ThucyBlog n° 155 – Conflit israélo-palestinien de mai 2021 : quelles conséquences juridiques pour Israël et les groupes armés palestiniens ?

Crédit photo : Police israélienne (licence CCA)

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Par Insaf Rezagui, le 20 septembre 2021

Le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, signé le 21 mai dernier après dix jours d’affrontements, a fait taire les armes dans la bande de Gaza, alors que les hostilités ont coûté la vie à 232 Palestiniens et 12 Israéliens. Si Israël invoque le droit à la légitime défense, les Palestiniens estiment que plusieurs crimes de guerre ont été commis par l’armée israélienne. C’est également ce qu’a laissé entendre le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) le 12 mai dernier. La Procureure de l’époque, Fatou Bensouda, affirma être « préoccupée par l’escalade de la violence en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, ainsi qu’à Gaza et alentours, et par la commission éventuelle de crimes visés au Statut de Rome ».

La mobilisation de toutes les composantes du peuple palestinien, de Gaza à la Cisjordanie en passant par Jérusalem-Est et Israël, a mis de nouveau en lumière la cause palestinienne. La volonté d’expulsion de familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est a mis le feu aux poudres. Le Hamas, qui dirige la bande de Gaza, a tenté de s’approprier cette mobilisation. Le 10 mai dernier, une série de roquettes a ainsi été tirée vers Israël. Dans un contexte de survie politique, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, alors en poste, a lancé une attaque armée dans la bande de Gaza, où vivent plus de deux millions de Palestiniens. Durant cette séquence, plusieurs crimes de guerre auraient été commis et viendront compléter le dossier en cours devant la CPI.

Une nouvelle étape dans le déploiement de la judiciarisation de la cause palestinienne

Depuis 2009, face à l’échec des négociations bilatérales, les Palestiniens déploient une stratégie de judiciarisation de leur cause. Cette stratégie s’est traduite par l’adhésion de la Palestine au Statut de Rome en 2015. En investissant le champ de la justice pénale internationale, les Palestiniens espèrent obtenir réparation pour d’éventuels crimes de guerre israéliens commis sur leur territoire et démontrer leur capacité à agir en tant qu’État. En 2018, les Palestiniens ont demandé au Bureau du Procureur d’enquêter sur des crimes relevant de la compétence de la Cour. En 2019, l’ancienne Procureure, Fatou Bensouda, a annoncé que « tous les critères (…) pour l’ouverture d’une enquête étaient remplis » et a affirmé qu’il existait une « base raisonnable de croire que des membres des forces de défense israéliennes, les autorités israéliennes, le Hamas et des groupes armés palestiniens ont commis » ces crimes. Des crimes éventuels commis par l’armée israélienne, par le Hamas et d’autres groupes palestiniens dans le cadre d’opérations militaires à Gaza et la politique israélienne de colonisation sont concernés. Dans sa déclaration, Fatou Bensouda a également demandé à la Chambre préliminaire I de se prononcer quant « au territoire sur lequel la Cour peut exercer sa compétence et qui peut faire l’objet d’une enquête ». Le 5 février dernier, la Chambre a confirmé que la compétence territoriale de la Cour s’étendait à la bande de Gaza, à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Les bombardements israéliens à Gaza et les tirs de roquette de groupes palestiniens vers Israël menés entre le 10 et le 21 mai derniers et les opérations d’expulsion de Palestiniens de leur logement devraient concerner l’enquête qui s’ouvre. Ces faits peuvent constituer des crimes de guerre au regard de l’article 8 du Statut de Rome.

Le 18 mai, le Ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a adressé un courrier au Bureau du Procureur dans lequel il estime que les agissements israéliens constituent des « crimes contre l’humanité, de persécution et d’apartheid », allant au-delà de la qualification retenue à ce stade par le Bureau, qui s’en tient pour le moment à la commission de crimes de guerre au regard de l’article 8 du Statut. Le ministre cible notamment la politique d’expulsion de Palestiniens mise en œuvre par Israël à Jérusalem-Est et qui doit permettre à des colons israéliens de s’y installer. Pourtant, l’article 8 dispose que « le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire » est un crime de guerre. Ces opérations d’expulsion s’inscrivent dans une politique de colonisation et d’annexion assumée par les dirigeants israéliens.

L’absence de protection des personnes et biens civils au cours des hostilités et la commission de crimes de guerre

L’enquête du Bureau du Procureur devra déterminer si les bombardements israéliens peuvent s’apparenter à des crimes de guerre. L’article 8 du Statut de Rome prohibe « les attaques visant des biens et lieux qui n’apportent pas de contribution à l’effort de guerre et dont la destruction n’offre pas d’avantage militaire précis »[1]. En l’espèce, les bombardements israéliens ne devraient pas apporter d’avantage militaire précis, la situation sur le terrain restant inchangée. Les groupes armés palestiniens disposent toujours d’un arsenal militaire conséquent, alimenté par de nombreux tunnels et le soutien financier de puissances étrangères, et leur domination à Gaza reste forte. Pourtant, l’article 8-2-b prohibe toute attaque « des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires » et interdit « de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités » et « de diriger intentionnellement des attaques contre des biens civils (…) qui ne sont pas des objectifs militaires ».

Israël estime que ses bombardements relèvent de la légitime défense. Cette position a été défendue par de nombreuses chancelleries occidentales qui ont rappelé le droit d’Israël à la sécurité. En droit international, la légitime défense est encadrée par l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui prévoit la possibilité pour un État de répondre à « une agression armée ». L’objectif d’Israël serait de repousser l’agression du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens qui ont lancé plus de 3 000 roquettes vers l’État hébreu durant les hostilités. Cependant, le droit à la légitime défense n’est pas sans limites. Dans son arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour internationale de Justice a rappelé que « la légitime défense doit toujours présenter ce double caractère de proportionnalité et de nécessité ».

Tout d’abord, la nécessité implique pour un État invoquant la légitime défense de ne pas avoir d’alternatives à la réponse armée. La force armée de l’État qui se dit agressé doit être portée contre des objectifs militaires. Pourtant entre le 10 mai et le 21 mai, une majeure partie des bombardements ont visé des habitations civiles. Sur les 232 Palestiniens tués, 61 étaient des enfants. Les bombardements ont mis à la rue près de 3 000 Palestiniens et plus de 50 000 sont actuellement déplacés internes. L’armée israélienne n’a toujours pas apporté la preuve du ciblage de positions militaires lors des bombardements menés dans des zones densément peuplées.

Ensuite les moyens utilisés par l’État doivent être proportionnels à l’attaque subie. Cela signifie qu’Israël ne peut lancer d’attaques armées alors que celles-ci peuvent engendrer des pertes civiles excessives par rapport à l’avantage militaire escompté. La définition de personne civile s’entend négativement. Il s’agit de toute personne n’appartenant pas aux forces armées. En l’espèce, l’importance des pertes civiles et la destruction de biens civils laissent douter d’une réponse proportionnée. Entre le 11 mai et le 17 mai 2021, l’armée israélienne aurait détruit plus de 150 habitations civiles d’après Amnesty international. Dans la plupart de ces bombardements, les habitants des immeubles visés n’ont pas été prévenus d’un raid imminent et n’ont pas pu se mettre à l’abri. La position israélienne est difficilement tenable. La bande de Gaza compte plus de deux millions de Palestiniens, soit 5 500 habitants au km2. Il paraît compliqué de ne cibler par voie aérienne que des structures militaires au milieu de nombreuses habitations civiles. Cette disproportion s’illustre par les bombardements le 16 mai dernier de deux immeubles d’habitation qui ont tué 30 civils dont 11 enfants, alors qu’aucune cible militaire ne se trouvait dans ces immeubles.

Enfin des structures humanitaires ont été prises pour cibles. Une clinique de l’ONG Médecins sans frontières a été endommagée à la suite d’un bombardement dans la nuit du 15 au 16 mai, alors que le ciblage de structures médicales est formellement interdit par le droit de Genève.

Pour Israël, les pertes civiles sont la conséquence d’utilisation par le Hamas de la population civile comme bouclier humain, alors que cette pratique s’apparente à des crimes de guerre. Le Bureau du Procureur a toujours rappelé son intention d’enquêter sur la commission de crimes de guerre par les groupes armés palestiniens.

C’est dans ce contexte sinueux qu’il appartiendra au Bureau du Procureur de déterminer la nature et l’ampleur de ces crimes en apportant des preuves matérielles. Le rejet de la compétence de la Cour par Israël et la promesse des dirigeants israéliens de protéger tout Israélien pouvant être visé par cette enquête rendront la tâche du Procureur de la CPI, Karim Khan, périlleuse. Pour autant l’incapacité de la diplomatie à faire triompher la paix fait reposer sur la justice pénale internationale, et plus généralement sur le multilatéralisme, un certain nombre d’espoirs pour les Palestiniens. Il s’agit certainement de leur dernière chance pour permettre à leurs revendications d’aboutir.

[1] FERNANDEZ F., PACREAU X. (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Commentaire article par article, Paris, A.Pedone, 2012, p. 519.