ThucyDoc n° 8 – Note d’actualité : Causes et conséquences du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien

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Conformément à ses promesses de campagne, Donald Trump a annoncé le 8 mai dernier le retrait[1] des États-Unis du plan d’action global conjoint (JCPOA), plus communément connu sous le nom d’accord sur le nucléaire iranien, conclu en juillet 2015 à Vienne entre l’Iran et les pays du P5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne). Le président américain a ainsi décidé unilatéralement de rétablir les sanctions visant l’Iran qui avaient été levées par l’accord en contrepartie de l’engagement de l’Iran à ne pas se doter de l’arme nucléaire. À cet effet, l’Iran a accepté de réduire le nombre de ses centrifugeuses, de limiter sa production de plutonium, son stock d’uranium enrichi et l’enrichissement d’uranium (pas au-delà de 3,67% excluant de fait un usage militaire), ainsi que le renforcement des inspections internationales par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Si l’accord rend la fabrication d’une arme nucléaire quasiment impossible, il préserve le droit de l’Iran à développer une filière nucléaire civile.

Les arguments mobilisés pour justifier le retrait américain

Les lacunes de l’accord nucléaire iranien

La décision américaine intervient malgré les rapports réguliers de l’AIEA certifiant le respect par l’Iran des dispositions de l’accord et ne constitue donc pas une réponse des États-Unis à une violation avérée du JCPOA par les Iraniens. Un tel constat aurait automatiquement entraîné le rétablissement des sanctions levées par l’accord. Les principaux arguments justifiant la décision du président américain tiennent au texte même de l’accord de Vienne, qualifié à plusieurs reprises de « pire accord jamais conclu » par Donald Trump. Outre les mécanismes d’inspection et de vérification qu’il juge insuffisants[2], le président américain dénonce les clauses de caducité de l’accord (sunset clauses) qui permettraient à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire à partir de 2025. En effet, l’Iran s’est notamment engagé à ne pas construire de centrifugeuses avancées pendant 10 ans ni à enrichir d’uranium au-delà du seuil de 3,67% (seuil permettant seulement un usage civil) pendant une durée de 15 ans à compter de l’entrée en vigueur de l’accord.

Au-delà des dispositions de l’accord, c’est la portée même du texte qui apparaît insuffisante aux yeux de ses détracteurs. Si le JCPOA traite de la question du nucléaire iranien, il ne couvre pas les autres volets de la crise iranienne à savoir le développement du programme balistique, le rôle déstabilisateur de l’Iran au Moyen-Orient et les violations des droits de l’homme perpétrées par le régime. La nécessité de se retirer de l’accord actuel est apparue d’autant plus prégnante que les fonds débloqués suite à la signature de l’accord auraient, selon l’administration Trump, permis à l’Iran d’accroître sa puissance militaire et de renforcer son influence régionale en finançant des groupes terroristes comme le Hezbollah ou le Hamas. Les défenseurs du texte, notamment les Européens, souhaitaient ouvrir le dialogue avec l’Iran sur les autres dimensions de la crise iranienne susmentionnées tout en maintenant l’accord sur le nucléaire. Le président américain a préféré se retirer du JCPOA en affirmant vouloir négocier un nouvel accord global couvrant l’ensemble de ces problématiques.

Les considérations de politique intérieure

S’ajoutent à ces lacunes de l’accord iranien des considérations de politique intérieure qui ont renforcé le président américain dans sa décision de rétablir les sanctions à l’encontre de l’Iran. Promise lors de sa campagne électorale, la sortie de l’accord sur le nucléaire iranien constitue l’une des tentatives de Donald Trump de défaire l’héritage de son prédécesseur à la Maison Blanche, Barack Obama. Ce retrait s’inscrit dans une séquence de décisions contestées en matière de politique étrangère telles que le transfert de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem, le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat ou encore la mise en place de taxes douanières sur l’acier et l’aluminium européens, pour ne citer que les mesures les plus récentes. Les initiatives du président américain en matière de politique étrangère visent à renforcer sa base électorale et ce d’autant plus qu’approchent les élections de mi-mandat qui se tiendront en novembre. Le poids de la politique intérieure sur les décisions de politique étrangère est prépondérant et risque d’isoler davantage les États-Unis sur la scène internationale[3]. À cet effet, la décision du président américain de remettre en place les sanctions américaines levées par le JCPOA risque d’engendrer des conséquences au-delà du seul dossier iranien.

Au-delà du dossier iranien, les larges conséquences de la décision de Donald Trump de rétablir les sanctions américaines

Bien qu’attendue, la décision de Donald Trump a suscité de nombreuses réactions, relevant pour la plupart de la désapprobation. Alors qu’Israël et l’Arabie Saoudite, alliés des États-Unis dans la région et fervents adversaires de l’Iran, ont salué cette annonce, les autres signataires de l’accord ainsi que l’ONU ont déploré cette décision et rappelé leur attachement à l’accord conclu en 2015.

L’impact du retrait américain sur la pérennité de l’accord iranien

Conséquence immédiate de l’annonce du président américain, les sanctions américaines liées au nucléaire qui pesaient sur l’Iran avant la signature du JCPOA sont rétablies[4]. Il s’agit notamment de restrictions portant sur l’achat de pétrole iranien, le commerce de métaux précieux et les transactions financières avec le pays. Ces mesures restrictives, commerciales et financières, visent à exercer une pression économique maximale sur le régime iranien dans le but d’en obtenir le plus de concessions possibles sur les questions ayant trait au nucléaire, au rôle régional de l’Iran, à son programme balistique ainsi qu’aux violations des droits de l’homme.

Si l’Iran s’est engagé à respecter les dispositions de l’accord malgré le retrait américain, le régime a toutefois annoncé qu’il renforcerait sa capacité d’enrichissement si les négociations avec les Européens, la Chine et la Russie ne produisaient pas les effets escomptés. Les Iraniens ne souhaitent maintenir l’accord que s’ils en retirent les bénéfices économiques attendus du renoncement au programme nucléaire militaire. L’avenir de l’accord iranien semble alors fortement compromis en raison de la portée de la décision américaine. En effet, les sanctions américaines doivent être respectées non seulement par les entreprises américaines (US persons) mais également par les entreprises étrangères puisque la majorité des mesures rétablies sont des sanctions secondaires. Plusieurs groupes européens tels que Total et PSA ont d’ores et déjà annoncé se retirer du marché iranien sous peine de perdre l’accès au marché américain et de s’exposer à des poursuites judiciaires.

Même si les Européens souhaitent préserver l’accord, cela s’avère particulièrement difficile dans les faits en raison de ces sanctions secondaires. Suite à la réunion des chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’Union européenne (UE) qui s’est tenue à Sofia le 16 mai dernier, la Commission européenne a décidé d’agir sur quatre volets afin de signifier son engagement envers le JCPOA. Tout d’abord, elle a lancé le processus d’activation de la loi de blocage[5] qui interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines et leur ouvre le droit à une indemnisation en cas de poursuites. La Commission a également entrepris de lever les obstacles juridiques empêchant la Banque européenne d’investissement (BEI) de financer des activités en Iran. Elle s’est aussi engagée à poursuivre et intensifier la coopération sectorielle avec l’Iran. Enfin, elle encourage les États membres à envisager de régler leurs transactions sur le pétrole iranien en euro via des transferts entre les banques centrales européennes et la banque centrale d’Iran. L’efficacité de telles mesures face aux sanctions américaines reste à démontrer d’autant plus qu’un délai, plus ou moins long, est nécessaire avant leur entrée en vigueur.

La pérennité de l’accord iranien après le retrait américain dépend également de la réaction de la Chine et la Russie, autres signataires de l’accord et partenaires commerciaux privilégiés de l’Iran. Les entreprises chinoises et russes étant moins implantées sur le marché américain, elles ont moins à perdre que les entreprises européennes si elles maintiennent leurs relations économiques avec l’Iran. Elles peuvent ainsi tirer profit du retrait des entreprises américaines, et probablement européennes, pour renforcer davantage leur activité en Iran. De plus, les transactions entre les entreprises iraniennes et les firmes chinoises ou russes pourraient être libellées dans les devises nationales, respectivement le yuan et le rouble, afin d’éviter tout risque de poursuites américaines et l’exclusion du système financier mondial. Mécaniquement, les États-Unis contraignent l’Iran à se tourner vers la Chine et la Russie mais les bénéfices tirés du renforcement des relations commerciales avec ces deux pays risquent de ne pas être suffisants pour compenser les pertes liées au retrait des entreprises américaines et européennes du marché iranien.

Les conséquences géopolitiques de la décision américaine

Outre ses effets sur l’économie iranienne et la pérennité de l’accord de Vienne, la décision américaine de rétablir les sanctions économiques liées au nucléaire pourrait avoir des conséquences géopolitiques et diplomatiques majeures. En effet, le retrait américain pourrait renforcer les radicaux au sein de l’appareil politique iranien générant un facteur d’instabilité supplémentaire dans une région déjà empreinte de tensions particulièrement vives. La fin de l’accord sur le nucléaire iranien pourrait notamment faire craindre une course aux armements dans la région.

Au-delà des effets régionaux, la décision du président Trump porte également atteinte à la relation transatlantique d’autant plus que le retrait de l’accord iranien s’inscrit dans une séquence de décisions opposant fortement les États-Unis à leurs alliés européens.

Enfin, le retrait unilatéral des États-Unis, alors même que l’Iran respectait les dispositions de l’accord nucléaire, peut remettre en question la crédibilité des États-Unis puisque cette décision envoie comme message que les États-Unis ne respectent pas leurs engagements. Quel serait alors l’intérêt pour un État d’entreprendre des pourparlers avec les États-Unis si ces derniers pouvaient à tout moment revenir sur leurs engagements ? A cet égard, le retrait américain de l’accord iranien pourrait compromettre l’aboutissement de futures négociations. Si la rencontre entre Donald Trump et Kim Jong Un à Singapour s’est déroulée sans entrave, l’issue des négociations entre ces deux dirigeants sur la dénucléarisation de la Corée du Nord reste très incertaine.

Mathilde JEANTIL
15 juin 2018

[1] Le texte du JCPOA ne prévoyant aucune clause permettant le retrait de l’une des parties, il serait plus correct de parler d’un rétablissement des sanctions que d’un retrait de l’accord. Voir à ce propos la réaction du professeur Marcelo Kohen : « Nucléaire iranien: «Donald Trump viole un accord international» », Le Temps, 9 mai 2018.

[2] Selon Yukiya Amano, directeur de l’AIEA, l’Iran fait pourtant l’objet « du régime de vérification nucléaire le plus solide au monde », voir notamment sa déclaration du 9 mai 2018 <https://www.iaea.org/newscenter/statements/statement-by-iaea-director-general-yukiya-amano-9-may-2018>.

[3] Voir l’analyse d’ Alexandra de Hoop Scheffer : « Alexandra de Hoop Scheffer : « Les initiatives diplomatiques prises par Trump ont isolé les Etats-Unis » », Le Monde.fr, 26 janvier 2018.

[4] Concernant les sanctions américaines, le JCPOA a permis la levée des sanctions secondaires liées au nucléaire mais les sanctions primaires liées au nucléaire n’avaient été que partiellement levées. Les mesures restrictives adoptées en réaction aux violations des droits de l’homme ou au soutien au terrorisme n’ont elles fait l’objet d’aucun assouplissement avec la signature de l’accord et sont toujours en vigueur.

[5] La loi de blocage est un dispositif qui a été mis en place initialement en 1996 pour contourner les sanctions américaines sur Cuba. Il convient de souligner que cette disposition n’a jamais été employée et s’avère difficile à mettre en œuvre.