L’année 2010 a été riche en crises diverses et multiples : crises humanitaires suite au tremblement de terre survenu le 12 janvier sur l’île d’Haïti et aux inondations au Pakistan ; crise infinie en Somalie, prises d’otages dans le golfe d’Aden et morts des réfugiés somaliens aux larges des côtes yéménites ; crise politique, sécuritaire et sociale au Yémen et guerre au nord, à Saada ; l’instabilité persistante en République démocratique du Congo, avec le développement de la LRA (« Armée de résistance du Seigneur ») au Nord, aux frontières avec l’Ouganda et le Soudan ; crises persistantes au Darfour et incertitudes au Sud-Soudan à l’approche du référendum d’autodétermination ; crises à répétition dans les pays du Sahel ; coup d’Etat au Niger ; soubresauts à Srinagar, au Jammu-et-Cachemire et à Laayoune, au Sahara occidental, dans deux des plus vieux conflits gelés ; crise de régime latente en Egypte ; crise de l’Etat au Pakistan, au Liban et en Thaïlande ; crises à répétition et danger nucléaire sur la péninsule coréenne ; crises politiques en Guinée, en Iraq, à Haïti et en Côte-d’Ivoire après la tenue de scrutins électoraux ; révolution en Tunisie.
Nous avons choisi cette année de porter l’accent sur deux pays en guerre depuis plus de vingt ans. Le premier, l’Afghanistan, est à la Une de tous nos journaux et est considéré par les pays de l’Alliance atlantique comme leur défi stratégique majeur ; le second, la Somalie, tend à être oublié par les Occidentaux, qui récemment n’en parlent que pour évoquer le problème de la piraterie. Ces deux crises ont pourtant bien des points communs.
Ces deux pays souffrent d’une absence ou d’une déficience de l’Etat. Tous deux sont parmi les plus meurtriers (10 000 morts en 2010 en Afghanistan, dont 20 % de civils). La stratégie de sortie de crise semble des plus difficiles à définir dans ces deux cas, cela, malgré les annonces de la fin de l’engagement occidental pour 2014 dans le cas afghan. Dans les deux cas également, faute d’attention et de compréhension des facteurs de crises, les stratégies de sortie de crise peuvent prendre des tournants inattendus et constituent en réalité des facteurs de résurgence de la crise – nous avions vu ce phénomène également l’année dernière dans le cas de la Bosnie-Herzégovine. Ainsi, en Afghanistan, « la double stratégie américaine [parler aux insurgés tout en continuant à les décimer] a encore diminué leur [celui des Talibans] empressement à s’asseoir à la table des négociations. Elle est même en train de provoquer l’essor d’une nouvelle génération de commandants talibans, plus jeunes, plus radicaux ». Ainsi, dans les deux cas, des processus de réconciliation sont souhaités par les acteurs internationaux, mais leur réalisation est complexe et ne pourra s’affranchir d’une meilleure compréhension des mécanismes de la société. Enfin, dans ces deux crises, la crise politique est également le reflet d’une crise et d’un sous-développement économique qui nourrit tous les extrémismes. Ainsi que le dit François Guiziou pour le cas somalien, « sans alternative économique, sans autre solution que celle proposée par l’ordre islamiste radical, lui aussi extérieur, ou un gouvernement transitoire sans territoire, la Somalie ne peut espérer retrouver l’espoir d’un équilibre perdu peu de temps après l’indépendance ». De même, Thomas Ruttig, Martine Van Bijlert et Mathieu Lefevre nous démontrent qu’en Afghanistan la sortie de crise passe par une sortie de l’économie de guerre et des liens de dépendance entre les contractuels internationaux, sécuritaires ou de développement et les réseaux économiques locaux. La transformation des économies de guerre est, de ce point de vue, l’un des plus grands défis des institutions internationales et de leurs Etats membres pour installer une paix durable dans ces pays aux crises interminables.
Enfin, la rubrique de cette année comporte un encadré de Luciano Hounkponou sur une facette méconnue de la crise haïtienne provoquée par le tremblement de terre : les conséquences de la perte des documents personnels restés sous les décombres (actes de décès, papiers d’identité, titres de propriété, actes de naissance, etc.) et qui contribue à la lenteur de la reconstruction du pays.