ThucyDoc n° 15 – Note d’actualité : Le Comité des droits de l’enfant et ses premières communications : vers une mise en œuvre pratique de la Convention de New York au bénéfice des enfants étrangers (2/2)

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Le Comité des droits de l’enfant a rendu une deuxième communication, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, lors de sa session de septembre 2018[i]. Comme la première, elle porte sur des problématiques relatives aux enfants étrangers. Cependant, le cas d’espèce est fort différent de celui de la première communication. En effet, cette nouvelle communication s’attache aux questions relatives à la kafala et à la réunification familiale, telles qu’entendues dans le cadre de la Convention internationale des droits de l’enfant.  En l’espèce, un couple de nationalité belge a été désigné, par le tribunal de première instance de Marrakech comme étant « preneurs en kafala et tuteurs »[ii] d’une petite fille ayant été abandonnée par sa mère à la naissance et dont le père est inconnu. Ils ont « introduit une demande de visa long séjour pour motifs humanitaires » en Belgique : ils ont procédé ainsi à défaut de pouvoir demander un regroupement familial, en application du droit européen, car la « kafala n’établit pas de lien de filiation »[iii]. Cette demande de visa a été refusée à deux reprises par l’Office des étrangers malgré la sanction de la première décision de l’Office, pour manque de motivation, par le Conseil du Contentieux des étrangers. Le couple a invoqué, devant le Comité des droits de l’enfant, une violation des articles 2 (principe de non-discrimination), 3 (intérêt supérieur de l’enfant), 10 (réunification familiale), 12 (droit d’exprimer son opinion) et 20 (protection de l’enfant privé de son milieu familial) de la Convention.

Au regard de la recevabilité, le Comité a estimé que la condition d’épuisement des voies de recours internes était satisfaite, quand bien même un recours était toujours pendant devant les juridictions belges. Il a estimé que ce recours avait « peu de chances de succès » et qu’il « n’impliqu[ait] pas l’octroi d’une autorisation de séjour »[iv]. Le Comité a cependant rejeté les griefs des requérants au titre de l’article 20 de la Convention car il a estimé qu’ils étaient « manifestement infondés »[v]. L’examen au fond de la communication présente un double intérêt car, d’une part, elle confirme l’interprétation et la mise en œuvre des « principes généraux »[vi] de la Convention (I) et, d’autre part, en ce que l’espèce a permis au Comité de déterminer dans quelle mesure il était possible de procéder à une réunification familiale dans le cadre d’une kafala (II).

1. Une interprétation classique des articles 3 et 12 de la Convention 

Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue l’un des fondements communs des deux communications étudiées. Lors de l’analyse de la communication I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, il a été constaté que le Comité s’était contenté de reconnaître que l’intérêt supérieur  de la jeune fille n’avait pas été pris en compte par l’autorité décisionnaire et que cet intérêt, s’il avait été évalué, aurait permis de déterminer si la jeune fille courrait un risque de persécution si elle était retournée dans son pays d’origine. L’approche du Comité, dans la communication Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, est beaucoup plus détaillée ; cela s’explique essentiellement par le fait que les requérants ont beaucoup développé ce principe dans leur argumentation. Ils se sont d’ailleurs clairement inspirés des Observations générales n° 7 et 14 du Comité lorsqu’ils ont estimé qu’en matière d’adoption, l’article 3 impose « une obligation de motivation renforcée »[vii] et que « l’opinion de l’enfant doit être prise en compte »[viii]. Ainsi, même si le Comité n’a commencé que récemment à étudier les communications qui lui sont présentées sur le fond, les Observations générales qu’il a produites depuis 2001 sont une aide essentielle pour, d’une part,  le développement de leurs griefs par les parties, et d’autre part, la compréhension de ses raisonnements. D’ailleurs, le Comité ne se prive pas de faire référence à ses Observations dans son examen du fond[ix]. Elles apparaissent ainsi comme étant le meilleur moyen de connaître la position du Comité selon la question en jeu. Le respect de l’article 3 nécessite ainsi un examen concret de la situation de l’enfant[x] afin de déterminer si elle peut être réunie avec les preneurs en kafala.

L’article 12 et le droit de l’enfant d’exprimer son opinion fait également l’objet d’une analyse de la part du Comité. Le développement du Comité est intéressant de deux points de vue. Tout d’abord, il confirme la complémentarité des articles 3 et 12. Si une partie de la doctrine a pu questionner les difficultés relatives à l’articulation de ces deux droits[xi], le Comité confirme que l’enfant doit « avoir la possibilité d’influer sur la détermination de [son] intérêt supérieur »[xii] en donnant son opinion. De plus, le Comité rappelle que l’article 12 n’impose pas de limite d’âge : en l’espèce, l’enfant aurait pu être entendue lors de la deuxième procédure d’examen de la  demande de visa, quand bien même elle n’avait que 5 ans au moment de la procédure[xiii]. Le critère ne doit pas être celui de l’âge mais celui de la capacité de discernement, tel que le prévoit l’article 12 de la Convention.

Enfin, même s’il a reconnu la recevabilité des griefs fondés sur l’article 2 de la Convention, le Comité n’a pas jugé nécessaire de les examiner au fond car il a estimé que la reconnaissance de la violation des trois autres fondements de la communication était suffisante. En effet, au regard de l’objectif des requérants, à savoir l’obtention de la réunification familiale, la violation des articles 3, 10 et 12 était suffisante pour pouvoir demander un réexamen de la demande de visa.

2. Une possible mise en œuvre d’une réunification familiale dans le cadre d’une kafala

La communication Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique va au-delà de la simple réutilisation des considérations issues des Observations générales dans le raisonnement du Comité. Elle a été l’occasion, pour le Comité, de clarifier la mise en œuvre de la kafala dans le cadre d’une réunification familiale[xiv]. De la même façon que l’article 10 de la Convention ne reconnaît pas un droit explicite de l’enfant à la réunification familiale[xv], le Comité a estimé que la Convention n’imposait pas un « droit de réunification familiale aux enfants pris en charge en régime de kafala »[xvi]. L’article 10 impose aux États, pour l’essentiel, des obligations relatives à la prise de décision en matière de réunification familiale.

Afin d’obtenir une réunification familiale, les requérants ont tenté d’obtenir un visa longue durée pour motifs humanitaires, tel que prévu en droit belge. Le Comité a estimé que, lors de l’examen de la demande de visa par les autorités belges, celles-ci auraient dû, dans le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, « prendre en considération les liens de facto existants entre l’enfant et les auteurs »[xvii]. La mise en œuvre de la réunification familiale dans le cadre d’une kafala a ainsi permis au Comité de clarifier ce que sont la famille et les « liens familiaux », notions non définies par la Convention. Les auteurs de la communication ont ainsi invoqué la définition que donne la Cour européenne des droits de l’homme de la vie familiale selon laquelle « l’existence de liens de facto constitue “vie familiale” »[xviii]. Le Comité des droits de l’enfant reprend cette approche et considère que « le terme “famille” doit s’interpréter au sens large » et au regard de l’article 5 de la Convention qui fait notamment référence à la famille élargie et à la communauté de l’enfant. Ainsi, si liens familiaux sont avérés, et c’est le cas en l’espèce[xix], l’État a manqué à son obligation de traiter la demande de réunification familiale dans un esprit positif. Dans le cas où des liens existent entre l’enfant et les auteurs de la demande de réunification familiale, l’État doit « veill[er] à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs et les membres de leur famille »[xx].

Cette communication aura permis au Comité de confirmer son interprétation selon laquelle toutes les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant fonctionnent et doivent être lues ensemble. Les principes directeurs dégagés par le Comité s’appliquent à tous les types de décisions. Sans reconnaître de droit à la réunification familiale aux enfants, le Comité impose un respect strict des dispositions et principes de la Convention.

Léa JARDIN
28 novembre 2018

[i] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, 27 septembre 2018, CRC/C/79/D/2/2017.

[ii] Ibid., § 2.2.

[iii] Ibid., § 2.4.

[iv] Ibid., § 7.2.

[v] Ibid., § 7.3.

[vi] Comité des droits de l’enfant, Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les Etats parties doivent présenter conformément au paragraphe 1 a) de l’article 22 de la Convention, 30 octobre 1991, CRC/C/5, § 13 : le Comité a reconnu l’existence de ces quatre principes généraux très tôt. Ces principes doivent être appliquées pour toute décision mettant en œuvre les droits prévus par la Convention.

[vii] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, préc., § 3.3, l’obligation de motivation renforcée, en matière d’adoption, a été développée par le Comité qui a considéré qu’alors l’intérêt supérieur de l’enfant était « la considération primordiale ». Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 7 sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, 20 septembre 2006, CRC/C/GC.7/Rev.1, § 36 b).

[viii] Ibid. Sur les liens entre l’article 3 et l’article 12 V. Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 14 sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, 29 mai 2013, CRC/C/GC/14, §§ 43 à 45.

[ix] V. par exemple les §§ 8.3 et 8.7 de la présente communication.

[x] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, préc., § 8.11.

[xi] V. par ex. ARCHARD (D.), SKIVENES (M.), « Balancing a child’s best interests and a child’s views », International Journal of Children’s Rights, Vol. 17, Issue 1 (2009), pp. 1-21 et LÜCKER-BABEL (M.-F.), « The right of the child to express views and to be heard: an attempt to interpret Article 12 of the UN Convention on the Rights of the Child », International Journal of Children’s Rights, Vol. 3, Issues 3 & 4 (1995), pp. 391-404.

[xii] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, préc., § 8.7 : en effet, il cite directement l’Observation générale n° 14 dans lequel il avait déjà soulevé la nécessaire participation de l’enfant à la détermination de son intérêt supérieur.

[xiii] Ibid., § 8.8.

[xiv] Il s’agit bien ici d’une réunification familiale et non d’un regroupement familial, tel qu’il est encadré, en droit de l’Union européenne, par la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial. En effet, le regroupement familial a un champ d’application beaucoup plus restreint que celui de la réunification familiale telle qu’elle est entendue par l’article 10 de la Convention. Le regroupement familial nécessite notamment qu’il existe un lien de filiation entre l’enfant et les personne qui en sont responsables, comme cela est précisé au § 2.4 de la présente communication.

[xv] HODGKIN (R.), NEWELL (P.) Implementation handbook for the Convention on the Rights of the Child, UNICEF, 3rd ed., septembre 2007, p. 135 : « the wording of article 10 is notably weaker than that of article 9 in so far as the right to family reunification is not expressly guaranteed ».

[xvi] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, préc., § 8.11.

[xvii] Ibid.

[xviii] Les auteurs font notamment référence à l’arrêt suivent : Cour européenne des droits de l’homme, Chbihi Louboudi et autres c. Belgique, 16 décembre 2014, req. n° 52265/10, § 78.

[xix] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, préc., § 8.11.

[xx] Ibid., § 8.12.