L’arrivée au secrétariat d’Etat d’Hillary Clinton a été marquée par une réorientation sensible de la diplomatie des Etats-Unis. La rhétorique autour du « smart power » s’est concrétisée par la publication en décembre 2010, pour la première fois, d’une Quadriennal Diplomacy and Development Review novatrice [[On se reportera sur ce point à la revue Politique américaine, qui présente un dossier spécial sur la question, « Défense, diplomatie et développement : repenser l’action extérieure », Politique américaine, n° 17, aut. 2010.]]. Le texte qui, techniquement, est une manière de légitimer le budget du ministère, place au même niveau l’action diplomatique et le développement. L’expérience américaine en Amérique latine, en Moyen-Orient, en Afghanistan et face à la cinquantaine d’Etats qui peuvent être classés comme « fragiles », trouve ici une première reconnaissance. Dans ces conditions, il devient nécessaire de se pencher sur la façon dont les Etats-Unis gèrent leurs relations avec certains pays dits « en développement ». Le lecteur trouvera dans cette édition de l’Annuaire un article sur les relations entre les Etats-Unis et l’Inde ainsi qu’un autre sur le Brésil.
Sophie Agostini-Heinrich, docteur en Science politique et chercheur associée au Centre Thucydide de l’Université Panthéon-Assas (Paris II, France), décrit dans sa contribution ce qu’elle dénomme « l’établissement d’un partenariat stratégique » entre les Etats-Unis et l’Inde entre 1991 et 2010. Comme elle le rappelle justement, le rapprochement entre les deux pays n’allait absolument pas de soi. Au sortir de la Guerre froide, l’Inde est fortement identifiée à un certain socialisme tiers-mondiste qui ne la prédispose pas à se rapprocher des Etats-Unis, d’autant que ces derniers sont des alliés du Pakistan depuis des décennies. La volonté indienne de se doter à tout prix de l’arme nucléaire et la place croissante de la Chine n’étaient pas non plus des éléments favorables à un rapprochement. En fait, il faut en fait attendre les années 2000 pour que la situation entre les deux pays évolue véritablement. L’Inde est un des pays qui a le plus bénéficié du bouleversement des alliances héritées de la Guerre froide initié par l’administration Bush. Le voyage de ce dernier en 2006 peut ainsi être considéré comme un véritable tournant, similaire à celui de Nixon en Chine en 1972. Dorénavant perçue comme une force stabilisante dans la région, l’Inde devient, pour les Américains, un contrepoids nécessaire à la puissance chinoise. Il faut aussi prendre en compte, pour comprendre ce changement fondamental, la montée des néo-conservateurs au sein de l’administration américaine de l’époque. On se souvient en effet de la façon dont ce petit groupe d’intellectuels met l’accent sur les idéaux et les institutions démocratiques comme facteurs essentiels de l’évolution des relations internationales. Le thème du « Grand Moyen-Orient » démocratisé en est l’exemple le plus connu, dans sa version contraignante et militarisée. L’Inde, en revanche, constitue un exemple différent : c’est très précisément l’héritage parlementaire de l’Inde, que les responsables nationaux décrivent volontiers comme la « plus grande démocratie du monde », qui a sans doute contribué au rapprochement. Comme l’indique Sophie Agostini-Heinrich, l’administration Obama ne semble pas désireuse de revenir sur cet héritage. C’est d’autant moins probable qu’Obama continue lui aussi à opérer en dehors des alliances héritées de la Guerre froide et promeut une diplomatie « globale » [[Au sujet de la visite d’Obama en Inde, on peut se reporter à une analyse d’Eswar Prasad pour la Brookings Institution, disponible sur le site Internet www.brookings.edu/papers/2010/1104_india_prasad.aspx.]].
L’article suivant, écrit par Carlos R. S. Milani, professeur de Relations internationales à l’Université fédérale de Rio (Brésil), et Cristina Almeida, assistante de recherche au LABMUNDO (Laboratoire d’analyse politique mondiale), se penche sur les liens qui unissent le Brésil et les Etats-Unis. Le Brésil ne s’est véritablement rapproché des Etats-Unis qu’à partir du moment où la République s’est imposée, en 1889. Il est alors devenu un des alliés les plus sûrs de l’Amérique dans la région, même si aucune alliance formelle n’a jamais été signée. La situation aurait sans doute perduré après la Seconde Guerre mondiale si les Etats-Unis n’avaient pas sur-réagi par rapport aux tentatives d’autonomisation du Brésil dans les années cinquante. Le coup d’état militaire de 1964 est généralement présenté comme assurant aux Etats-Unis un relais et une certaine stabilité dans la région. Une perception commune que nuancent les auteurs en montrant la diversité des diplomaties menées par les militaires brésiliens au pouvoir. C’est d’ailleurs une perspective relativement similaire que les auteurs mettent en relief avec le retour d’un pouvoir civil. Le Brésil oscille en effet entre deux lignes diplomatiques, d’une part le soutien aux initiatives américaines et d’autre part une quête d’autonomie [[Sur ce point, cf. également Riordan R OETT , The New Brazil, Brookings Press, Washington, 2010.]]. Le Brésil fait donc preuve d’un engagement rhétorique en faveur de l’intégration des Amériques défendue par les Etats-Unis depuis 1994 ; il a aussi accepté un accord sur les biocarburants ; mais dans le même temps, le Brésil diversifie son action en soutenant les projets d’intégration en Amérique latine uniquement et en développant les liens avec des Etats européens : l’objectif des autorités brésiliennes est de sortir d’une relation exclusive avec les Etats-Unis afin de se ménager une marge de manœuvre plus importante.
Ces deux textes sont complétés par un troisième, portant sur le rôle des Etats-Unis au sein de la gouvernance mondiale, notamment dans le cadre du G20. Ce dernier a été créé en marge du G7 du 25 septembre 1999 à Washington DC, à l’initiative du ministre de l’Economie canadien Paul Martin, lors d’une réunion des ministres des Finances du groupe. Le but de ce nouveau groupe était alors de favoriser la stabilité financière internationale et de créer des possibilités de dialogues entre pays industrialisés et pays émergents, ce que les réunions des ministres des Finances du G7 ne permettaient pas. Regroupant actuellement 19 pays, ainsi que l’Union européenne, le G20 a eu une visibilité plus importante lorsque, à l’initiative de Gordon Brown et de Nicolas Sarkozy, il s’est réuni au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement en 2008. Dans son texte, l’auteur, Antonio de Lecea, directeur des Affaires économiques et financières à la Délégation de l’Union Eeuropéenne auprès des Etats-Unis, analyse la réaction américaine face à la crise au sein des instances internationales. Soulignant que le modèle de croissance américain d’avant la crise économique n’était pas durable, il montre l’adéquation des mesures de relance adoptées par l’administration, tout en rappelant que des réformes structurelles et fiscales demeurent nécessaires. Or, la remontée du Parti républicain est sans doute problématique de ce point de vue, sauf peut-être pour les questions commerciales. A l’inverse, comme le souligne l’auteur, l’Europe pourrait agir de manière plus ferme car elle ne souffre pas de déséquilibres extérieurs importants. L’Europe est d’autant mieux placée que l’architecture de coordination macro-économique internationale mise en place par le G20 ressemble fort à celle qui a été construite au sein de l’Union européenne. Cela constitue une source d’influence potentielle de l’Union dans la construction de la gouvernance économique globale. Ainsi, pour l’auteur, l’Europe est mieux placée que les Etats-Unis pour donner un élan à la coordination multilatérale, autant au sein du G20 et du FMI que dans l’OMC, ce qui est la seule solution pour faire face aux défis structurels actuels et promouvoir une croissance mondiale plus élevée et durable.