ThucyBlog n° 8 – Mohamed Ben Salman : de l’espoir à la désillusion ?

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Par Rachid Chaker, 6 février 2020

Inconnu du grand public il y a encore cinq ans, Mohamed Ben Salman (dit MBS), fils du roi, a dans un premier temps offert le visage d’une Arabie nouvelle tournée vers le 21ème siècle, avant de progressivement faire ressurgir les vieux démons propres aux dirigeants autoritaires des régimes arabes.

Une ascension fulgurante

Alors que les successions fratrilinéaires faisaient l’objet d’un relatif consensus au sein de la famille royale saoudienne, l’arrivée au trône de Salman Ben Abdulaziz en janvier 2015 changea la donne. Le nouveau monarque opéra quelques semaines après son intronisation un changement dans l’ordre dynastique, écartant son demi-frère Moqrin bin Abdulzaziz, alors prince héritier, au profit de son neveu Mohamed Ben Nayef et de son fils Mohamed Ben Salman. Dans la foulée, ce dernier se vit nommé ministre de la Défense et fut placé à la tête du Conseil économique. Dans un contexte de guerre au Yémen initiée quelques semaines auparavant pour combattre la rébellion houthi, cette mise en avant de MBS devait permettre la mise au premier plan du nouveau vice-prince héritier, dans une perspective probable d’en faire le futur monarque.

MBS d’Arabie : un nouveau souffle réformateur

Bien que l’Arabie ait été depuis sa création dirigée uniquement par Abdelaziz puis ses fils, lesquels sont à présent fortement âgés, la population saoudienne est relativement jeune. C’est sur ce public que le jeune MBS a souhaité s’appuyer et en direction duquel il a orienté son programme politique. Ainsi le  prince lui-même, et non le monarque, annonça en avril 2016 le projet Vision 2030, prévoyant de faire de l’Arabie un Etat moins dépendant des hydrocarbures, ouvert et davantage tourné vers la modernité. Ce projet, qui prévoyait notamment d’accélérer la « saoudisation » des emplois et le développement d’une industrie du divertissement, devait susciter l’adhésion des plus jeunes couches de la population du royaume. Dans la foulée, plusieurs autres projets d’envergure pour le royaume furent annoncés, notamment le projet NEOM, permettant de créer sur la partie ouest du royaume une sorte de Silicon Valley saoudienne avec des investissements annoncés de 500 milliards de dollars.

Sur le plan sociétal, le jeune prince s’est illustré en autorisant explicitement les femmes saoudiennes à conduire dans le royaume, supprimant ainsi une des mesures sociétales les plus décriées par les organisations de défense des droits de l’homme. Dans le même temps, la police religieuse saoudienne a vu ses prérogatives réduites, permettant d’une certaine manière d’alléger les contraintes sociétales pesant sur les citoyens du royaume. L’annonce de l’ouverture du pays au tourisme, avec notamment la création de visas dédiés, étant un autre symbole de cette dynamique.

Une dynamique heurtée par les réalités locales et régionales

Toutefois, cet élan réformateur et modernisateur fut confronté à plusieurs limites liées à l’activisme du désormais prince héritier sur les scènes nationales et internationales.

La réaffirmation d’un pouvoir fort en interne

A l’échelle nationale, après les annonces et avancées mentionnées, le régime reprit un cycle de répression vis-à-vis d’une partie de ses opposants. La détention de plusieurs personnalités, telles que le blogueur Raif Badawi, et le maintien en détention de plusieurs militantes du droit des femmes, écorna progressivement l’image réformatrice que le royaume avait acquis depuis 2015. L’arrestation puis la détention à l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad dans le même temps de plusieurs princes et personnalités saoudiennes, accusées pour certaines de corruption, renforça l’image d’un nouveau régime brutal et autoritaire.

L’exécution du dignitaire chiite Al Nimr en janvier 2016, qui provoqua des tensions jusqu’en Iran et la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays après le saccage de l’Ambassade saoudienne à Téhéran, et la mise en détention des opposants Salman Al-Awda et Aid Al-Qarni, risquant tous deux la peine capitale, firent disparaitre l’espoir d’avancée démocratique dans le royaume. Mais le catalyseur de cette inquiétude fut l’affaire de la disparition puis de l’assassinat du journaliste Jamal Kashogghi lors de sa visite au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Après avoir nié être liée à sa disparition, l’Arabie reconnut finalement la responsabilité d’éléments renégats dans la disparition et la mort du journaliste. Alors qu’un rapport des Nations Unies mit en lumière la responsabilité du prince héritier dans cette affaire, le président américain Donald Trump s’opposa formellement à toute sanction américaine contre son allié dans le Golfe, affirmant que la lutte contre l’Iran, jugé déstabilisateur au Moyen-Orient, demeurait la priorité. Malgré ce soutien de l’Administration américaine, l’image de MBS à l’étranger n’est pas sans rappeler celle d’un Saddam Hussein, lequel n’avait pas hésité à faire exécuter en 1979, en marge d’un congrès du parti Baas, plusieurs de ses opposants et rivaux potentiels.

Une diplomatie proactive menaçant la stabilité régionale

L’action du nouveau prince héritier à l’échelle régionale n’a guère offert un horizon plus favorable. Au Yémen, la guerre lancée en 2015 et qui devait permettre à MBS de s’affirmer comme nouveau leader en Arabie et à l’échelle régionale est dans une impasse. Outre l’incapacité des armées de la coalition à rétablir au pouvoir le président déchu Hadi, la situation humanitaire particulièrement difficile et les possibles violations des droits de l’homme par les armées saoudiennes et émiraties ont contribué à mobiliser plusieurs ONG afin d’obtenir un embargo sur les ventes d’armes à destination des belligérants.

Mais c’est notamment lors de la crise avec le Qatar en juin 2017 que ce nouvel activisme saoudien révéla ses potentiels effets déstabilisateurs. Le boycott – blocus selon le Qatar – imposé à l’émirat, et les craintes du déclenchement d’une opération militaire de la part de l’Anti Terror Quartet mobilisa les chancelleries occidentales afin d’apaiser les tensions. Les évènements de novembre 2017 vinrent confirmer les inquiétudes. L’annonce surprise de la démission du Premier ministre libanais Saad Hariri depuis Riyad, dans un contexte de fortes tensions régionales, laissa planer le doute quant aux pressions exercées par MBS sur le dirigeant libanais, évoquant même la possibilité que ce dernier soit retenu contre son gré en Arabie. L’expansion de l’influence saoudienne notamment dans la Corne de l’Afrique, avec l’ouverture d’une base militaire à Djibouti, pourrait également dans les années à venir s’avérer déstabilisante à la fois pour les Etats de la région mais également pour les intérêts des puissances occidentales, tant l’imprécision de la diplomatie saoudienne semble forte.

Même si la jeunesse politique du numéro deux saoudien peut en partie expliquer une politique étrangère parfois considérée comme impulsive, le royaume devra rassurer ses alliés, notamment occidentaux, quant à sa stabilité et sa volonté de s’inscrire dans la modernité.