Cuba : Géopolitique de l’utopie

Partager sur :

Résumé Le concept d’Etat avait trouvé dans l’Etat français jacobin sa réalisation, la notion d’Utopie trouve son effectivité idéale à Cuba. Refusant la séparation entre « utopie critique » et « positive », le concept forgé d' »utopie effective » montre sa valeur heuristique en géopolitique. Il révèle certaines errances de la diplomatie nord-américaine et apporte un début d’explication au triple paradoxe cubain : qu’un Etat ait pu transformer la zone « Amérique latine-Caraïbes » en zone d’affrontements ; qu’après l’effondrement du communisme soviétisé, le castrisme ait résisté ; qu’au cœur des communications entre les deux Amériques et entre les Amériques et l’Europe, sur fond de regroupements régionaux, de mondialisation et de montée en puissance des forces transnationales, un Etat affiche de façon réaliste une territorialisation nationale-étatique, visant l’hétérogénéité du sous-système Amérique latine-Caraïbes et la déstabilisation du système international. Au cœur de cette analyse géopolitique : les représentations et l’insularité. Dans cet archipel, qui colle de façon quasi parfaite au concept politique d’île, l’insularité géographique intégrée dans l’imaginaire cubain appartient à l’héritage culturel castriste, avec ses effets de légitimation d’isolement régional. Appartient aussi à cet héritage, le nationalisme insulaire, né de l’histoire politique et religieuse avec son anti-nord américanisme, développé après la dernière guerre d’indépendance, et le curieux mixte de la santeria et du catholicisme franciscain qui permettront à Fidel Castro, identifié dans l’inconscient collectif avec le démon Orula (Saint-François d’Assise), de mener une croisade au nom du Bien contre les Etats de la société marchande et leur vision utilitariste. Lui appartient enfin le culte de l’Etat, en raison de l’échec des libéraux en 1917 et de la politique de redistribution qui ne cessa jamais, endiguant toute intégration future dans des zones régionales de libre-échange pacifiées. Cet héritage de Cuba, la diplomatie des Etats-Unis d’Amérique, en raison de sa propre culture, ne le saisira pas. Elle ne percevra donc pas que la Realpolitik, tout comme le projet utopien national populiste, imposaient l’éloignement et la rupture avec Fidel Castro. Pas plus qu’elle ne concevra, que ce régime, qui veut la sécurité, la puissance et la grandeur, se renforce idéologiquement face à une stratégie d’isolement et de mise en accusation. Le castrisme put ainsi construire son utopie, couper les isthmes pour asseoir son isolement, et désigner l' »impérialisme américain » comme cause principale de son échec économique. Il put surtout s’autoriser de jouer géopolitiquement au nom des « guerres justes », du « droit des peuples » et de la libération du tiers-monde, sa puissance et sa grandeur : soutien à certains groupes terroristes, pion privilégié de l’URSS en Afrique, le gendarme révolutionnaire des zones Caraïbes, Amérique du sud et Amérique centrale. Après la chute du mur de Berlin, et alors qu’il n’est plus guère de Cubains à croire au communisme, le national populisme castriste, renforcé par l’embargo qui conforte encore son jeu d’insularité politique, peut assumer certains aménagements « bourgeois » de l’Utopie tout en dénonçant l’immoralité de la société marchande et en traquant par la Terreur la constitution d’isthmes symboliques avec les Etats-Unis. Autant de conditions de politique intérieure pour maintenir l’hétérogénéité dans le sous-système Amérique latine-Caraïbes et le refus de la légitimité du système international. Une position géopolitique qui ne connaîtra pas d’alternances sans l’abandon de l’ensemble du projet utopien et la disparition d’Utopus. – Le sommaire de l’AFRI 2001