ThucyBlog n° 63 – Confiance, cet acteur méconnu des relations internationales !

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Par Guillaume Berlat, le 16 septembre 2020
Pseudonyme d’un ancien diplomate

« La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice » (Baruch Spinoza, 1632-1677). Ce philosophe a compris le cœur de la problématique des relations internationales. Il est plus porté par la dimension humaine de la vie en société, entre sociétés que par les grandes règles de la grammaire des relations internationales qui font la part belle aux sujets du droit international, les États. Il sonde plus les cœurs et les âmes des hommes qui font l’Histoire que les mécanismes de régulation des relations internationales. Son approche est d’autant plus intéressante qu’elle contribue à mieux appréhender les spasmes, les remises en question du monde du XXIe siècle. Pour trouver quelques clés de lecture d’un monde aussi complexe qu’imprévisible, il est indispensable de croiser les dimensions objective et subjective des relations internationales en concentrant notre attention sur le concept de confiance. À la manière de Pascal, il importe d’effectuer la différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse.

DE QUELQUES INGRÉDIENTS OBJECTIFS : L’ESPRIT DE GÉOMÉTRIE

Dans un monde dominé par les passions, l’enseignement fait la part belle à l’objectivité dans l’étude des relations internationales alors qu’il réserve la portion congrue à sa dimension subjective.

La part belle à la dimension objective des relations internationales

Les étudiants en droit international, en relations internationales, en sciences politiques sont bercés par l’apprentissage de concepts leur permettant de mieux appréhender la grammaire des relations internationales dans le temps. Dans un monde de la logique à la française, ils étudient guerre et paix, sujets et objets du droit international, mode de résolution des conflits, organisations internationales régionales et universelles… Ils appréhendent un monde fait d’une addition de facteurs objectifs s’agençant de manière rationnelle pour expliquer ordre ou désordre de la planète. Une sorte de jardin à la française rassurant tant la place accordée à la dimension humaine, irrationnelle, subjective de la conduite des relations internationales est ramenée à la portion congrue. Mais, dans les relations internationales, un plus un n’est pas toujours égal à deux.

La portion congrue à la dimension subjective des relations internationales

De nos jours, la technologie semble avoir réponse à tout. L’intelligence artificielle supplante l’intelligence humaine dépassée par la révolution numérique. La psychologie est remplacée par les algorithmes qui présentent un ’immense avantage ne pas faire de sentiment, s’en tenir à la vérité des faits (Hannah Arendt). Mais la rationalité revendiquée n’exclut pas une dose de morale, introduisant subrepticement une part de subjectivité dans l’appréhension des relations internationales. Elle n’exclut pas une dose de subjectivité dans la connaissance des rapports entre États. Le praticien curieux découvre alors un objet politique non identifié (OPNI), la confiance opposée à son contraire, la défiance. Mais, il éprouve une certaine difficulté à définir ce concept, à l’intégrer dans l’équation à plusieurs inconnues qu’est la mathématique des relations internationales.

D’UN INGRÉDIENT SUBJECTIF : L’ESPRIT DE FINESSE

Pour mesurer la nécessité d’une restauration de la confiance dans les relations internationales, il convient, au préalable, de disposer d’une approche conceptuelle de ce terme.

La nécessité d’une approche conceptuelle de la confiance

La confiance, c’est à la fois une force discrète et mystérieuse, un signe de foi dans l’avenir, un ingrédient indispensable de la vie internationale. « Faire confiance, c’est parler dans un monde incertain, qu’autrui aura un comportement coopératif » (Claudia Senik, directrice scientifique de la Fondation pour les sciences sociales). Dès le début du XXe siècle, les sciences sociales s’intéressent à cette « institution invisible » (Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie). « Sans la confiance des hommes les uns envers les autres, la société toute entière se disloquerait », écrivait dès 1900 Georg Simmel, l’un des premiers sociologues à avoir consacré ses travaux à la confiance. La confiance est placée au centre du contrat social à Rome. Vingt siècles plus tard, l’économiste Alexis Spire souligne que les « démocrates aspirent « pour asseoir leur autorité autrement que par la force, à produire des institutions qui suscitent la confiance ». Deux économistes (Yann Algan et Pierre Cahuc) écrivent en 2007 un ouvrage « Dans la société de défiance » énumérant les signes de cette éclipse dans divers États. Depuis le début des années 2000, cette défiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants ne fait que croître. Pour le sociologue américain Russel Harding (1940-2017), « l’âge de la défiance » n’est pas un accident de l’histoire mais le fruit naturel de la modernité. Dans L’économie de la confiance (2012), l’économiste Eloi Laurent prétend qu’avec l’accélération de la mondialisation, « la confiance n’est pas en crise, elle est en transition ». La confiance dans les sociétés modernes est fragilisée. « La méfiance est un sentiment toxique, mais la vigilance est une attitude positive » (Claudia Senik)[1]. Quid dans la société internationale ? Aujourd’hui, les rapports entre États souffrent, à l’évidence, d’un déficit de confiance. Comment la restaurer ?

La nécessité d’une incontournable restauration de la confiance

Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant au mieux les ressources de la diplomatie dans la « mêlée mondiale », quel formidable défi ! Mais, pour le relever, il faut sérénité et coopération. Pas la pratique de l’anathème contre l’autre. Ce qui nous rappelle, « qu’au fond, l’essence de la diplomatie, c’est la compréhension de l’autre ». Il faut remettre le respect de l’humain au cœur de nos actions au lieu de conspuer, d’accuser, d’isoler, d’exclure. Et d’accorder la plus grande attention à ce qui nous grandit : le respect et la confiance en l’avenir, la confiance en l’autre. Le maître mot est lâché, celui de confiance. Comment définir ce terme ? « La croyance spontanée ou acquise en la valeur morale, affective, professionnelle… d’une autre personne, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de sa part, tromperie, trahison ou incompétence ». Nous passons d’une dimension objective (l’existence d’une norme écrite et précise) à une dimension subjective (l’appréciation d’un sentiment de confiance) du paradigme des relations internationales. Est c’est là que réside toute la difficulté de l’exercice. Pourquoi et à partir de quand passe-t-on d’un sentiment de défiance à l’égard d’un État à un sentiment de confiance à l’endroit de ce même sujet du droit international ? C’est à cette capacité de jugement que l’on reconnait un véritable homme (femme) d’État, un visionnaire. Capacité à apprécier la permanence dans la volatilité d’une situation. Or, où est passée la « fée confiance » ? Elle a disparu derrière le mauvais génie du monde nouveau qui a pour nom défiance, méfiance. Dans les relations internationales, l’horizon se mesure en décennies. Injecter de la confiance est un art du long terme, c’est avant tout se lancer dans une épopée intellectuelle exigeante. Ce n’est qu’à ce prix que pourra être durablement rétablie la confiance, que le monde pourra se préparer un avenir moins sombre.

À cet égard, nous notons avec intérêt les déclarations du chef de l’État (28 novembre 2019) à l’OTAN dans lesquelles il en appelle à « construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe… ».

À LA RECHERCHE DE LA CONFIANCE PERDUE !

« La confiance est une des possibilités divines de l’homme » (Henry de Montherlant). Mais la confiance ne se gagne pas, elle se mérite. Comment ? C’est là toute la difficulté de l’exercice appliqué au domaine complexe des relations internationales. Comme le rappelle le cardinal de Retz : « On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance ». Toutes choses que nos dirigeants ont tendance à perdre de vue. Trop sérieuse est la diplomatie pour être laissée à des amateurs qui n’ont toujours pas compris ce qu’était son essence en cette période d’angélisme, plaie de ces temps conflictuels. Car « la diplomatie est un ensemble de connaissances combiné avec un savoir-faire spécifique ». À quand le lancement de chantiers de recherche sur la confiance, cet acteur méconnu des relations internationales ?

[1] Anne Chemin, La confiance, denrée politique en voie de disparition, Le Monde, 23 novembre 2019, pp. 30-31.