De nouveaux défis
Par elles mêmes, la démocratisation des Etats et la pacification du monde ne suffiront pas à assurer l’avenir des populations. Les défis du XXIème siècle prennent d’autres formes liées aux catastrophes abusivement qualifiées de ‘naturelles’. Ici aussi, l’actualité est à la fois riche et particulièrement angoissante. Des récents tremblements de terre, au Chili, en Chine et surtout en Haïti, il y a bien des leçons à tirer. Pour ne parler que du plus terrible qui, avec plus de 200 000 morts, a frappé le pays le plus pauvre du monde, il n’a à ce point détruit la capitale Port-au-Prince que par ce qu’aucune mesure antisismique n’avait jamais été prise, alors qu’on connaissait les risques liés au mouvement des plaques tectoniques.
Quant à l’aide internationale, d’un niveau très élevé, elle doit être correctement interprétée : si les Etats-Unis, de loin les premiers contributeurs au point qu’on les a soupçonnés de vouloir établir leur tutelle sur le pays, leur intérêt bien compris est autant à l’origine de leur action que la philanthropie et l’entraide internationale. A un certain degré de dégradation des conditions de vie dans le pays, l’Amérique du Nord sera menacée d’une immigration massive de Haïtiens, dont des centaines de milliers habitent déjà, et depuis longtemps, aux Etats-Unis et au Canada. Dans les conditions présentes, et même si leur situation économique s’améliore pour l’instant, ni Washington, ni Ottawa ne sont prêts à accepter un flux de réfugiés qui se compteraient par millions.
L’évolution du climat, au demeurant difficile à apprécier sur le long terme, est susceptible de conduire à des phénomènes jusqu’ici inconnus, avec les cohortes de réfugiés climatiques qu’il sera difficile de repousser si, par exemple, l’île sur laquelle ils vivaient est en train de disparaitre. C’est à cette nouvelle dimension de la sécurité internationale à laquelle il faut maintenant réfléchir, non plus en termes stratégiques, mais en fonction de menaces d’un type nouveau, encore plus difficile à conjurer.
Le chaos climatique prend également d’autres formes, avec actuellement le retour de la sécheresse dans plusieurs régions du monde, en Australie par exemple, mais aussi ces tout derniers temps au Sahel. De nouveau, en particulier au Mali, au Niger, au Tchad, des millions de gens sont menacés dans leur existence, et la sous-alimentation des enfants recommence à sévir dans les conditions les plus atroces. On peut espérer que l’alerte précoce de cette catastrophe annoncée permettra aux organisations internationales, dont l’expérience est assurée, de limiter au maximum les conséquences humaines de ce désastre. Ce devrait être aussi l’occasion d’une réflexion plus générale.
Une évolution déraisonnable
En effet, l’une des données de la crise est sans conteste l’évolution démographique déraisonnable de la région. Pour prendre l’exemple fatal du Niger, le pays avait trois millions d’habitants au tournant des années cinquante, sept millions en 1975, quinze millions aujourd’hui et, selon les prévisionnistes des Nations unies, il atteindrait plus de cinquante millions en 2050, certains experts parlant de cinquante huit millions. Observons au passage que ce n’est pas possible, les ressources en eau du pays, même avec une pluviométrie normale, ne permettant absolument pas de satisfaire les besoins en eau d’une population aussi nombreuse. Se rapprocher d’un tel cap impliquera inévitablement un véritable cortège de malheurs, famine, flux migratoires massifs générateurs de conflits – sans compter les transformations de l’éco-système qui d’ores et déjà se traduisent par une diminution sensible du débit du grand fleuve Niger.
Si le taux d’habitants au km2 varie beaucoup d’un pays à l’autre et sur tous les continents – à cet égard la République du Congo connait un taux particulièrement faible, ce qui est plutôt un bon signe – le phénomène de la surpopulation est général et se traduit dans des chiffres implacables. Le monde avait deux cent cinquante millions d’habitants à l’époque du christ et, à la fin du premier millénaire, il n’avait encore que trois cents millions d’habitants. D’un milliard en 1800, on est passé à deux milliards en 1950, à six milliards en l’an 2000, et on nous annonce neuf à dix milliards en 2050, avant que ne se produise une stabilisation générale.
Il faut tout faire pour ralentir cette progression. Ce sera difficile, il est vrai, car la démographie ne se laisse pas aisément maitriser. Dans un pays qui compte une majorité d’habitants ayant moins de vingt ans, et ils sont nombreux en Afrique, on conçoit que les efforts ne produiront des résultats tangibles qu’à long terme. Toute politique volontariste est d’ailleurs très douloureuse à mettre en œuvre. Sans parler des violations flagrantes des droits de l’homme qu’ont été, à une certaine époque en Inde, les stérilisations forcées, la politique chinoise de l’enfant unique a fait grincer les dents et conduit à une situation inédite lourde de conséquences pour les générations suivantes : la tradition préférant les garçons, comme c’est le cas pour de nombreuses civilisations, la technique de l’échographie s’étant répandue, les femmes enceintes d’une future fille recourent à l’interruption volontaire de grossesse pour satisfaire leur famille. Il y aurait aujourd’hui en Chine dans les tranches d’âge correspondantes, cent vingt garçons pour cent filles.
Le rôle des religions
La responsabilité principale en ce domaine crucial pour le monde de demain est peut être avant tout d’ordre moral et incombe au premier chef aux religions et autres spiritualités. Pour ce qui concerne l’Afrique, ce sont le christianisme et l’islam qui sont d’abord concernés. Or si, dans chacune des deux religions, il existe des courants responsables et conscients du danger, ce n’est pas le cas général. L’Eglise catholique, par exemple, ne semble pas adopter une attitude à la hauteur des événements. Certes, elle n’encourage plus systématiquement les familles nombreuses, considérées naguère comme un idéal, et prône plutôt en ce domaine un comportement raisonnable. N’empêche : la condamnation sans appel du contrôle artificiel des naissances, du préservatif à la pilule du lendemain, ne peut que contribuer à la surpopulation.
C’est d’ailleurs une doctrine sans aucun rapport avec le comportement de nombreux fidèles, et parfois des religieux eux-mêmes. Visitant en Guyane française une institution catholique qui aidait de très jeunes filles, jusqu’à douze ans, qui s’étaient retrouvées enceintes sans même savoir comment car elles ne faisaient pas le rapport entre la sexualité envisagée comme un jeu et le mécanisme de la reproduction, les religieuses qui m’accompagnaient, d`ailleurs admirables, m’avouèrent initier leurs jeunes pensionnaires à l’usage des différentes méthodes contraceptives. A mon objection tirée de la doctrine romaine, elles me répondirent, plutôt étonnées : « Mais nous avons l’autorisation de Monseigneur l’évêque ». Rideau.
La pression religieuse n’en est pas moins très forte et elle altère souvent le discours des organisations internationales lorsqu’elles évoquent les questions liées à la destruction de l’environnement, une réalité que rien n’est venu vraiment freiner jusqu’à présent. La surpopulation est généralement passée sous silence, comme si elle n’en était pas la première cause.