A l’occasion de la semaine de la vaccination (du 24 au 30 avril) et de la sortie d’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en janvier dernier, intéressons-nous à une menace discrète mais réelle : les « antivax ». Connue de manière empirique depuis des siècles[i] et développée à la fin du XVIIIème siècle par le médecin britannique Edward Jenner, la vaccination est aujourd’hui encore le moyen le plus efficace d’éviter les maladies transmissibles comme la poliomyélite, la rougeole, les oreillons, etc. Selon l’OMS, une meilleure couverture vaccinale à l’échelle mondiale pourrait sauver la vie de 1,5 millions de personnes chaque année. Or, depuis environ vingt ans, un véritable mouvement contre les vaccins s’est développé, avec les réseaux sociaux comme caisse de résonnance. Alors pourquoi une telle défiance envers les vaccins partout dans le monde ? Si les anti-vaccins – ou « antivax » – font souvent la une des journaux en France, les pays occidentaux ne sont pas les seuls touchés. Tentons de comprendre les éléments qui ont nourri cette inquiétude à l’échelle mondiale.
Les scandales sanitaires
Réels ou imaginaires, ces évènements ont eu un véritable impact sur la perception des vaccins, en particulier dans les pays occidentaux. L’élément « déclencheur » du mouvement anti-vaccins en Europe fut l’étude Wakefield de 1998 : Andrew Wakefield, chirurgien britannique, affirma dans un article publié dans la revue médicale The Lancet que le vaccin ROR (rougeole, oreillons et rubéole) était à l’origine de nombreux cas d’autisme chez les enfants vaccinés. La déflagration fut internationale, de violentes campagnes contre la vaccination apparurent et on assista à une chute de la couverture vaccinale dans les pays développés. Pourtant il fut révélé quelques années plus tard que le chirurgien avait falsifié les résultats de son étude. Sans doute cherchait-il ainsi à satisfaire l’organisation d’avocats anti-vaccins sponsorisant ses travaux. Par ailleurs, fort de cette exposition médiatique, il tentait – sans succès – de lancer une entreprise commercialisant des « tests d’autisme »[ii]. Rayé de l’Ordre des médecins britanniques, il est désormais conférencier pour les ligues anti-vaccinations américaines. Mais vingt ans après sa parution, l’article a toujours des conséquences funestes : en France quatre personnes sont décédées de la rougeole entre 2018 et 2019, et l’on assiste à une recrudescence des cas à travers le monde (+50% de cas entre 2017 et 2018).
Dans les affaires impliquant des vaccins, l’équilibre est précaire pour les pouvoirs publics : agir rapidement au nom du principe de précaution quitte à décrédibiliser le produit aux yeux du grand public, ou attendre une confirmation scientifique en prenant le risque d’être pointé du doigt en cas de catastrophe sanitaire. Dans de nombreux cas, la balance a penché du côté du principe de précaution, comme en 1976 avec la suspension du vaccin contre la grippe porcine dont a supposé qu’il pouvait déclencher un syndrome de Guillain-Barré, ou du vaccin contre l’hépatite B dans les années 90, accusé de faire apparaître la sclérose en plaques. Si ces deux affaires se sont révélées fausses, ce n’est malheureusement pas le cas de tous les scandales impliquant des vaccins. La suspension du vaccin antirotavirus en 2015 suite à des cas d’invagination intestinale[iii] chez les bébés, et celle du Pandemrix contre la grippe A (H1N1) en 2010 entraînant des centaines de cas de narcolepsie[iv] en Europe sont autant d’arguments mis en avant par les antivax.
Le manque de confiance dans les institutions (politiques, sanitaires)
Prolongement du point précédent, cette méfiance à l’égard des institutions se retrouve partout dans le monde. Si dans les pays occidentaux les théories du complot pullulent à cause d’Internet, dans les pays en développement, les fondements de cette méfiance sont multiples. Les contextes politiques plus ou moins autoritaires décrédibilisent souvent l’action des vaccinateurs sur le terrain. Ainsi, en 2012 en Afghanistan, l’importance du dispositif de vaccination contre la polio est mal perçue par les parents, qui estiment que l’amélioration des structures sanitaires de base est une plus grande priorité que la vaccination. Il ressort d’une étude menée la même année dans le pays voisin, le Pakistan, que la majorité des adultes savent que la polio est un problème de santé publique sérieux, mais que le manque de communication « positive » sur le vaccin est la raison principale du manque d’intérêt et de la défiance des parents. La pauvreté, le faible salaire journalier touché par les hommes et le confinement des femmes dans les maisons expliquent également que des enfants ne se rendent pas dans les centres de vaccination. Enfin, les rumeurs infondées entretenues par les Talibans et les leaders religieux sur les effets dangereux du vaccin – qui causerait l’infertilité ou contaminerait les enfants avec le VIH – étaient un vrai problème au sein des populations pauvres, d’autant plus rétives à l’idée de faire vacciner leurs garçons. Il est important de souligner que tous les extrémismes religieux (chrétiens, juifs, musulmans, etc.), ainsi que les groupes sectaires, rejettent en bloc la vaccination, même si leurs justifications sont différentes[v].
Mais parfois les doutes portent davantage sur l’industrie pharmaceutique que sur les autorités politiques nationales ou internationales. En 1996, alors que des épidémies de méningite et de rougeole font rage dans l’Etat nigérian du Kano, le numéro un de l’industrie pharmaceutique, Pfizer, y pratique l’essai clinique de son nouvel antibiotique injectable, le Trovan, sans avertir la population ciblée. Sur les 200 enfants inoculés, 11 décèdent rapidement et les 189 autres développent des « dommages physiologiques graves ». Bien qu’il ne s’agisse pas d’un vaccin mais d’un médicament, le mode d’administration a permis l’amalgame. Cinq ans plus tard, les habitants du nord du Nigeria ont boycotté massivement la campagne de vaccination contre la poliomyélite lancée par l’OMS. Ce genre d’affaires, qui se sont multipliées dans les années 90, ont porté un coup irrémédiable à l’image des géants pharmaceutiques, qui ont tous leurs sièges dans des pays occidentaux, ce qui – nous l’avons vu – ne facilite pas l’acceptation des vaccins dans certaines parties du monde.
L’autosatisfaction
Cette justification revient de manière récurrente dans la rhétorique anti-vaccins. En effet, si la maladie contre laquelle nous nous faisons vacciner a disparu du territoire national, à quoi bon ? C’est oublier un peu vite que la mondialisation et les nouveaux modes de transports permettent aux humains, et donc aux virus dont ils sont les hôtes, de voyager plus rapidement sur l’ensemble du globe. L’un des buts principaux de l’OMS depuis 2011 est précisément d’améliorer la couverture vaccinale mondiale qui stagne à 86% depuis plusieurs années. L’Organisation estimait qu’en 2016, 19,5 millions de nourrissons dans le monde n’étaient pas vaccinés, et qu’environ 60% de ces enfants vivaient dans dix pays : Angola, Éthiopie, Inde, Indonésie, Irak, Nigéria, Pakistan, Philippines, République démocratique du Congo et Ukraine. Il est essentiel de rappeler que se faire vacciner permet de se protéger soi-même des maladies, mais aussi de protéger les autres habitants de la planète, en particulier les plus fragiles.
L’accessibilité des vaccins
Le dernier problème est l’accessibilité économique et l’approvisionnement des vaccins. Car si en France l’on tend à oublier que les vaccins coûtent chers, leur prix parfois exorbitant empêche certains pays de se les fournir. Selon l’OMS, en 2013, plus de 40% des pays à revenu faible ou intermédiaire ont connu des ruptures de stock au niveau national pour au moins un vaccin pendant un mois. Or, aucun programme de vaccination ne peut fonctionner sans les produits ou les modes de conservation[vi] nécessaires. Mais pour la population, la gratuité d’un vaccin n’est pas toujours la solution. Mal informée, elle peut estimer que si un acte médical est « offert », c’est qu’il n’est pas essentiel, et donc le refuse. Parfois, ce n’est pas le vaccin lui-même qui est remis en cause, mais le processus de vaccination. De la banale peur des piqûres, au manque de confiance dans les compétences du personnel soignant, en passant par des doutes sur l’hygiène du lieu et du matériel utilisé, les grains de sables qui peuvent enrayer le bon déroulement d’une vaccination sont nombreux. Et comme le souligne l’anthropologue Heidi Larson, « vous pouvez mener toutes les actions de communications possibles sur l’innocuité des vaccins, elles n’auront aucun effet sur de telles préoccupations »[vii].
Pour lutter contre les fausses informations et les rumeurs entourant la vaccination, les pouvoirs publics et surtout la société civile semblent vouloir reprendre les choses en main. Une campagne « anti anti-vaccins » s’organise sur Internet, dans les médias et dans l’espace public pour rappeler l’importance de se faire vacciner. Les géants de l’Internet, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) prenant le train en marche, ont lancé en février dernier une offensive contre les antivax. Ainsi, Pinterest, Youtube et Amazon Prime bloquent désormais les comptes propageant de fausses informations médicales. Car les vaccins ne sont pas des outils dépassés et les plus grands espoirs médicaux de ce siècle reposent notamment sur la découverte de vaccins contre le Sida et contre des maladies ré-émergentes comme Ebola.
Marie ROY
24 avril 2019
[i] Voltaire évoque ainsi « l’inoculation » contre la petite vérole (la variole) dans ses Lettre Philosophiques XI et XII dès 1734.
[ii] Voir à ce sujet les articles de Brian Deer, journaliste britannique qui enquêta pendant 20 ans sur le scandale Wakefield
[iii] Atteinte sérieuse du système digestif d’un nourrisson qui, dans les cas les plus graves, peut entraîner une occlusion intestinale
[iv] Maladie qui se caractérise par des accès de sommeil soudains et sans limites de temps
[v] Ainsi, dans les années 1980, un article de recherche sur un vaccin contraceptif contenant de l’anatoxine tétanique comme vecteur protéique a été mal interprété par un réseau catholique d’opposition à l’avortement, qui envoya aux communautés catholiques de soixante pays un message affirmant que le vaccin antitétanique rendait stérile. La couverture du vaccin antitétanique a alors chuté dans le monde. Les responsables de l’OMS organisèrent même une réunion au Vatican pour rétablir les faits et obtenir des dirigeants de l’Église catholique qu’ils aident à dissiper les rumeurs. Pour en savoir plus sur le rôle des mouvements sectaires, voir https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/08/31/certaines-ecoles-hors-contrat-sont-des-foyers-de-refus-de-vaccination_5348301_4355770.html
[vi] La plupart des vaccins doivent être conservés au froid, ce qui pose des problèmes logistiques dans les régions sous-électrisées
[vii] Voir à ce sujet l’entretien avec Heidi Larson publié dans le Bulletin de l’OMS 2014, volume 92, pp. 85-86, https://www.who.int/bulletin/volumes/92/2/14-030214/fr/