Après la crise de 2008-2009, la crise des dettes souveraines agit aujourd’hui comme le révélateur d’un décrochage économique entre la France et l’Allemagne. Or, cette situation n’est pas nouvelle et la dégradation de la note de la France par l’une des trois agences de notation n’a d’ailleurs pas grandement ému les marchés qui avaient « anticipé » l’événement. Il convient en effet de souligner que le différentiel économique qui existe entre les deux pays a pour origine les réformes engagées par l’Allemagne depuis le début des années 2000. Il n’en demeure pas moins que cette situation est particulièrement défavorable, à un moment où le couple franco-allemand déploie beaucoup d’énergie pour faire face à la crise de l’euro. Il est un fait que l’action conjointe et l’entente des deux partenaires dans le domaine économique sont indispensables à l’échelle européenne.
Si on entend parfois le terme d’hégémonie pour qualifier leur action, il conviendrait plutôt d’évoquer un leadership indispensable de la part des deux plus importantes économies de la zone euro, sans lesquelles rien de peut se décider actuellement. Certains, en France comme en Allemagne, vont plus loin et dépeignent l’image d’une domination de l’Allemagne au sein d’un couple « Merkozy ». Au-delà de quelques invectives sporadiques qui semblent davantage servir de paravent aux insuffisances nationales qu’indiquer une ligne politique alternative crédible, certaines de ces critiques pointent des difficultés réelles dans l’entente du couple franco-allemand. A titre d’exemple, le sociologue allemand Ulrich Beck, évoque, dans Le Monde du 26 décembre 2011, un « euronationalisme allemand » qui s’exprimerait à travers la transposition, au niveau européen, d’une « culture de la stabilité » (Stabilitätskultur) héritée des politiques monétaires de la Bundesbank aux temps du Deutsche Mark. Or, s’il est juste que la situation économique actuelle dessert la France dans la relation privilégiée qu’elle entretient avec l’Allemagne, on a tendance à ignorer, d’une part, les contraintes politiques dont les dirigeants allemands sont l’objet au niveau interne et, d’autre part, l’assouplissement progressif de la position allemande.
Au-delà des problèmes strictement économiques qui touchent la zone euro, si on regarde de plus près les motivations de l’agence de notation qui a dégradé la France (S&P) ainsi que sept autres pays européens, on observe qu’elles soulignent notamment le problème de la gouvernance au sein de l’Union européenne. C’est en particulier sur ce point que les deux partenaires ont eu des difficultés à s’accorder. S’il est juste de constater qu’initialement, Berlin avait difficilement accepté le principe même d’une gouvernance économique, elle s’y est finalement rendue, même si cela ne fut pas exactement dans les termes auxquels la France aspirait. Ainsi, un traité intergouvernemental sur une nouvelle gouvernance de la monnaie unique et une politique de discipline budgétaire au sein de la zone euro ont été mis en place. Cela correspond certes dans une large mesure à la position budgétaire prônée par l’Allemagne, où la « culture de stabilité » a plutôt bien fonctionné. En effet, même si le gouvernement allemand table sur une croissance de 0,75 % en 2012 en raison des effets de la crise qui frappe actuellement l’Europe, il ne faut pas oublier que celle-là était de 3,7 % en 2010 et de 3 % en 2011 et que le déficit public avait été ramené de 3,3 % à 1 % entre ces deux années, conformément à la règle d’or inscrite dans la Loi fondamentale ; pour l’avenir, les analystes tablent sur une remontée de la croissance en 2013 à 1,6 %. Si l’Allemagne et la France ont bien eu une divergence sur la question des Eurobonds, la première estimant que les Etats devaient préalablement adopter une politique budgétaire équilibrée, cette position pourrait évoluer à l’avenir en raison des effets potentiels de la crise de la dette publique.
De plus, le Chancelier allemand avait appelé à une mise en place rapide du Mécanisme européen de stabilité (MES) pour remplacer le Fonds européen de solidarité financière (FESF). Or, le MES pourra plus facilement bénéficier de fonds prêtés par la BCE que son prédécesseur. Les choix effectués pourront bien évidemment être critiqués, mais il n’en demeure pas moins qu’une solution parfaite n’existe pas et que si les choix sur lesquels l’Allemagne et la France se sont entendues ne conviennent peut-être pas à toutes les économies, il semble néanmoins indispensable qu’ils favorisent la relance de ces deux pays sans lesquels une économie européenne en difficulté ne saurait être soutenue.
Même si le couple franco-allemand a pu révéler des divergences de point du vue – ce qui n’a rien de surprenant face à une situation économique particulièrement difficile et des opinions publiques en plein désarroi –, on ne peut ignorer que le mode opératoire des deux pays et que les instruments dont dispose désormais l’Europe ont incontestablement progressé depuis le précédent choc de 2008-2009. Même si les deux partenaires n’en perçoivent pas tout à fait des fins identiques, ils ont incontestablement ébauché la mise en place d’un gouvernement économique de l’Europe (ou plus exactement de la zone euro). Au-delà de la poursuite des réformes économiques indispensables au niveau national, c’est donc en grande partie de la capacité du couple franco-allemand à surmonter ses divergences – et certaines de ses contradictions – afin de compléter et de préciser les mesures prises conjointement que dépendra la stabilité future de l’Euro et, donc, le sort d’un des acquis majeurs de l’intégration européenne.