Résumé :
La scène internationale échappe désormais à tout bornage et est ouverte avec plus ou moins de succès à l’irruption de nouveaux acteurs au gré de configurations. Les groupes jihadistes, dont Boko Haram dans l’espace de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), font partie de ces acteurs « nouveaux » qui concourent au dépérissement des Etats, ruinent la fonction centrale de paix et de sécurité dévolue aux organisations internationales, modifient la doctrine militaire stratégique classique et commandent des agendas sécuritaires nouveaux et originaux (coalitions militaires, défense populaire, approche sécuritaire mixte, législations attentatoires aux libertés publiques, retour de l’« état d’exception, etc.), des habitudes et comportements nouveaux de la part des populations vivant dans les zones sinistrées, mais restent néanmoins globalement controversés. Cette réflexion procède de la caractérisation de Boko Haram, pour montrer que ce groupe djihadiste, doté d’une stratégie centrée sur la conquête territoriale et du pouvoir, est composé des combattants irréguliers animés par une « hostilité absolue », sans frontières et sans limites, nourrie par une forme fanatique donc sanguinaire de « théologie » ; ils sont appréhendés ici comme un ennemi, c’est-à-dire un acteur qui doit être anéanti pour reprendre Carl Schmitt. Comment appréhende-t-on Boko Haram sur la scène régionale ? Comment analyser et rendre compte du discrédit qui pèse sur lui et qui amène les autres acteurs à lui contester ce statut. L’analyse met l’emphase sur la place des dynamiques identitaires même si elles ne sont pas les seules, dans le déclenchement de la conflictualité, les mobilisations collectives au niveau national et la construction des coalitions internationales contre les groupes djihadistes. Elle se nourrit du constructivisme et de l’interactionnisme symbolique notamment chez Becker et Goffman, pour montrer que la controverse autour du statut d’acteur de Boko Haram est plus le fait des interactions entre celui-ci et les autres acteurs de l’espace CBLT, interactions productrices de stigmates et d’étiquette négative, que de la capacité réelle de ce groupe à affecter par ses actions la distribution des ressources et la définition des valeurs dans la région. Elle est fondée sur une enquête de terrain, associée à l’analyse de contenu des discours et des communiqués et permet de dégager les perceptions et les représentations autour de cet acteur.
Mots clés : groupes djihadistes, relations Internationales, sociologie d’un acteur controversé, Boko Haram, étiquetage, stigmatisation, dynamiques identitaires.