La Chine : En la matière, l’imaginaire occidental a longtemps été plus riche – c’est à dire plus pauvre – que la connaissance. Entre celle du régime impérial – Turandot, les Tribulations de Jules Verne, l’inquiétude de la duchesse de Guermantes, le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau, le Lotus bleu, puis les fantasmes autour de la Chine Maoïste – de la révolution permanente, de la révolution dans la révolution, de la révolution culturelle, de la Chinoise de Godard, des groupuscules soixante-huitards, puis du retour au principe de réalité avec les ouvrages désenchanteurs mais lucides de Simon Leys, elle n’a cessé d’exercer sur les esprits les plus variés la fascination de l’extrême, voire de l’excessif.
Dans les catégories de l’exotique, elle n’occupait cependant pas la place du merveilleux, plutôt dévolue au monde arabo – persan des Mille et une Nuits. Encore moins celle du bon sauvage : plutôt celle de l’étrange et de l’impénétrable, dont la civilisation traditionnelle [ancienne], raffinée, supérieure à beaucoup d’égards à celle de l’Europe ancienne mettait en question la prétention à l’universalité du message chrétien – voyez Pascal – ou des Lumières – voyez Montesquieu. Elle ne s’inscrivait pas dans leurs cadres, restait rebelle à leurs prétentions, échappait à la colonisation sinon à l’impérialisme, semblait être une autre humanité plutôt qu’une autre société – jusqu’au communisme, qui loin de l’occidentaliser lui donnait comme une nouvelle opacité.
Aujourd’hui la Chine paraît se banaliser. La mondialisation n’entraîne t-elle pas pour elle une forme de normalisation ? C’est en termes de PNB, de taux de croissance, de capitalisme émergent, de marchés à conquérir, d’investissements, de délocalisations industrielles, que l’on tend à la considérer – comme tout le reste. Son originalité radicale n’était pas soluble dans des influences religieuses, culturelles ou politiques, mais ne résisterait pas au triomphe universel de l’économie libérale, désormais [devenu] seul instrument d’intelligibilité, d’échange et de transformation généralisés. Devenue ainsi un espace économique comme un autre, usine du monde, la Chine ne serait plus différente que quantitativement, par l’énormité de sa population et l’ampleur des promesses de sa puissance virtuelle.
Dès lors on la considère aussi sous l’angle du défi qu’elle pourrait lancer à la puissance américaine, pour laquelle elle serait le seul compétiteur possible et du même coup obligé. Et pourtant, l’évolution est-elle si simple, si linéaire ? La Chine ne conserve t-elle pas une originalité irréductible, rentre t-elle dans ces catégories en définitive paresseuses ? Est-elle en course pour une puissance mondiale ou n’a t’elle pas ses objectifs propres ? Notre dossier s’ouvre ainsi par un entretien avec l’un des meilleurs spécialistes de la pensée chinoise, François Jullien, qui souligne les différences radicales qui séparent de façon permanente les modes de pensée occidentaux et chinois. C’est à la lumière de cet éclairage que les analyses qui suivent doivent aussi être appréciées.
Ce sont d’autres univers qu’explorent les articles des rubriques usuelles de Questions internationales – l’Arabie saoudite, le rôle des forces armées en Amérique latine, ou les si complexes problèmes posés par l’agriculture dans l’Union européenne. On notera également, comme des pré-échos de prochains dossiers, le QI à l’épreuve sur la lutte internationale contre le terrorisme ou le Document de référence sur la Déclaration de Saint Malo.