II) Le nucléaire iranien et l’illusion turque ou la probabilité d’un discrédit diplomatique
Le 17 mai 2010 a eu lieu un accord tripartite entre L’Iran, La Turquie et le Brésil sur la question du nucléaire iranien.
Cet accord repose principalement sur une base de négociation entreprise sous l’égide de l’AIEA en octobre 2009 et portant sur la livraison par l’Iran de 1200 Kg d’uranium enrichi en Russie et transformé en combustible en France. Cet accord, pourtant consensuel, fut rejeté par l’Iran.
Le récent accord tripartite reprend donc les grands traits de cette ancienne proposition tandis que les capacités en uranium faiblement enrichi de l’Iran ont depuis nettement augmenté, passant de 1200 Kg à environ 2400 Kg. En vertu de cet accord, l’uranium faiblement enrichi à hauteur de 3,5% serait livré à la Turquie afin qu’une puissance nucléaire tierce l’enrichisse à hauteur de 20%. L’accord est donc fondé sur des bases qui ne prennent pas en compte, les 1200 Kg d’uranium produit depuis octobre 2009 par l’Iran et qui eux, seraient enrichis sur le sol iranien sans aucun contrôle de la communauté internationale.
La Turquie, dans la continuité de sa politique étrangère de rapprochement tous azimuts, est le principal instigateur de cet accord.
C’est en véritable puissance émergente que la Turquie a porté ce dossier, notamment par son rôle de médiateur régional.
Cet accord tripartite a été obtenu le 17 mai soit la veille d’un nouveau volet de sanctions censées être votées par les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les USA ont rallié, après de longues et difficiles tractations diplomatiques, la Russie et la Chine afin d’éviter qu’un véto ne soit brandi.
Cet accord apparaissait donc, au regard du calendrier diplomatique, comme une victoire politique turque défiant la politique américaine sur cette question. Deux écueils ont permis cet accord : la conviction US que l’accord turc avec l’Iran allait échouer et la conviction turque du désistement russe et chinois après cet accord.
Cet accord est plus un coup diplomatique qu’une réalité politico-militaire. Pour preuve, les récentes déclarations des autorités iraniennes qui affirment avoir enrichi 5,09 Kg d’uranium à plus de 20% propice à un usage militaire et ce, malgré le récent accord.
Le gain politique turc fut de courte de durée. Il fut présenté trop hâtivement à la fois comme un succès du monde multipolaire et l’affirmation des puissances émergentes sur la scène internationale, à même de pouvoir contre balancer le leadership américain dans sa gestion de l’ordre mondial. Cet accord est cohérent au regard de la politique turque menée depuis la fin de la guerre froide comme en atteste l’alliance stratégique avec Israël, le rapprochement syrien, la construction de centrales nucléaires conclue avec la Russie en Turquie, ou encore sa stratégie d’acteur incontournable sur le marché gazier.
Mais, la Turquie, à force de vouloir s’imposer sur la scène régionale ne se compromet-elle pas sur la scène internationale ?
Cet accord tripartite s’est conclu au détriment des puissances occidentales qui ne l’ont pas accepté et qui ont su rallier les Chinois et les Russes à leur position. C’est en ce sens que cet accord fait fi des rapports de force mondiaux.
Même si la scène mondiale se complexifie à l’heure des « puissances relatives », l’ordre multipolaire régional n’est pas encore instauré.
La diplomatie turque, après un mois de mai très chargé sur le plan stratégique (accord avec la Syrie, accord avec les Russes portant sur la construction d’une centrale nucléaire en Turquie, flottille de la paix) est étourdie par la tentation de sa puissance.
L’accord tripartite sur le nucléaire iranien est déclaré nul et non-avenu par les USA. Serait-ce un coup d’épée dans l’eau ? Probablement.
A vouloir jouer simultanément de toutes les composantes de sa puissance, hard power et soft power, la Turquie vient de griller une étape. Cependant, la récente affaire de l’assaut naval vient équilibrer cet échec diplomatique. Pour l’heure, les USA n’ont pas condamné fermement l’assaut israélien, du fait de leur rancœur envers l’accord tripartite signé par les turcs. Les USA tentent de se positionner entre ses deux principaux alliés régionaux oscillant sans cesse entre ivresse de la force et tentation de la puissance.
III) La fin annoncée d’un partenariat stratégique : quand les conceptions de la puissance divergent.
Le divorce turco israélien est amorcé depuis l’opération « plombs durcis » illustré par l’annulation de la participation israélienne à un exercice de l’OTAN baptisé « aigle anatolien » et organisé par l’armée turque. Pour autant, la coopération militaire avait repris par la suite, laissant penser à une prise de distance momentanée plus qu’à une remise en cause durable des accords de coopération entre les deux pays.
Cette affaire de la flottille, couplée à l’accord tripartite sur la question du nucléaire iranien, pourrait conduire à une remise en cause prolongée de la coopération entre les deux pays.
La Turquie a rappelé son ambassadeur et a bataillé fermement au conseil de sécurité des NU pour qu’Israël soit sévèrement sanctionné. Quelques jours avant, la diplomatie turque ne s’était pourtant pas opposée à l’entrée d’Israël dans l’OCDE. Depuis cet événement de la flottille, la relation ne semble plus pérenne.
Les mouvements diplomatico-militaires des deux puissances s’opposent tant sur la scène régionale que mondiale.
La Turquie cherche régionalement et internationalement à multiplier les alliances alors qu’Israël accentue sa marginalisation régionale et internationale. Cependant, en s’écartant l’un de l’autre, Israël et la Turquie mettent à mal leurs intérêts respectifs. Tel Aviv perd de la profondeur stratégique indispensable : celle que lui permettait sa coopération avec Ankara. La Turquie, quant à elle, ne pourra plus se poser en médiateur régional et apparaît désormais comme une puissance qui a choisi son « camps ».
L’isolement israélien s’accentue après l’accord signé vendredi 29 Mai sur la non prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Le dit accord, pourtant jugé contraire aux intérêts israéliens, a été accepté et porté par l’administration Obama,. Selon le journal israélien Ha’Haretz « Les USA ont sacrifié Israël à son intérêt global de limiter l’armement nucléaire dans le monde ».
Israël s’isole de plus en plus sur la scène internationale et ne ménage pas son indéfectible allié américain. La question israélienne est de plus en plus problématique dans l’agenda états-unien. L’affaire de la flottille accapare l’attention du Conseil de sécurité alors que son travail, sous l’influence US, portait actuellement sur les sanctions à l’égard du nucléaire iranien[[Finalement les sanctions du conseil de sécurité des Nations Unies ont été adoptées le 9 juin 2010 par la résolution 1929 ]]. Les militaires US sont plus critiques envers Israël à l’instar du Général Pétraeus selon lequel le comportement israélien pèse sur les conditions d’intervention des troupes Us en Irak et en Afghanistan, c’est-à-dire sur les intérêts stratégiques primordiaux pour les USA.
La Turquie ne sacrifiera ni sa politique de puissance en pleine affirmation, ni sa relation croissante avec le monde arabe par le maintien d’une coopération stratégique avec l’Etat hébreu, alors qu’elle devrait préserver cet équilibre malgré le contexte conflictuel.
Israël ne sacrifiera ni sa politique de force, ni ce qu’il estime relever de sa sécurité au profit d’une relation avec Ankara qui lui assure pourtant cette profondeur stratégique indispensable.
Les sociétés israéliennes et turques sont le reflet de ces mouvements diplomatico-militaires opposés.
Israël est une société libérale à tendance conservatrice tandis que la Turquie est une société conservatrice qui se libéralise, et ce non sans heurts.
Israël se retrouve plongé dans cette ivresse de la force et la Turquie dans ce que nous appelons la tentation de la puissance. Cette affaire de la flottille et du nucléaire iranien se retrouve exactement au croisement géométrique de ces deux tentations.