ThucyDoc n° 15 – Note d’actualité : Le Comité des droits de l’enfant et ses premières communications : vers une mise en œuvre pratique de la Convention de New York au bénéfice des enfants étrangers (1/2)

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La Convention internationale des droits de l’enfant a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et a connu un succès sans précédent[i]. Le Comité des droits de l’enfant est en charge du suivi de la mise en œuvre de la Convention par les États parties[ii]. Depuis 2011, le Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications lui a offert un nouvel outil de suivi de la mise en œuvre de la Convention. Aucune communication n’a passé le stade de l’admissibilité avant 2018[iii]. En 2018, il a examiné deux communications, l’une en janvier[iv], la seconde en septembre[v]. Elles ont toutes deux un lien avec la situation des enfants migrants en Europe et concernent leur droit au séjour, que ce soit par la demande d’asile dans la première espèce ou le droit à la réunification familiale dans la seconde. Les faits ainsi que les problématiques juridiques étudiés par le Comité dans ces deux communications font appel à des régimes juridiques distincts. Les apports de chacune de ces décisions seront dont étudiés séparément.

Dans la communication I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, le Comité a examiné la situation d’une femme d’origine somalienne qui a fui son pays, accompagnée de son mari. Son mari a été « dubliné »[vi] en Suède mais elle a pu déposer une demande d’asile au Danemark. Lors du premier rejet de sa demande, elle était enceinte. Elle a interjeté appel de la décision « en alléguant sa crainte d’être tuée par sa famille à cause de son mariage secret contre la volonté de celle-ci en 2007, ainsi que le risque que sa fille subisse des mutilations génitales féminines en cas d’expulsion vers le Puntland »[vii]. Sa demande a été de nouveau refusée par la Commission de recours des réfugiés. La requérante, représentant les intérêts de sa fille, a invoqué une violation des articles 1[viii], 2 (principe de non-discrimination), 3 (intérêt supérieur de l’enfant) et 19 (protection contre les mauvais traitements) de la Convention au motif qu’un éloignement vers le Puntland en Somalie constituerait un risque de mutilations génitales féminines pour cette dernière et que le Danemark, en vertu de l’article 19 de la Convention, a l’obligation de protéger la jeune fille.

Le Comité des droits de l’enfant a estimé que les griefs de la requérante sur le fondement de l’article 2 de la Convention étaient insuffisamment motivés et les a déclarés irrecevables[ix] au titre de l’article 7 f) du Protocole facultatif[x]. Il a également apprécié les arguments du Gouvernement danois qui avait considéré que la jeune fille et sa mère n’étaient plus sous sa juridiction car elles avaient disparu. Le Comité a rejeté ce moyen au motif que « le départ de l’auteure et de sa fille du Danemark est purement spéculatif car il n’a pas été confirmé »[xi]. Finalement, le Comité a examiné au fond les griefs invoqués par la requérante au titre des articles 3 et 19 de la Convention. Cet examen lui a permis, d’une part, d’appliquer les principes de non-refoulement et de précaution, qui ne sont pas explicitement inclus dans la Convention, en matière de droits de l’enfant (1) et, d’autre part, de faire la distinction entre le devoir de protection des parents et celui de l’État (2).

1. L’application des principes de non-refoulement et de précaution en matière de droits de l’enfant

La communication se concentre essentiellement sur la mise en œuvre du principe de non-refoulement au bénéfice de la fille de la requérante, principe issu de la Convention de Genève relative au Statut de réfugié de 1951[xii]. L’utilisation de ce principe n’a rien d’étonnant, puisque le Comité des droits de l’enfant y avait déjà fait référence dans ses Observations générales n° 6[xiii] et n° 22[xiv]. Il apparaît clairement, au travers du raisonnement du Comité, que l’article 19 comprend également une obligation pour l’État de ne pas éloigner l’enfant si celui-ci court le risque de subir toute forme de violence et en particulier des mutilations génitales féminines. De plus, le Comité confirme que ces mutilations constituent une forme de persécution spécifique aux enfants, au sens de la définition du réfugié[xv]. Ainsi, si la condamnation de ces mutilations est relativement classique elle présente, dans le cadre de cette communication, un réel intérêt car elle permet une interprétation pratique de l’article 19 : l’éloignement de l’enfant qui risque, une fois retourné dans sa communauté, une telle mutilation constitue une violation de l’article 19.

Dans le cadre de l’examen du risque, le Comité développe une appréciation in concreto du risque afin de vérifier si celui-ci existe bien. Il conclut de cette appréciation que le risque que court l’enfant s’il est renvoyé dans son pays « devrait être évalué conformément au principe de précaution, et lorsqu’il existe des doutes raisonnables que l’État de destination ne puisse pas protéger l’enfant contre de telles pratiques, les États parties devraient s’abstenir d’expulser l’enfant »[xvi]. Le Comité fait ici appel au principe de précaution, principe issu du droit de l’environnement[xvii]. En vertu de ce principe, si l’examen in concreto de la situation de la jeune fille ne permet pas d’établir avec certitude qu’elle ne subira pas de mutilations génitales féminine, une fois retournée dans son pays, alors l’enfant ne doit pas être refoulée. Le risque doit être apprécié à la lumière du principe de précaution qui oblige l’Etat à accorder à l’enfant le bénéfice du doute. Grâce à ce raisonnement, le Comité explique, de manière pédagogique, comment le principe de non refoulement doit être appliqué et étudié en pratique.

En ce qu’il développe deux principes qui ne sont pas présents dans la Convention, le Comité prouve sa volonté d’employer tous les instruments et principes juridiques à sa disposition, et adopte une approche très protectrice des droits de l’enfant. Cependant, il doit être noté que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est pourtant l’un des fondements juridiques de la requête, n’est abordé que très brièvement. En effet, le Comité ne fait que reprendre la formulation de l’article 3 par. 1 de la Convention et il insère cette mention dans son raisonnement portant sur le refoulement de la jeune fille. Puis il estime que les « décisions [concernant l’expulsion d’un enfant] devraient donner l’assurance − selon une procédure offrant les garanties voulues − que l’enfant sera en sûreté et bénéficiera de conditions appropriées s’agissant de sa prise en charge et de la jouissance de ses droits »[xviii]. Il se borne ensuite à constater que, selon le gouvernement danois, la mère de la jeune fille sera en capacité de protéger sa fille une fois de retour en Somalie. Le Comité examine alors les liens existants entre obligations incombant à l’Etat et celles incombant au parent.

2. La complémentarité des obligations de l’État et des obligations des parents

Le droit international des droits de l’homme vise « à imposer à l’État le respect et la protection [des droits de l’homme] en conformité avec certains textes internationaux »[xix]. Ainsi, l’État est responsable de la mise en œuvre de droits reconnus au bénéfice de l’individu et doit respecter les obligations qui lui incombent en vertu du droit international des droits de l’homme. La Convention internationale des droits de l’enfant prévoit donc les obligations qu’a l’État envers les enfants. Cependant, dans le cas des enfants, un troisième acteur entre en compte : ce sont les parents de l’enfant. La Convention détermine ainsi une obligation de l’État de respecter les droits et les devoirs des parents en son article 5. L’intrication des responsabilités respectives de l’État et des parents est une question centrale en matière de droits de l’enfant comme le prouve cette communication.

En l’espèce, le gouvernement danois avait estimé que le devoir de protection de la jeune fille contre le risque de mutilations génitales féminines, une fois qu’elle et sa mère seraient retournées en Somalie, incombait à cette dernière[xx]. Le Comité des droits de l’enfant n’a pas suivi ce raisonnement et a conclu à une violation de l’article 19 par le Danemark. En effet, si l’article 19 par. 1 définit la protection de l’enfant contre toute forme de violences et le second paragraphe, quant à lui, précise comment cette protection doit être mise en œuvre[xxi] et notamment par le biais d’une obligation de prévention[xxii]. Ainsi, il ressort du raisonnement du Comité des droits de l’enfant que l’État doit être capable d’identifier les difficultés que pourraient avoir les parents à protéger leurs enfants et, si elles sont réelles, à apporter de l’aide aux parents dans l’exercice de leur devoir de protection. Ainsi, ce n’est pas parce que les parents sont en charge, à titre principal, de la protection de leur enfant que l’État ne doit pas respecter ses obligations. Les obligations de l’État ne se terminent pas là où commencent celles des parents. Les obligations de chacun de ces deux acteurs sont complémentaires et il est dans l’esprit de la Convention que lorsque les parents ont des difficultés à protéger leurs enfants, l’État doit leur donner les moyens de maintenir cette protection[xxiii].

La question de la protection des enfants étrangers a également été étudiée par le Comité dans la communication portée contre la Belgique et rendue en septembre dernier. Elle sera l’objet de la seconde partie de cet article.

Léa JARDIN
21 novembre 2018

[i] Aujourd’hui, 196 États (sur 197 États recensés par les Nations Unies) ont ratifié la Convention ; seuls les États-Unis ne l’ont pas fait.

[ii] Le Comité s’est très rapidement attaché à remplir son rôle à la fois par l’examen des rapports périodiques des États parties (art. 44), mais également par le développement d’Observations générales et la tenue de Journées de discussion générale.

[iii] Entre 2014 et 2017, le Comité des droits de l’enfant a étudié une dizaine de communications mais leur examen n’a pas été mené à son terme pour deux raisons principales. Premièrement, dans certains cas, les faits ayant conduit au dépôt d’une communication ont cessé d’exister avant que le Comité n’ait pu effectivement se prononcer (v. par ex. Comité des droits de l’enfant, K. A. B. c. Allemagne, 26 septembre 2017, CRC/C/78/D/35/2017). Deuxièmement, dans tous les autres cas, la communication a été jugée irrecevable par le Comité pour diverses raisons (v. par ex. Comité des droits de l’enfant, Y. M. c. Espagne, 11 juillet 2018, CRC/C/78/D/8/2016 : le Comité a estimé que l’individu ayant déposé la communication qui se prétendait être un mineur non accompagné, était en fait un majeur).

[iv] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, 25 janvier 2018, CRC/C/77/D/3/2016.

[v] Comité des droits de l’enfant, Y. B. et N. S. (au nom de C. E.) c. Belgique, 27 septembre 2018, CRC/C/79/D/2/2017.

[vi] Conformément au règlement Dublin III, il a été estimé que la Suède était responsable de sa demande d’asile, c’est pourquoi il y a été transféré.

[vii] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 2.2.

[viii] Il semble étrange que la requérante ait fondé sa demande sur cet article car il définit ce qu’est un enfant. Or, il n’est pas remis en question, en l’espèce, que la fille qui est représentée ici n’était pas mineure. De plus, le Comité, dans ses observations, fonde son raisonnement sur les articles 2, 3 et 19 mais ne mentionne pas l’article 1.

[ix] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 10.3.

[x] « Le Comité déclare irrecevable une communication lorsque : f) La communication est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée ».

[xi] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 10.6.

[xii] Art. 33 de la Convention.

[xiii] Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 6 (2005) : Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, 1e septembre 2005, CRC/GC/2005/6, § 26 à 28. Le Comité, dans la communication étudiée fait d’ailleurs référence à ce qu’il a développé en 2005 : « À ce sujet, le Comité rappelle son observation générale no 6 dans laquelle il est dit que les États sont tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant serait exposé à un risque réel de dommage irréparable ». Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 11.3.

[xiv] Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et Comité des droits de l’enfant, [Respectivement] Observation générale conjointe n° 3 (2017) et n° 22 (2017) sur les  principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales, 16 novembre 2017, CMW/C/GC/3 – CRC/C/GC/22, § 45 à 47.

[xv] Cela avait déjà été développé par de nombreux acteurs et en particulier par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés. V. par ex. High Commissioner for Refugees, Guidelines on international protection : child asylum claims under Articles 1(A)2 and 1(F) of the 1951 Convention and/or 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 22 december 2009, HCR/GIP/09/08, § 31.

[xvi] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 11.8 c).

[xvii] SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles : Bruylant, 2001, V. « précaution ».

[xviii]  Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 11.8.

[xix] CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, coll. Quadrige, Paris : PUF, 11e édition, 2016, v. « droits de l’homme ».

[xx] Comité des droits de l’enfant, I. A. M. (au nom de K. Y. M.) c. Danemark, préc., § 11.8 b) : « L’État partie a fait valoir que le fait que l’auteure ait quitté la Somalie donne à penser qu’elle est une femme indépendante dotée d’une très forte personnalité, qui sera capable de résister à la pression sociale et donc de protéger sa fille afin qu’elle ne subisse pas de mutilations génitales féminines ».

[xxi] Ibid., « Toutefois, le Comité souligne que le départ de l’auteure pouvait aussi être interprété comme le signe d’une incapacité à résister à la pression. Dans tous les cas, le Comité estime que l’exercice des droits de l’enfant consacrés par l’article 19 de la Convention ne saurait dépendre de la capacité de la mère à résister à la pression familiale et sociale, et que les États parties devraient prendre des mesures pour protéger les enfants contre toutes les formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales en toutes circonstances ».

[xxii] DETRICK (S.), A commentary on the United Nations Convention on the Rights of the Child, The Hague, Boston : Martinus Nijhoff Publishers, 1999, p. 322-323 : L’auteur souligne le fait que l’obligation de prévention était initialement définie par l’article 19 par. 2 de manière explicite et qu’in fine dans la Convention, cette obligation n’est plus qu’implicite. Cependant, « the [Committee on the Rights of the Child]’s travaux préparatoires show that it was generally felt that emphasis should be placed on preventive action ».

[xxiii] La doctrine a pu identifier, au regard de la Convention quatre obligations essentielles qui ont été appelées les « four Ps » et l’obligation de prévention est l’une d’entre elles. V. CANTWELL (N.), Article 20: Children deprived of their family environment, Coll. A Commentary on the United Nations Convention on the Rights of the Child, The Hague, Boston : Martinus Nijhoff Publishers, 2008, § 10-11 : « Broadly speaking, the Convention on the Rights of the Child is concerned with the four “P’s” : the participation of children in decisions affecting their own destiny ; the protection of children against discrimination and all forms of neglect and exploitation ; the prevention of harm to children ; and the provision of assistance for their basic needs ».