Depuis plusieurs années, des partis nationalistes, xénophobes et d’extrême-droite occupent des fonctions de gouvernement en Europe. C’est le cas en Autriche, en Hongrie, en Italie ou en Pologne. Dans ce dernier pays, depuis la victoire du parti conservateur et nationaliste PiS (Droit et Justice) aux élections présidentielles et législatives de 20152, des réformes se sont attaquées aux fondements de la démocratie et de l’État de droit. Durant la campagne électorale, ces réformes ont été résumées par le slogan « bons changements » (dobre zmiany). Selon le PiS, la Pologne, qui serait ruinée par les années de gouvernement libéral PO (Plateforme civique), devrait être « relevée » en accomplissant des changements dans le domaine judiciaire, en accroissant l’égalité, en promouvant le catholicisme et l’exaltation de la nation dans une vision martyrologique de l’histoire polonaise.
Cette étude se concentrera sur certains domaines caractéristiques des changements introduits par le PiS depuis son retour au pouvoir. L’examen portera sur la politique sociale mise en œuvre par le gouvernement PiS depuis 2015 ainsi que les réformes visant à limiter les libertés fondamentales et à mettre sous tutelle les contre-pouvoirs. L’étude se penchera aussi sur les usages politiques de l’histoire et les tensions qu’ils suscitent aux niveaux national et international ainsi que les effets de l’arrivée du PiS au pouvoir sur l’institution militaire. Enfin, cette analyse visera à montrer que l’ensemble des politiques mises en place par le gouvernement PiS ne s’apparentent pas tant à du populisme qu’à l’installation d’une démocratie autoritaire.
En effet le label qui revient le plus fréquemment pour qualifier les dynamiques polonaises est « le populisme ». Celui-ci peut être défini comme la prétention d’un parti politique de représenter le peuple contre un establishment considéré comme peu soucieux des citoyens ordinaires. Ce terme est fréquemment utilisé, tant dans le monde académique que journalistique. Cependant sa polysémie semble être une barrière à la compréhension fine des phénomènes politiques en cours.
Le qualificatif « autoritaire » a déjà été utilisé pour labelliser les pratiques en cours en Europe centrale. Le terme désigne un exercice du pouvoir qui bouscule les pratiques parlementaires et des modifications législatives visant à assurer des victoires électorales. Il caractériserait un deuxième âge du postcommunisme, après l’épuisement d’un premier consacré à l’établissement de la démocratie libérale et d’une économie de marché ainsi qu’à l’intégration du pays dans les institutions euro-atlantiques. D’autres auteurs, rejetant le qualificatif populiste entendu comme un parti qui utiliserait une rhétorique sociale pour mettre en place une politique néolibérale, estiment que la Pologne est un « régime néoautoritaire ». Ce type de régime se caractériserait à la fois par une politique sociale, une forte centralisation du pouvoir et à des attaques contre les institutions indépendantes. Dans cette conception, le néoautoritarisme se démarquerait par son acceptation des compétitions électorales comme de la liberté de parole et des critiques à l’encontre du pouvoir et de ceux qui l’exercent.Dans le présent article, le régime polonais sera entendu comme une démocratie autoritaire. Cette notion s’apparenterait aux termes inventés ou repris pour labelliser les dynamiques polonaises tels que « Führerdemokratie », « diminished forms of democracy », « Potemkin democracy » ou « démocratie illibérale ».
Son utilisation présente l’avantage de ne pas envisager l’autoritarisme comme une étape provisoire avant l’avènement d’une démocratie libérale et pluraliste. Il s’agit ainsi de penser l’autoritarisme comme une forme originale et porteuse d’innovations politiques et comme un régime durable pouvant être consolidé. La notion permet aussi de sortir du face-à-face entre démocratie et autoritarisme en montrant les analogies de procédés qui peuvent exister entre les deux types de régimes. Au sein d’une démocratie, il est possible d’observer des processus caractérisés par « un rétrécissement des espaces de liberté et d’action publique » mais aussi par « l’insulation des procédures de négociation et de discussion, la fragmentation et la dispersion des scènes du politique ». Ces procédures, qui s’apparentent à la gouvernance multiniveau ou aux réseaux d’expertise peuvent entraîner une désaffection des citoyens. A contrario, les régimes autoritaires peuvent s’accommoder de certains traits des régimes démocratiques comme la compétition électorale ou l’existence d’oppositions. Ce faisant le label « démocratie autoritaire » témoigne d’une hybridation des régimes politiques qui fait voler en éclat les typologies classiques basées sur des critères comme le pluralisme politique ou le mode de sélection des gouvernants.
En se basant sur cette définition, les processus mis en place en Pologne depuis 2015 ne s’apparenteraient donc pas tant à des processus d’exclusion et d’inclusion observables dans certains régimes démocratiques qu’à des logiques autoritaires remettant en cause les fondements mêmes de l’État de droit. Cependant si le label « démocratie autoritaire » apparaît posséder la plus grande capacité heuristique, il faut cependant se garder, en la nommant, de figer une situation qui demeure dynamique.