ThucyBlog n° 54 – Ce que peut changer la mort de Abdelmalek Droukdel, chef d’Al Qaeda au Maghreb Islamique, pour le Mali

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Par Bertrand Ollivier, le 16 juillet 2020

Au sommet de Pau le 13 janvier 2020 la France a annoncé que le groupe terroriste Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS), avec à sa tête Aboul Walid Al-Saharaoui, était devenu sa principale cible. Depuis, l’opération « Barkhane » concentre ses efforts et ses effectifs sur la région des trois frontières, zone de prédilection de l’EIGS, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

Mais partant de ce constat, qu’allait-il advenir des groupes issus de l’autre grande coalition terroriste au Sahel, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), opérant sous la bannière d’Al Qaeda ? L’annonce par la Ministre des Armées de l’élimination de Abdelmalek Droukdel, chef historique de Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), le 3 juin 2020 donne des éléments de réponse à cette question qui vont au-delà du simple succès tactique contre une cible high value.

Au-delà du succès tactique

L’élimination du principal cadre d’AQMI au Sahel depuis les 15 dernières années permet de constater qu’en dépit de la concentration des forces conventionnelles françaises de l’opération « Barkhane » dans la zone des trois frontières, les forces spéciales de l’opération Sabre, grâce aux alliances, au travail de renseignement et au maintien de la présence militaire française dans les villes de Tessalit et Kidal, gardent une pleine capacité opérationnelle au nord-Mali. En outre, il devenait urgent pour Paris de porter un coup au GSIM afin d’éviter que l’opinion publique malienne, sur un terrain complotiste très fertile, ne bruisse d’une alliance supposée entre les forces françaises et le GSIM, donc Al Qaeda, contre l’EIGS a l’heure où ce dernier fait simultanément face à une intensification des bombardements français et à des attaques répétées du GSIM. Au demeurant, l’élimination de Droukdel a permis de soutenir la position française lors des débats menés au Conseil de sécurité sur le renouvellement du mandat de la mission de maintien de la paix onusienne au Mali, la MINUSMA. En place depuis 7 ans à l’initiative de la France, chaque année la diplomatie française s’évertue à faire valoir les progrès accomplis en dépit d’une situation sécuritaire en constante détérioration et du manque d’avancée politique. Le 11 juin 2020, au Conseil de sécurité des Nations Unies, le ministre Le Drian indiquait : « Les résultats sont là, avec des victoires dans la lutte contre le terrorisme, dont la neutralisation, la semaine dernière, d’Abdelmalek Droukdel, chef d’AQMI ». Le 29 juin, le Conseil de sécurité renouvelait le mandat de la MINUSMA à l’unanimité pour un an.

Un GSIM coupé de ses réseaux internationaux

A sa création le 1er mars 2017, le GSIM se composait de trois groupes d’obédience locale et d’un groupe international. Pour les premiers, il s’agissait de Ansar dine, avec à sa tête Iyad Ag Ghali, de la Katiba Macina, avec à sa tête Amadou Kouffa et de Al-Mourabitoune avec à sa tête Moktar Belmoktar. Ces groupes ont bénéficié de la stature internationale du quatrième groupe, AQMI, avec à sa tête une figure centrale du djihâd algérien, Abdelmalek Droukdel, représentant de la Al Qaeda au Maghreb assurant au GSIM un ancrage dans la sphère du terrorisme international. Le GSIM se positionne en rempart de la montée en puissance de l’EIGS, notamment grâce à une politique d’intégration plus souple au sein des populations locales. A cet égard, en ligne avec le déplacement progressif du champ d’action des groupes terroristes du Maghreb vers le Sahel, Al Qaeda avait estimé plus utile de placer à la tête du GSIM en 2017 le malien Iyad Ag Ghali plutôt qu’un émir d’AQMI pour mieux s’assurer le soutien des chefs de tribus locales du nord Mali. En effet, Ag Ghali, un notable de Kidal issu de la tribu des touarègues Ifoghas, est une figure historique des précédentes rebellions touarègues de 1992 et 2006 et à ce titre, ainsi que par ses attaches tribales au cœur de la société touarègue, il dispose d’une certaine base populaire. C’est cette assise qui justifie la main tendue par le président du Mali en février 2020 aux deux protagonistes maliens du GSIM que sont Ag Ghali et Amadou Kouffa. Cette offre avait valu à Iyad Ag Ghali d’ouvrir une fenêtre de négociation en posant comme condition au dialogue le départ des forces françaises du Mali. Néanmoins, Droukdel n’ayant lui-même jamais accepté d’offre de dialogue équivalente lors de la politique de réconciliation algérienne, cette proposition du président IBK n’était probablement pas considérée comme souhaitable par le chef d’AQMI. Certains experts avancent d’ailleurs que l’objet du déplacement de Droukdel au Mali début juin, en présence de Toufik Chaïb – présenté comme le coordonnateur de l’alliance entre AQIM et le GSIM et tué lui aussi – pourrait être lié à cette question. Néanmoins, Droukdel mort, la question du dialogue entre les chefs maliens du GSIM et le gouvernement de Bamako redevient centrale avec moins d’interférences étrangères.

Une stratégie d’isolement de Iyad Ag Ghali au service d’une sortie de crise politique

La stratégie française qui prévaut dans la lutte contre le GSIM vise essentiellement à isoler son chef, Iyad Ag Ghali de ses attaches avec le terrorisme international afin de faciliter un règlement du conflit à l’échelle nationale. La réussite de l’opération du 3 juin dans la zone reculée de Talahandak, fief de Iyad Ag Ghali, avec l’aide probable des services algériens, ainsi que la capture d’un prisonnier et la prise de plusieurs matériels de communication ne peuvent qu’accroitre la pression mise sur Ag Ghali. Tout est ainsi mis en œuvre pour inciter l’intéressé à prendre position : opter pour la solution politique et bénéficier d’une clémence, ou bien réfuter cette offre au risque d’être le prochain sur la liste. Ramener Iyad Ag Ghali sur le chemin du dialogue disposerait de nombreux avantages pour le Mali comme pour la France, pressée d’œuvrer vers une stratégie de sortie. Cela permettrait tout d’abord de marquer une avancée forte dans le règlement de la question touarègue au Mali, dont les rebellions successives secouent les fragiles fondations de l’Etat malien depuis 1962. Une accélération de la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2015 entre Bamako et les groupes rebelles permettrait en outre de régler la question du statut de Kidal, serpent de mer du conflit malien. Dans un second temps, une solution politique porterait le coup de grâce aux réseaux d’Al Qaeda au sahel, qui risque déjà de ne pas se remettre de la mort de Droukdel, et permettrait à Paris de ne plus avoir que l’EIGS dans son viseur. Enfin, l’abandon du champ terroriste par Iyad Ag Ghali entrainerait également dans son sillage l’autre chef malien du GSIM, Amadou Kouffa, et permettrait de régler partiellement les problèmes intercommunautaires au centre du Mali.

La tentation du martyr

Cependant, la résilience des organisations terroristes après la mort de leur chef historique n’est plus à démontrer. Des lors, à l’inverse du scenario décrit, Iyad Ag Ghali pourrait être tenté d’opter pour une radicalisation de sa posture en poursuivant la conduite d’actions d’envergure, sur la base d’un agenda terroriste international et non seulement malien. Une telle stratégie, si avalisée par le chef d’Al Qaeda Al-Zaharawi au détriment des autres émirs algériens à l’instar de Abou Obeida Youssef alAnnabi ou Abou Saïd el-Djazaïri, ancrerait définitivement la réorientation de Al Qaeda vers le Sahel et l’Afrique côtière, nouveau terrain de prédilection du terrorisme comme en atteste les dernières attaques en Code d’Ivoire le 12 juin 2020. Tout cela ne présagerait en aucun cas d’une pacification de la zone et fermerait la possibilité d’une solution politique à moyen terme.