaux ; créer des Tribunaux pénaux internationaux spéciaux (ex-Yougoslavie, Rwanda) pour juger des accusés dont il avait défini les bases d’incrimination ; garantir une frontière (Iraq / Koweit) ; imposer le désarmement unilatéral d’un État (Iraq) ; créer des mécanismes institutionnels et coercitifs d’inspection (Iraq à nouveau) ; imposer à tous les États (après le 11 Septembre) de prendre des mesures internes, législatives, administratives, judiciaires, policières, pour prévenir le terrorisme et lutter contre lui … (b) Militairement désarmé Ce n’est pas un accident, et dès le départ, la création d’une « armée des Nations Unies » n’a jamais été sérieusement envisagée. Plusieurs raisons l’expliquent. Des raisons techniques : Comment réaliser une armée internationale non rattachée à une autorité souveraine ? Comment la former, l’équiper, la maintenir, la discipliner, la commander ? Des raisons politiques : Les États ne veulent pas entretenir une armée différente des leurs, éventuellement supérieure, et pas davantage placer leurs armées nationales sous un commandement qui leur échapperait – l’échec de la CED fait écho à l’absence d’une armée des Nations Unies. Une raison culturelle : Les Nations Unies sont conçues pour la paix et non pour la guerre. Pour la grande majorité des États membres, il n’est pas acceptable que l’on tue au nom des Nations Unies. En d’autres termes, l’ONU est mieux préparée à remplir les deux premières fonctions de la sécurité, dissuasive et préventive, que la troisième, la fonction correctrice ou coercitive, qui est pourtant la plus spectaculaire, celle par laquelle on l’évalue et on la juge. (c) Conditionné par l’entente active de ses membres permanents C’est là la condition d’efficacité du système. Les membres permanents sont aussi bien la source de la légitimité que de l’efficacité du Conseil. Les fondateurs l’ont voulu ainsi, en les désignant nominativement dans la Charte, en les dotant du droit de veto. Ils ont de la sorte fait du Conseil non seulement une institution internationale, mais aussi une coalition d’États ; non seulement une construction théorique, mais encore une entreprise historique – puisque le Conseil, d’un côté, résume et rassemble la réflexion d’un demi siècle sur la sécurité collective, et d’un autre côté enregistre la situation politico-stratégique à l’issue de la deuxième guerre mondiale. La traduction concrète de cette autre ambiguïté, entre le système et l’histoire, c’est le droit de veto. Il est le plus souvent analysé de façon négative, en tous cas par les États qui ne sont pas membres permanents et par la doctrine, et ceci sur un double terrain : d’une part, il paralyse l’institution et le système, il empêche la sécurité collective de fonctionner, il la conduit à régresser soit vers les alliances traditionnelles, soit vers la primauté de la sécurité individuelle. D’autre part, il crée une inégalité structurelle entre États, il discrimine entre les membres permanents et les autres, il place même ses membres permanents au-dessus de la Charte, puisque aucune action ne peut être entreprise contre eux et qu’ils jouissent d’une sorte d’immunité féodale. Pourtant, le veto peut aussi être considéré de façon plus positive. Les choses sont ainsi faites que, veto ou pas, le système ne pourrait pas fonctionner en cas de désaccord entre les membres permanents, ou alors qu’il deviendrait plus dangereux qu’utile. Que se serait-il passé si une majorité du Conseil avait condamné l’URSS pour agression, que se passerait-il aujourd’hui si une majorité du Conseil condamnait les États-Unis pour agression, voire décidait une action coercitive contre eux ? Il est clair que l’on risquerait au mieux la mort de l’ONU, au pire une guerre généralisée, sinon les deux. De sorte que le veto, en paralysant le système le sauve en même temps pour l’avenir, puisqu’il pourra toujours fonctionner par la suite – comme on l’a constaté après la fin de la guerre froide.
3. – Un bilan
Nous pouvons être très bref sur ce point, puisqu’il doit être traité plus au long et de façon plus précise. Relevons simplement deux étapes. On est passé, lorsque le Conseil a fonctionné – et il a fonctionné, et il fonctionne – d’une logique binaire à un meccano complexe. (a) Une logique binaire Elle ouvre une alternative entre l’autorisation donnée à des États de recourir à la force armée d’un côté, et l’organisation d’OMP de l’autre. Puisque le Conseil ne peut directement, ni politiquement ni militairement, mettre en œuvre la force armée, il doit se borner à autoriser son utilisation par des États membres, agissant individuellement ou au sein d’une coalition. On l’a constaté aussi bien lors de la première intervention armée contre l’Iraq en 1991, que lors de l’intervention américaine contre l’Afghanistan en 2001. Alors le Conseil légitime cet usage, mais aussi se défausse, et ces guerres, comme l’a rappelé un Secrétaire général, ne sont pas des guerres de l’ONU. Les combattants n’arborent pas le pavillon de l’ONU et ne sont pas sous autorité onusienne. Quant aux Opérations du maintien de la paix, dans leur formule initiale, non prévue par la Charte mais construite par la pratique, elles ne prévoient pas l’utilisation de la force armée. Elles consistent en des entreprises de modération des conflits, d’accompagnement et de consolidation du retour à la paix, avec des moyens faibles – les célèbres « Casques bleus » – et des méthodes pacifiques, de sorte que ces OMP, conçues pour être transitoires, peuvent se pérenniser, voire s’éterniser – l’UNFICYP à Chypre en est un bon exemple. (b) Un meccano complexe Il correspond à la période actuelle. Les modes d’action du Conseil sont à la fois diversifiés et pragmatiques. C’est d’une part l’enrichissement des OMP, avec plusieurs volets : un volet sécuritaire qui fait souvent appel à des forces multinationales qui ne relèvent pas des Nations Unies mais sont habilitées par le Conseil ; un volet civil qui comporte des partenariats variables, avec des agences humanitaires de l’ONU, des institutions spécialisées, des ONG ; un volet politique avec des organisations régionales ou des groupes de pays concernés ; éventuellement un volet judiciaire avec des mécanismes permettant de juger des individus, afin de consolider le retour de la paix civile. C’est d’autre part l’effort de récupération du recours à la force par les États, même lorsque celui-ci n’a pas été autorisé par le Conseil de sécurité, en essayant d’en canaliser les conséquences et de réintégrer la reconstruction de la paix dans un cadre onusien. Le cas du Kosovo est exemplaire ; l’Afghanistan en offre aussi des signes ; en revanche la formule a échoué en Iraq après 2003. L’affaire iraquienne a précisément lancé à la sécurité collective un autre défi, d’une autre nature, celui d’une puissance dominante, les États-Unis, qui entendent s’affranchir de toute contrainte internationale au nom des impératifs de leur sécurité nationale. Ce défi se situe aussi bien sur le registre de la légitimité que sur celui de l’efficacité – et c’est dans ce contexte récent qu’il faut apprécier les perspectives de l’ONU, notamment sous l’angle de la réforme en cours de discussion.
4. – Des perspectives
On peut imaginer de plusieurs manières l’avenir de la sécurité internationale. Si l’on est optimiste, on aspirera à l’expansion et à l’universalisation du modèle de paix structurelle que l’Union européenne a su créer entre ses membres, et qui dépasse par le haut la sécurité collective. Si l’on est pessimiste, on redoutera que l’avenir n’appartienne, suivant un thème à la mode, particulièrement dans la littérature américaine spécialisée, au chaos, à la déconstruction de tous les mécanismes institutionnels établis depuis 1945, Nations Unies, maîtrise des armements entre autres – une destruction créatrice à la Schumpeter d’où émergerait un ordre de type hégémonique, au bénéfice mais aussi à la charge des États-Unis. Si en revanche on est réaliste, on reviendra vers les Nations Unies, seul cadre multilatéral et universel pour la sécurité internationale, parce qu’il n’est pas vrai qu’un seul État, si puissant soit-il, puisse maîtriser la société internationale, ni même la désorganiser. Ceci nous conduit au thème de la réforme de l’ONU. A ce sujet, on entend deux types de discours, qui se déploient dans deux directions plus opposées que complémentaires : une approche normative ; une approche institutionnelle. (a) L’approche normative Elle consiste à prétendre améliorer et à actualiser les textes fondateurs, en définissant un nouveau concept de sécurité, en partant d’une analyse des menaces et des risques contemporains – ADM, terrorisme, effondrement des États … Elle souhaite également mieux réglementer l’usage de la force armée, que ce soit par des instances internationales ou par les États en situation de légitime défense. Il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée, et à notre sens vouloir écrire et figer définitions et doctrines est un piège. Les rédacteurs de la Charte ont eu la sagesse d’y échapper. Ce n’est pas par hasard que l’on ne trouve dans la Charte aucune définition, ni de la paix ou de la sécurité, ni de la force, ni de l’agression, ni de la légitime défense. Cette absence n’a jamais empêché le Conseil de sécurité de fonctionner lorsque les conditions politiques étaient réunies. Au surplus, la définition de certaines notions n’a rien changé – ainsi celle de l’agression, lorsque l’Assemblée générale s’est mise en tête de le faire, voici une trentaine d’années. Ce qui compte, ce n’est pas de s’enfermer dans des doctrines qui ne reflètent que la conjoncture et doivent à leur tour être en permanence ajustées, c’est de disposer d’un organe international suffisamment puissant et flexible pour s’ajuster pragmatiquement aux situations nouvelles, comme le Conseil a su le faire remarquablement depuis une quinzaine d’années lorsqu’on a voulu le faire fonctionner. A cet égard, très regrettable est la position de la Cour internationale de Justice, qui s’est avisée d’entreprendre de modifier de sa propre autorité le texte de la Charte, en posant dans un Avis consultatif récent (Avis, 9 juillet 2004, Edification d’un mur dans le territoire palestinien occupé) que la légitime défense ne s’exerce qu’entre États. Restriction qui ne figure pas dans la Charte, puisque l’article 51 consacré à la légitime défense ne dit rien de tel, et que le Conseil suggère même le contraire, avec la Résolution 1368 du 12 Septembre 2001, qui reconnaît que les États-Unis sont en situation de légitime défense après les attentats du 11 Septembre, que nul n’a imputés à un État. Un contre exemple de ces tentatives déclaratoires et rhétoriques est fourni par le triste précédent de l’AGNU, qui dans les années soixante dix du précédent siècle, avait construit un échafaudage intellectuel et normatif pour soutenir un « droit au développement » et un « droit du développement ». Il a passionné juristes et militants durant deux décennies, mais en définitive il n’était qu’un leurre, débouchant sur la frustration et sur le vide. On peut craindre qu’il n’en aille de même avec des textes qui prétendraient définir en matière de sécurité internationale, au risque de les figer, des notions par définition évolutives et contingentes, et dont il est à craindre qu’ils ne changent rien à l’ordre des choses. Analyser de façon générale les risques et les menaces, tenter de systématiser les réponses et leurs moyens, établir des doctrines, c’est là le travail utile des observateurs, des think tanks, des instituts de recherche, qui éclairent le contexte et le sens de l’action, beaucoup plus que des acteurs, qui doivent certes s’en informer et s’en inspirer, mais surtout prendre les bonnes décisions et trouver les bons chemins face à des situations concrètes. (b) L’approche institutionnelle Il s’agit alors de chercher à améliorer le fonctionnement du Conseil, sur le double plan de son efficacité et de sa légitimité – ou en d’autres termes de ses moyens et de sa composition. La question des moyens est la plus simple, parce qu’elle ne suppose pas de modification de la Charte, ni amendement ni révision. On peut songer à des réformes administratives, par exemple le renforcement au sein du Secrétariat du Département des Opérations du maintien de la paix, le développement d’une capacité d’analyse des situations dangereuses, y compris en termes militaires, d’un outil d’étude des adaptations que le système doit rechercher en permanence .. Beaucoup d’idées judicieuses ont été avancées dans des rapports ou travaux récents – Rapport Brahimi, Rapport Evans-Sahnoun sur la responsabilité de protéger par exemple… – qui ne sont pas trop difficiles à mettre en œuvre. Diversifier et enrichir les outils qui sont dans la boîte du Conseil ne peut être que positif. Aux réformes administratives il faut ajouter la possibilité pour le Conseil de créer des organes subsidiaires, dont il a déjà fait un large usage, et qui permet de développer la Charte sans modification formelle. D’ores et déjà depuis plusieurs décennies, cette méthode de création d’organes subsidiaires a pu faire évoluer aussi bien les moyens que dans une certaine mesure les buts de la Charte, en établissant de nouvelles structures adaptées à de nouvelles tâches. La question de la composition du Conseil est la plus difficile, puisque toute réforme suppose une modification formelle de la Charte. Elle est en même temps le centre de l’exercice. Quelques mots à ce sujet en conclusion. Beaucoup considèrent que l’élargissement du Conseil serait utile à son efficacité, et profitable à sa légitimité. Probablement serait-il davantage de nature à renforcer les capacités préventives du Conseil que sa capacité coercitive, et surtout l’autorisation d’utiliser la force armée. Mais, à supposer que l’élargissement soit souhaitable, il ne peut l’être que dans certaines conditions : – Il devrait rester modéré, pour permettre au Conseil de fonctionner, et de fonctionner dans l’urgence – Il devrait être fondé sur la capacité des nouveaux membres de contribuer concrètement au maintien de la paix, y compris par un appui militaire – Il doit exclure le droit de veto, qui est suffisamment distribué pour remplir ses fonctions positives et dont la multiplication n’ajouterait rien à la sécurité collective – au demeurant l’élargissement relativise en lui-même le veto, et rend son usage plus difficile face à une majorité renforcée de membres – Il est enfin souhaitable qu’il soit opéré par consensus, sans quoi le Conseil pourrait aggraver plutôt que dissiper les doutes sur sa légitimité. A défaut d’élargissement, dont la réalisation est loin d’être acquise, reste là encore la solution des organes subsidiaires, qui permettraient au Conseil, par le biais d’organismes consultatifs, de faire appel aux États qu’il lui semblerait utile d’associer à ses décisions sans réviser la Charte. Reste aussi un partenariat, déjà expérimenté, avec le G 8, éventuellement élargi, qui assure de façon économique et élégante une participation plus large et plus ouverte à des processus de décision politique multilatéraux, ou plus précisément multipolaires.