ThucyDoc n° 9 – Note d’actualité : Ebola, toujours une menace ?

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Depuis plusieurs semaines le terme « Ebola » refait son apparition dans l’actualité. La maladie, qui avait terrorisé le monde en 2014, s’est déclarée début mai en République Démocratique du Congo. L’organisation Mondiale de la Santé (OMS), avec l’aide des autorités congolaises, a dénombré 61 cas entre le 8 mai et le 15 juin, dont 26 décès[1]. Si le taux de létalité (42,6%) inquiète, l’épidémie a, semble-t-il, cessé de s’étendre depuis quelques jours. En s’activant autour de cette nouvelle flambée d’Ebola, l’OMS espère améliorer son image, ternie suite à ses déboires lors de la dernière épidémie en Afrique de l’ouest.

Commençons par un rapide rappel des évènements. En décembre 2013, plusieurs personnes décèdent d’une maladie inconnue dans les petites villes de Guéckédou et Macenta en Guinée forestière. En raison de la présence d’autres maladies similaires endémiques dans cette région comme la malaria ou le choléra, plusieurs semaines s’écoulent avant que le diagnostic tombe, laissant le temps à l’épidémie de se propager. Le 10 mars 2014, les autorités guinéennes déclarent officiellement faire face à une épidémie de virus Ebola, qui touche également le Libéria et la Sierra Leone, ses deux pays frontaliers. Alors que les organisations non-gouvernementales, notamment Médecins sans Frontières, construisent les premiers centres de prise en charge pour les malades, l’Organisation Mondiale de la Santé ne réagit pas. Ce n’est que cinq mois plus tard[2] que l’OMS voit en Ebola une « urgence pour la santé mondiale [3]», après la mort de près de 11 000 personnes dans le bassin du fleuve Mano[4]. Dans la foulée, les pays membres du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptent une résolution affirmant que « la progression sans précédent de l’épidémie (…) représente une menace pour la paix et la sécurité internationales ». Malheureusement, aucune recherche scientifique sur ce virus n’ayant été menée jusque là, il n’existe ni vaccin ni médicaments pour faire face efficacement à la maladie. L’épidémie s’éteint doucement au cours de l’année 2015, en particulier grâce aux mesures de confinement prises par les Etats avec l’aide des ONG.

L’absence de recherches plus poussées s’explique par le fait que toutes les épidémies d’Ebola jusqu’à celle de 2013-2014 s’étaient déroulées en Afrique Centrale, dans des espaces restreints où peu de personnes risquaient d’être contaminées[5]. C’est cette épidémie de grande ampleur dans l’ouest africain qui a contraint les pays développés et les organisations internationales à davantage s’y intéresser.

Ainsi, contrairement aux pays d’Afrique de l’Ouest, le Congo est un « habitué » de cette maladie, puisqu’il s’agit de la neuvième flambée d’Ebola dans le pays depuis 1976. Depuis le début du mois de mai 2018, c’est une nouvelle fois dans le nord du pays, à Likati, que le virus s’est réveillé. Le travail des premières équipes médicales sur place s’est révélé difficile car il est impossible de diagnostiquer Ebola sur de simples signes cliniques (qui sont communs à de nombreuses maladies présentes dans la région). Des analyses en laboratoire sont nécessaires pour savoir si le virus est effectivement présent dans le sang du patient ou non. Le temps d’incubation va de 2 à 21 jours après l’exposition au virus. Pendant cette période, les malades ne sont pas contagieux mais peuvent avoir des premiers symptômes comme de la fièvre, des maux de tête, des maux de gorge, de l’asthénie ou les yeux rouges. Au bout de cinq jours, des plaques apparaissent sur la peau. Si elles sont très visibles sur les peaux claires, elles sont presque impossibles à repérer sur les peaux noires et ne permettent donc pas de poser le diagnostic. Trois à cinq jours après l’apparition de ces plaques, les malades souffrent de vomissements et de diarrhées, voire d’hémorragies pour dix pourcents d’entre eux. C’est le moment où le malade est le plus contagieux puisque le virus se transmet à travers les fluides corporels. Cette perte abondante d’eau et d’électrolytes entraîne le dysfonctionnement de tout les organes, puis la mort dans un peu moins de la moitié des cas.

Si dans un premier temps cette épidémie semblait être relativement aisée à circonscrire malgré le retard pris au moment de la détection des premiers cas, la découverte d’un malade d’Ebola à Mbandaka a quelque peu changé la donne. Grand centre urbain de plus d’un million d’habitants situé sur les rives du fleuve Congo (dans la province de l’Equateur), la ville de Mbandaka est un hub régional des transports routiers, aériens et surtout maritime. Le fait que le virus soit apparu dans une telle zone d’échanges et de passages a fortement accru le risque de propagation au niveau national et régional.

Mais cette-fois-ci, les autorités sanitaires disposent d’une nouvelle arme contre Ebola : un vaccin. Elaboré par des chercheurs canadiens qui travaillaient dessus depuis 2014, le vaccin rVSV-ZEBOV est fabriqué depuis un an par la compagnie pharmaceutique allemande Merck. Alors que le processus d’approbation standard d’un vaccin est d’au minimum dix ans, l’OMS a mis en place un protocole expérimental spécifique afin que celui-ci puisse être utilisé sur les êtres humains rapidement. D’abord testé en laboratoire, il a ensuite été inoculé dès l’année 2015 à des malades en Guinée où il s’est révélé « très efficace » selon l’OMS. En 2017, le Groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination (SAGE)[6] a préconisé, le déploiement rapide du vaccin rVSV-ZEBOV dans le cadre d’un « usage compassionnel »[7] en cas de survenue d’une nouvelle épidémie d’Ebola due au virus Zaïre avant son approbation. Environ 8000 doses de vaccin étant disponibles au mois de mai, l’ensemble de la population des zones touchées ne pouvaient pas être vaccinées. L’OMS et le ministère de la santé congolais ont donc mis en œuvre la vaccination suivant une stratégie « en anneau »[8], ciblée sur les populations les plus exposées au risque d’infection. Les personnes atteintes par la maladie sont donc vaccinées en priorité, puis les personnes en contact avec elles (famille, personnel médical), et enfin celles que l’on appelle les « contacts de contacts » c’est à dire les voisins et la famille plus éloignée. Trois zones géographiques précises sont concernées par cette campagne de vaccination, Bikoro, Iboko et Mbandaka, là où des cas d’Ebola confirmés en laboratoire avaient été signalés. L’OMS s’est concentrée sur le port de Mbandaka, laissant les villages plus éloignés à l’ONG Médecins sans Frontières, déjà présente sur place.

Bien sûr, quelques difficultés logistiques sont venues compliquer la tâche des équipes de vaccination, notamment dans les villages de Bikoro et d’Iboko. Alors que le vaccin doit être conservé à -80°C, la région n’est pas encore complètement électrifiée et ses routes sont difficilement praticables. Par exemple, le village d’Ikoko Ipenge, où sont survenus deux cas le 13 mai, n’est relié à Bikoro, où l’OMS a installé un centre de soins de 15 lits et un laboratoire mobile, qu’après un difficile trajet à moto d’une trentaine de kilomètres à travers la jungle. Des conditions loin d’être idéales pour transporter de précieuses fioles en verre.

La communication autour du vaccin a aussi eu quelques ratés. Dans les villes touchées, l’ensemble de la population s’attendait à être vaccinée, créant des frustrations. Ce fut notamment le cas à Mbandaka, où les chauffeurs de moto-taxi réclamaient la vaccination. En contact avec des dizaines de personnes toute la journée, ils souhaitaient profiter d’une meilleure protection, estimant qu’ils étaient eux aussi exposés à de nombreux risques puisque les personnes malades font souvent appel à eux pour les emmener à l’hôpital. Face à cette gronde, le gouvernement congolais leur a suggéré de prendre moins de clients et de mettre des bottes (au lieu de leurs sandales habituelles) pour minimiser le risque de contamination. Ces propositions n’ont pas été du goût des chauffeurs, et n’étaient pas à la hauteur de leurs inquiétudes légitimes pour leur santé et leur perte de revenu éventuelle. La tension n’a baissé qu’avec la décrue de l’épidémie, aucun nouveau cas n’ayant été signalé dans la région depuis le 6 juin dernier.

Cette nouvelle épidémie d’Ebola ne semble plus être une menace majeure pour la sécurité internationale et la découverte d’un vaccin laisse penser que cette maladie ne représentera plus un risque important dans l’avenir. Cependant la prudence doit rester de mise car des maladies méconnues aussi dangereuses qu’Ebola peuvent apparaître et se propager très rapidement avec l’intensification des échanges internationaux.

L’action énergique de l’OMS et de son nouveau directeur général, le Dr Ghebreyesus[9], pendant cette dernière crise sanitaire a en tout cas permis de rassurer les acteurs et les observateurs du monde de la santé. Avec sa bonne gestion de cette épidémie l’OMS regagne un peu de prestige, et peut-être parviendra-t-elle à retrouver son rôle de « chef d’orchestre » au sein de la gouvernance de la santé mondiale qui en a grand besoin.

Marie ROY
6 juillet 2018

[1] Ebola Virus disease, External Situation Report, OMS, 22 juin [http://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/272890/SITREP_EVD_DRC_20180622-eng.pdf?ua=1].

[2] Le 8 août 2014.

[3] Les « urgences de santé public d’un intérêt international » sont définies dans les règlements sanitaires internationaux comme des évènements extraordinaires nécessitant une action internationale pour y faire face.

[4] 932 décès exactement sur 1711 cas relevés entre novembre 2013 et août 2014 d’après l’OMS.

[5] Et donc où les possibilités de profits étaient peu élevées (voire inexistantes).

[6] Créé en 1999 par le Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, il est chargé de formuler des recommandations sur les travaux du Département Vaccination, vaccins et produits biologiques de l’OMS.

[7] Démarche permettant de traiter des malades qui n’ont aucun autre recours et/ou qui n’ont pas le temps d’attendre la fin des essais cliniques et du processus d’autorisation.

[8] Similaire à celle employée pour éradiquer la variole.

[9] En poste depuis un an, et qui s’est rendu deux fois en RDC pendant cette épidémie.