La rentrée est placée sous le signe de l’incertitude aussi bien du point de vue des relations internationales que de celui de nombreux Etats. Des situations immémoriales sont susceptibles de changer du tout au tout, y compris au sein de l’Union européenne, avec par exemple le risque majeur d’un éclatement de la Belgique qui pourrait avoir des conséquences en série dans des Etats menacés de désintégration, l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Italie. La dialectique de l’histoire est terrible : le processus d’intégration européenne permet d’envisager l’indépendance de régions telles que l’Ecosse, la Catalogne ou le Pays basque sans véritable bouleversement.
De ces incertitudes fondamentales, une fois de plus, le Proche-Orient offre une illustration tragique. Après avoir souligné le caractère central du conflit israélo-arabe, le président Obama n’a cessé de reculer au point d’ouvrir aujourd’hui des négociations en trompe l’œil, avant tout à des fins électorales, avec l’échéance du mid-term. La tradition israélienne voulant qu’on puisse appartenir au gouvernement tout en rejetant tel ou tel aspect de la politique définie en Conseil des ministres à la majorité des voix, les minoritaires ne prennent même plus la peine de critiquer le processus engagé, ils se contentent d’ironiser vertement sur l’impossibilité d’aboutir à un accord de paix. Par divers moyens, l’exécutif américain a d’ailleurs commencé à faire savoir que son influence était réduite et qu’il se bornerait à accompagner des négociations ‘directes’ – à vrai dire des négociations inédites entre le pot de fer et le pot de terre.
En filigrane, si on lit attentivement toutes les dépêches, on s’aperçoit que le but visé est moins un règlement général qu’un arrangement provisoire permettant la poursuite d’une expansion économique déjà amorcée en Cisjordanie sous la tutelle israélienne et pour le grand profit de l’Etat hébreu, seul véritable partenaire des Palestiniens – créer un ‘Bantoustan profitable’ à Ramallah, en attendant de pouvoir le faire à Gaza.
La nouvelle revendication d’un Etat ‘juif’, reconnu comme tel par l’Autorité Palestinienne, est une forme d’exclusion définitive des Arabes, considérés de plus en plus comme une minorité soumise à un régime juridique particulier, sans véritables droits politiques. Quand à Gaza, les dirigeants israéliens ne cachent plus qu’en se retirant d’un territoire exigu et surpeuplé, ils ont éliminé un risque démographique ne laissant aux Gazaouites qu’une perspective très limitée, reprendre une activité économique plus ou moins normale, à condition d’accepter le protectorat de fait de Tel-Aviv. Dans leur schizophrénie habituelle, les Israéliens s’imaginent ainsi pouvoir faire durablement coexister un Etat proche de l’Occident à bien des égards, une sorte de 51ème Etat de la Fédération américaine, avec une zone de pauvreté absolue soumise à une pression militaire constante. La Guerre entreprise à la fin de 2009 n’a été finalement qu’un avertissement, pratiquement sans frais pour les Israéliens.
Ce conflit séculaire est loin d’être la seule plaie d’un mandat présidentiel de plus en plus problématique. Si on peut encore espérer un apaisement en Irak, tel n’est guère le cas en Afghanistan et la perspective d’un départ des troupes de l’Otan sans issue véritable sur le terrain devient chaque jour plus vraisemblable. Il n’est pas aujourd’hui possible d’évaluer les conséquences qu’auront les inondations catastrophiques au Pakistan sur la politique mise en œuvre à Islamabad, mais elles risquent d’aggraver la crise régionale. Alors que la Grèce avait naguère apporté son aide à la Turquie lors d’un tremblement de terre, un rapprochement entre les deux pays s’ensuivant, rien de tel ne s’est produit du côté indien. Devant la carence habituelle des autorités gouvernementales, ce sont encore les islamistes qui ont, en premier, apporté leur aide aux sinistrés. On peut donc imaginer que le pays s’enfoncera davantage dans le fondamentalisme.
L’impression prévaut ainsi d’une insuffisance marquante de la direction américaine dans l’ordre de la géopolitique. L’idée avancée en France par certains leaders de l’opposition, l’ancien ministre de la défense nationale, Paul Quilès, par exemple, de réunir une grande conférence internationale pour sortir de l’impasse afghane, mériterait d’être davantage étudiée. Dans l’ordre des relations internationales, un conflit en cache souvent un autre, et c’est bien le cas ici. Or les enjeux de l’opposition historique entre l’Inde et le Pakistan sont relativement limités concrètement et les solutions faciles à imaginer, notamment pour le Cachemire. Etant donné les ressources considérables du sous-sol afghan, un règlement d’ensemble, associant la Russie et la Chine ne serait pas si difficile à mettre en œuvre, à plus forte raison s’il allait de pair avec un essor économique indispensable pour garantir la paix.
Le drame est dans le fonctionnement même des démocraties contemporaines, fragilisées au jour le jour par une communication sans frein et sans idéal. Il suffit d’un pasteur fou, à la tête d’une secte de quelques dizaines de personnes, pour mettre le monde en émoi en menaçant le Coran d’un autodafé – et les plus hauts responsables du pays tendent de l’en dissuader, allant jusqu’à l’appeler au téléphone. De la sorte, l’attention des dirigeants politiques est aujourd’hui constamment sollicitée par une frénésie médiatique qui, peu à peu, leur sert de calendrier – on préfère désormais dire ‘agenda’.
De cette servitude moderne, le président français est un triste exemple. Avec le recul, son action erratique constituera un cas d’espèce étudié dans les écoles de science politique. Elle a pourtant une logique inavouée, niée le cas échéant, mais toujours présente. L’élection de Nicolas Sarkozy a correspondu à un recul très net du Front national au point qu’on a cru cette formation marginalisée définitivement. La plupart des actions d’envergure entreprises par le gouvernement ne visent qu’à préserver cette aubaine électorale. L’affaire des Roms est le cas type. Après tout par elle-même elle n’est pas si grave puisque les personnes renvoyées dans leur pays relèvent de l’Union européenne et qu’il est strictement exclu de leur imposer un exil définitif. Mais ce qui compte, c’est le discours martial et démagogique tenu par les hauts responsables à l’intention de l’opinion française. C’est finalement ce discours qui a été condamné par le parlement européen à une assez forte majorité. Cela importe peu aux intéressés qui n’y voient qu’un appui de plus à leur véritable politique. Reste à savoir s’ils ne sont pas des apprentis-sorciers comme il y en a eu tant dans l’histoire humaine.